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[Critique] Les Jours et les Nuits de China Blue – Ken Russell

Caractéristiques

  • Titre : Les Jours et les Nuits de China Blue
  • Titre original : Crimes of Passion
  • Réalisateur(s) : Ken Russell
  • Avec : Kathleen Turner, Anthony Perkins, Bruce Davison...
  • Distributeur : New World Pictures/Orion Pictures
  • Genre : Drame, Romance, Thriller
  • Pays : Etats-Unis
  • Durée : 110 minutes
  • Date de sortie : 19 Juin 1985
  • Note du critique : 7/10

Aujourd’hui, nous allons aborder un film signé Ken Russell. Ce nom suffit pour remplir n’importe quel article d’une odeur de soufre tenace, tant le réalisateur a œuvré dans la provocation envers un système puritain, du moins fut un temps. Vous connaissez sans doute ce nom pour avoir été celui à la signature d’Au-delà du réel, un film fantastique dans tous les sens du terme, que nous chroniquerons peut-être un jour prochain. L’œuvre, assez mainstream même si elle est traversée de fulgurances « russelliennes », n’est pourtant qu’un petit aperçu de la filmographie immense du metteur en scène anglais, décédé en 2011. Dans celle-ci, l’on retrouve aussi des films entourés d’une aura culte, liée à leur invisibilité, sur une certaine période. Celle où les cinéphiles devaient lutter pour voir l’objet de leur désir, et non faire une simple et impersonnelle recherche Google. Bref, Ken Russell est du genre à ne pas être très ami avec les comités de censure, lui qui a vu son excellent Les Diables se faire malmener, charcuter, enterrer. Autre œuvre à avoir subi diverses foudres, avant de tomber dans l’oubli : Les Jours et les Nuits de China Blue.

Les Jours et les Nuits de China Blue, comme tout film de Ken Russell, est compliqué à résumer en quelques lignes, tant le scénario est prétexte à la mise en place non pas d’une idéologie, mais d’une vision du monde. On est en présence d’un auteur, pas d’un homme politique. China Blue (Kathleen Turner), c’est une prostituée. Enfin, pas n’importe laquelle, c’est la reine des prostituées, celle que les clients farfelus s’arrachent, sachant d’avance que leurs fantasmes les plus dingues trouveront là une bonne occasion de devenir réalité. Mais China Blue, c’est aussi Joanna Crane, styliste à l’allure glaciale, et raide comme la justice. Son apparence tout sauf engageante ne lui permet pas, pourtant, d’échapper aux soupçons du patron de sa boîte qui, sûr qu’elle vend ses modèles à la concurrence, engage Donny Hopper (Bruce Davison), un pro de la sécurité, qui va devoir s’improviser détective privé. Ce qu’il va découvrir va remettre en question son rapport à la sexualité, à son mariage, à sa vie. Mais la prostituée attire à elle une population étrange, et la situation devient plus que dangereuse quand l’un des clients, un prétendu prêtre défroqué (Anthony Perkins), se met en tête d’extirper le pêché du corps de China Blue…

image kathleen turner les jours er les nuits de china blue ken russellLe scénario de Les Jours et les Nuits de China Blue, écrit par un certain Barry Sandler dont la carrière n’a jamais décollée, ne peut qu’aller comme un gant à Ken Russell. Les thématiques qui en ressortent, principalement liées à notre relation à la sexualité, ne pouvaient qu’aboutir sur un traitement au fort parfum de scandale. Bien sûr, la chose se vérifie très rapidement, non sans une exposition très intéressante, qui résume toute la vision du monde qui se déploiera par la suite. Donny Hopper, incarné par un Bruce Davison dont la ressemblance avec Tom Cruise est frappante (on y reviendra), face caméra, prend conscience de sa vie sexuelle loin d’être aussi accomplie qu’il ne le croit. En grattant le vernis de chacun, l’on arrive toujours à ce résultat : des tares apparaissent, pas spécialement regrettables, loin de là, mais l’important est cette action, le démaquillage. Ken Russell ne supporte pas cette dose de fond de teint posée sur nos tracas. Les Jours et les Nuits de China Blue se propose de démontrer, bien avant les idéologues de notre temps, parfois à côté de la plaque, que nos quotidiens ont une importance dans le constat.

