[Critique] Le Monde, La Chair Et Le Diable – Ranald MacDougall

Caractéristiques

  • Titre : Le Monde, La Chair Et Le Diable
  • Titre original : The World, The Flesh And The Devil
  • Réalisateur(s) : Ranald MacDougall
  • Avec : Harry Belafonte, Inger Stevens, Mel Ferrer
  • Genre : Science-Fiction
  • Pays : Etats-Unis
  • Durée : 95 minutes
  • Date de sortie : 20 Mai 1959 (USA
  • Note du critique : 8/10

L’histoire du cinéma est parsemée de grands films plus ou moins oubliés. Le travail, depuis des années, d’un éditeur comme Wild Side, est notamment de tenter d’en rappeler certains à notre bon souvenir voire, et c’est bien lus souvent le cas soyons honnêtes, de nous apprendre l’existence de certaines pépites perdues. Parmi les très nombreuses magnifiques découvertes, l’une des plus mémorables est Le Monde, La Chair Et Le Diable, un film de science-fiction étonnant à plus d’un titre.

Ralph Burton (Harry Belafonte) est un mineur afro-américain, en plein travail au fond d’une mine de Pennsylvanie. C’est alors qu’un éboulement se produit, laissant le travailleur prisonnier, sous terre. Très vite, les secours se mettent au travail en surface, et Ralph les entend travailler toujours plus, jusqu’à un étrange ralentissement de la cadence, et l’arrêt total. Paniqué, le mineur trouve le moyen de se libérer, et remonte vers la surface. Il découvre, avec effarement, que plus une âme vit, non seulement dans la petite ville de Pennsylvanie, mais aussi à New-York. Ralph découvre qu’un conflit atomique, à base de poussière d’isotopes radioactifs, est derrière cette vision cauchemardesque : le monde est mort. Enfin, pas tout à fait…

Une renaissance symbolique

Le Monde, La Chair Et Le Diable est un exemple de film débutant tambour battant. L’ambiance s’instaure efficacement, et l’importance du son saute tout de suite aux oreilles. Ralph, enfermé dans sa mine, est entouré par un silence que seules viennent briser des coups de pioches. Pour se rassurer, le personnage se parle, chante, occupe l’espace sinistre grâce à sa voix. Vient alors le temps, pour le protagoniste, de venir au monde, la première des deux renaissances que le film réserve à son personnage principal. L’extraction de Ralph, tel un accouchement depuis la pureté de la planète Terre, met le mineur face à des images parmi les plus troublantes qu’on ait pu voir sur un écran. Pour obtenir ces panoramas (splendide Cinémascope), la production a tourné les plans de New-York désertique à l’aube et l’effet, couplé au choix de plonger le protagoniste dans le silence absolu, est grandiose. Ralph erre, cherche désespérément âme qui vive, mais le scénario, malin car distillant les éléments au compte-goutte, lui donne ce que le spectateur imagine de pire : tout est fichu.

Le Monde, La Chair Et Le Diable commence, donc, comme un bon film de série B, mais tout de suite le spectateur ne peut s’empêcher de se faire une remarque : non, le premier personnage principal noir d’un film de genre n’est pas Ben de La Nuit Des Morts-Vivants. Nous ne pouvons pas affirmer, évidemment, que Ralph revêt cet habit originel de manière certaine (l’histoire du cinéma est décidément une découverte de tous les instants), mais il est clair que l’on aura du mal à trouver trace d’un tel choix en amont. De même, contrairement à ce qu’on a pu voir depuis, ce choix n’est absolument pas cosmétique, ou “simplement” poussé par une envie de représentativité. Car l’ambiance post-apocalyptique de l’œuvre sert à mettre en exergue toutes les bassesses d’une société américaine encore enfoncée, alors, dans un racisme rampant et dégueulasse.

image harry belafonte le monde la chair et le diable

Il faut replacer Ranald MacDougall, le réalisateur de Le Monde, La Chair Et Le Diable. Un rapide coup d’œil sur la carrière de cet homme nous apprend que l’on est en présence d’un scénariste, bien plus que d’un metteur en scène, ce qui veut dire beaucoup de chose pour cette époque de l’âge d’or du cinéma américain. Rappelons que le Hollywood des années 50 sanctifiait bien plus le scénario que la mise en scène, à de rares exceptions liées aux revenus que pouvaient provoquer un réalisateur (coucou Cecil B. DeMille). Ranald MacDougall était, donc, un scénariste expérimenté quand il se lance dans Le Monde, La Chair Et Le Diable, et l’un de ses films attirent notre attention, tant son fond est l’inverse de celui du film ici abordé. Il s’agit de Quand La Marabunta Gronde, film d’aventure écrit à quatre mains (avec Ben Maddow), dont l’esprit colonisateur nous donne la nausée, et ce même remis dans son contexte. Il serait intéressant qu’un historien du cinéma se penche sur ce changement radical qui, en 5 ans, provoque un retournement à 180 degrés de ce qu’a pu écrire Ranald MacDougall.

Après une première moitié qui se concentrait sur la description du monde, sous les traits de New-York, Le Monde, La Chaire Et Le Diable bascule, et apporte au grand jour le fond à la forme. Il serait cependant faux de penser que le film souffre de ce changement de ton, tant le terrain fut préparé par la première moitié, qui donne au spectateur (surtout de l’époque) tout le loisir de voir un personnage principal noir se mouvoir, réagir comme lui-même pourrait s’imaginer. Alors, la rencontre avec une survivante, sans doute la dernière de la ville, et blanche, intervient comme le retour aux immondes valeurs alors en cours. Toute l’intelligence de l’œuvre est de ne pas faire de la rescapée Sarah (Inger Stevens) le dernier sursaut de paternalisme d’une époque détruite par la folie politique (et non des hommes, appuyons sur ce constat). Au contraire, Ralph a du mal à se lâcher, à se séparer des pourtant inconcevables règlent qui régissaient les rapports entre blancs et noirs, mais uniquement par relents. Sarah a la fonction d’élément déclencheur, fortement imagée dans ce très visible parallèle avec le symbolisme du duo formé par Adam et Eve.

Reculer pour mieux sauter

Le Monde, La Chair Et Le Diable se rapporte à la Bible, jusqu’au titre d’ailleurs, pour n’en prendre que le sens, et laisse l’interprétation aux fondamentalistes. Le décors, ce New-York vidé de sa vie, devient alors bien moins un terrain de jeu qu’une situation propice à une réflexion philosophique. Véritable plaidoyer pour l’équité, l’œuvre nous sidère par son modernisme, et son atmosphère qui donne au spectateur la dose de spectacle adéquate. Le duo devra faire face à bien des épreuves, que nous ne vous spoilerons pas, mais sachez que la remise en cause est constante dans Le Monde, La Chair Et Le Diable, permettant à Ranald MacDougall de jouer avec un récit passionnant jusqu’au bout. Le dernier plan, d’ailleurs, donne dans l’imagerie de l’espoir, du renouveau, de la construction d’un monde meilleur, en bouclant le film sur un marquant “The Beginning”.

Le Monde, La Chair Et Le Diable est disponible en DVD, Blu Ray et VOD, chez Wild Side.

Article écrit par

Mickaël Barbato est un journaliste culturel spécialisé dans le cinéma (cursus de scénariste au CLCF) et plus particulièrement le cinéma de genre, jeux vidéos, littérature. Il rejoint Culturellement Vôtre en décembre 2015 et quitte la rédaction en 2021. Il lance Jeux Vidéo Plus. Manque clairement de sommeil.

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