[Critique] Le secret derrière la porte de Fritz Lang (1947)

Caractéristiques

  • Titre : Le secret derrière la porte
  • Titre original : Secret Beyond the Door...
  • Réalisateur(s) : Fritz Lang
  • Scénariste(s) : Silvia Richards d'après une histoire de Rufus King
  • Avec : Joan Bennett, Michael Redgrave & Anne Revere
  • Genre : Film Noir, Thriller, Horreur, Drame
  • Pays : Etats-Unis
  • Durée : 1h34
  • Date de sortie : 1947
  • Note du critique : 10/10

Redécouverte d’un chef-d’œuvre


Film relativement méconnu de Fritz Lang, Le secret derrière la porte n’en demeure pas moins un chef d’oeuvre du cinéma américain des années 40. Bien qu’il soit souvent considéré comme un film noir en raison de sa mise en scène et son esthétique jouant avec maestria sur les clair-obscur, ce long-métrage est en réalité fort atypique et ne se limite pas à un genre particulier.

D’ailleurs, hormis les points susnommés, rien dans l’intrigue ne permet de rattacher fermement le film de Lang au célèbre courant qui fut défini à postériori par les théoriciens français. Pas de gangsters ou de femmes fatales, pas de bouges et hôtels minables, de jungle urbaine ou de critique politico-sociale…

Singulier mélange des genres

Le secret derrière la porte, comme les mélodrames, se déroule intégralement dans un univers domestique luxueux et étouffant et se penche sur les difficultés relationnelles d’un couple. Il se pose également comme un film à suspense proche de Rebecca (1940) et Soupçons (1941) d’Alfred Hitchcock par son histoire et son traitement freudien mais son onirisme assumé en ferait presque, dans le même temps, un film fantastique et un conte gothique sans fantômes. Et c’est de ce mélange singulier que naît toute la magie du film.

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Le film s’ouvre à Mexico où nous suivons une jeune femme, Celia Barrett (Joan Bennett), partie en vacances avec une amie. Elle vient de perdre son frère aîné, qui veillait sur elle et s’apprête à épouser un vieil ami de celui-ci par raison. Mais lorsqu’elle assiste à une rixe à mort entre deux hommes qui se déchirent pour l’amour d’une femme, elle est fascinée par ce spectacle morbide et croise dans la foule le regard intense d’un homme lui aussi troublé par la scène… et surtout par elle. Alors qu’ils ont tout juste fait connaissance, Celia décide d’épouser cet homme, Mark Lamphere (Michael Redgrave) et emménage dans son imposante demeure familiale.

Mais elle ne tarde pas à déchanter lorsqu’elle découvre que son mari lui a caché qu’il était veuf et élevait un jeune fils en compagnie de sa sœur, Caroline (Anne Revere). De plus, Mark a tendance à se montrer très souvent énigmatique et distant, voire colérique. Ces changements de comportement inattendus éveillent la suspicion de sa femme, qui aimerait arriver à le comprendre. Lorsque au cours d’un dîner mondain Mark fait visiter aux invités les six chambres liées à des événements du passé qu’il a reproduites en rachetant le mobilier d’origine, les craintes de Celia se précisent : son époux reconstitue des scènes de meurtres passionnels ! Pour percer à jour le douloureux secret de son mari, la jeune femme devra trouver la clé de la septième et dernière chambre, qu’il refuse d’ouvrir à quiconque…

Un Barbe-Bleue moderne et onirique

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Ce qui m’a séduite en premier lieu dans le film de Fritz Lang et m’a permis de l’apprécier comme une œuvre à part entière fort distincte de Rebecca et Soupçons auxquels il est souvent associé, c’est cette réappropriation du conte de Barbe-Bleue (qui me terrifiait enfant), qui prend ici toute sa dimension. Comme dans celui-ci, la maison revêt une importance capitale et la manière dont le cinéaste la filme est un tour de force : elle devient un personnage à part entière et s’avère aussi inquiétante que dans La Maison du Diable de Robert Wise (1963), terrifiant film de maison hantée jouant entièrement sur la suggestion. Cette atmosphère morbide, aussi étouffante que fascinante, m’a également rappelé un de mes plus grands souvenirs littéraires, le gothique et magnifique Les hauts de Hurlevent d’Emily Brontë (1847), œuvre romantique qui se rapproche par bien des aspects d’un conte malgré l’absence du moindre élément surnaturel ou magique et où la demeure familiale joue un rôle prépondérant.

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La scène-clé est bien entendu la découverte de la septième chambre par l’héroïne, moment qui fait définitivement basculer le film dans un onirisme de film fantastique jusqu’à son dénouement. Véritable morceau de bravoure, cette longue scène est un summum de tension et de maestria visuelle et contribue fortement à faire du Secret derrière la porte un grand film.

Hollywood et la psychanalyse

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Ce suspense parfaitement mené d’un bout à l’autre pêche seulement, en fin de compte, par son explication psychanalytique finale. Non seulement celle-ci est plus fine dans les films de Hitchcock, mais surtout, elle apparaît à notre époque comme tirée par les cheveux et se révèle en fin de compte assez simpliste et convenue.

D’autre part, la mini-scène finale, qui semble avoir été rajoutée à la va-vite par Fritz Lang pour offrir une fin fermée, apparaît en décalage avec le reste du film. Ce n’est pas tant le contenu lui-même de cette fin qui est en cause que la manière expéditive d’adresser le message, en une réplique qui se veut rassurante voire idyllique sur l’avenir des héros, histoire que le spectateur ne soit pas dérangé par le dénouement peu conventionnel entre Mark et Celia. Cette scène inutile, probablement rajoutée à la demande des producteurs, n’enlève néanmoins aucun mérite
au film.

Après tout, l’essentiel ne se trouve pas là et même l’explication du trouble de Mark n’est qu’accessoire. Le secret derrière la porte est avant tout l’odyssée intime et onirique d’une femme à la découverte de la nature ambivalente de l’amour et des relations conjugales. Un film dans lequel chaque pièce de la demeure des Lamphere est un pur espace mental attendant qu’on vienne en ouvrir la porte pour mettre à jour de ténébreux secrets.

Article écrit par

Cécile Desbrun est une auteure spécialisée dans la culture et plus particulièrement le cinéma, la musique, la littérature et les figures féminines au sein des œuvres de fiction. Elle crée Culturellement Vôtre en 2009 et participe à plusieurs publications en ligne au fil des ans. Elle achève actuellement l'écriture d'un livre sur la femme fatale dans l'œuvre de David Lynch. Elle est également la créatrice du site Tori's Maze, dédié à l'artiste américaine Tori Amos, sur laquelle elle mène un travail de recherche approfondi.

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