China Blue, à qui Kathleen Turner donne vie avec un talent sidérant, représente tout le malaise occidental. Nous apparaissons comme libérés, nous avons donné à cette notion une définition étrange, qui passe par le travail, donc le dû, ce qui n’a pu que donner, finalement, un contre-sens. Si Les Jours et les Nuits de China Blue ne va pas jusqu’à donner dans l’analyse sociale, le constat qu’il tire est brillant. Le personnage, femme froide le jour, chaude comme la braise la nuit, démontre la dichotomie qu’a provoqué notre sens très étrange de la liberté. Cette division de la personnalité, pas du tout une schizophrénie car maîtrisée par China Blue, trouve ses racines dans bien des choses. Déceptions amoureuses, enfance meurtrie, sexisme d’une société dont le soucis n’est pas le patriarcat (avancer le contraire, c’est mettre la poussière sous le tapis) mais l’équivalence des droits, tout ce qui entoure cette femme la pousse à ne pas s’assumer.

image anthony perkins les jours et les nuits de china blue ken russellKen Russell réussit parfaitement à capter cette séparation, en adaptant sa mise en scène. Même si l’on pourra trouver certains élément très kitsch, notamment la bande originale parfois pénible, l’impression visuelle est globalement plus qu’intéressante, et rapproche le film d’un certain Eyes Wide Shut. Film auquel on pense tout du long, tant la ressemblance de Bruce Davison avec Tom Cruise ne fait aucun doute. Le grand, très grand, film de Stanley Kubrick partage, quelques années plus tard, cette ambiance à la limite du rêve éveillé, même si le récit des Jours et Nuits de China Blue, provoque une alternance des ambiances, et non un crescendo. Les couleurs très brutes, impersonnelles dans la vie de jour, deviennent carrément irréelles la nuit, à la limite d’un Argento sous acides. L’impression de séparation des quotidiens, appuyée par la différence de comportement terriblement bien supportée par le jeu sans fautes d’une Kathleen Turner étonnamment sexy, finit de démontrer ce que pense Ken Russell, et bien avant l’arrivée des Chiennes de Garde : la femme a des difficultés à s’assumer.

Ce constat établi, par de purs effets de cinéma, Les Jours et les Nuits de China Blue n’a plus qu’à dérouler son scénario sans encombres. Ken Russell n’est pas un cinéaste comme les autres, et n’a pas spécialement besoin d’un antagoniste clairement désigné pour donner au récit un repère malfaisant. Mais, tout de même, le personnage du curé défroqué prend cette place, sans non plus être le bras armé du conflit. L’erreur serait de penser que sa condition de religieux l’emmène à vouloir porter atteinte à China Blue / Joanna. D’ailleurs, il faut préciser que le personnage était un salarié lambda dans le scénario originel. Mais Anthony Perkins qui, selon Kathleen Turner, s’en mettait plein le pif avant les prises pour donner à son rôle un aspect perché, a fait changer ce détail pas vraiment futile, pour soutenir son impressionnante présence physique. Nulle envie d’attaquer l’Église ici, pour cela Ken Russell a réalisé Les Diables quelques années auparavant. Le sujet reste, encore et toujours, le sexe et sa perception.

La solution qu’apporte Ken Russell pourra en étonner plus d’un. Car, loin de prôner un jusqu’au-boutisme décérébré, à l’image du très déplorable Bang Gang, Les Jours et les Nuits de China Blue prône le rapprochement des âmes. Non pas la séparation, ni le pointage du doigt à côté de la plaque (n’est-ce pas, Mad Max : Fury Road ?), mais le calme, la paix. Le changement, que certains nous ont promis pour maintenant, mais qui ne veut toujours pas arriver tant nos avons confondu progrès et séparation. La dichotomie du personnage de China Blue / Joanna se dissipe quand les deux ne forment plus qu’un seul être. Qui s’assume. Qui aime. Pour cela , il faut du bon sens, de la raison, chez tous les acteurs de nos quotidiens. A méditer.

Au final, Les Jours et les Nuits de China Blue est l’une de ces œuvres enfouies, oubliées des cinéphiles mainstream, qui mérite d’être découverte, aujourd’hui plus que jamais. Sa bande originale désagréable ne doit pas rebuter, et faire l’effort de s’ouvrir à ce film, c’est l’assurance de s’acoquiner avec une réalisation audacieuse, des dialogues génialissimes, et un casting de grande qualité. La filmographie de Ken Russell recèle de pépites du genre, on y reviendra dans un prochain Ciné-Club…

Article écrit par

Mickaël Barbato est un journaliste culturel spécialisé dans le cinéma (cursus de scénariste au CLCF) et plus particulièrement le cinéma de genre, jeux vidéos, littérature. Il rejoint Culturellement Vôtre en décembre 2015 et quitte la rédaction en 2021. Il lance Jeux Vidéo Plus. Manque clairement de sommeil.

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