Bowie ou la mort impossible
Publié aux Editions de la Martinière moins de 3 mois après le décès de l’artiste le 10 janvier dernier, Bowie, l’autre histoire de Patrick Eudeline n’est pas une simple biographie, mais aussi et surtout un texte passionné et sans compromis sur David Bowie, homme aux multiples visages, être insaisissable qui avait survécu à tout, qu’on pensait immortel jusqu’à Black Star et sa disparition subite, deux jours après la sortie de cet ultime album. Si Bowie évoquait sa mort dans le single « Lazarus » et son clip (tourné alors qu’il se savait condamné à court terme), personne n’osait croire à l’inéluctable. Malgré les soucis de santé en 2004, qui l’avaient contraint à annuler les dernières dates de sa tournée, malgré les rumeurs qui le disaient malade, il était revenu en 2013 avec un album surprise, The Next Day et l’on pensait qu’il en serait toujours ainsi : l’homme qui venait d’ailleurs, défiant le temps. Comment l’éternel Ziggy Stardust pourrait-il disparaître, après tout ?
Partant de cette désillusion, le critique de rock Patrick Eudeline propose un texte écrit dans l’urgence, un brin foutraque, comme pour conjurer le sort. Dans le prologue, refusant de croire à la mort de Bowie en homme « normal », il l’imagine cryogénisé, attendant d’être un jour ressuscité grâce à une technologie de pointe. Un fantasme né de l’absence de funérailles, l’absence de tombe si l’on en croit la famille. Bowie voulait que l’on se souvienne de son oeuvre, refusait que sa sépulture devienne un lieu de pèlerinage. Ne parvenant pas encore bien à croire à cette mort si ordinaire, après 18 mois de lutte contre un cancer du foie qui aura eu raison de lui, Eudeline veut croire que l’artiste, passionné de science-fiction, fasciné par le mythe du surhomme, aurait pu débourser 200 000 dollars pour être congelé dans un caisson, faisant le pari de l’éternité. Une idée qui n’est pas sans rappeler les rumeurs qui couraient à Hollywood, en 1966, sur l’éventuelle cryogénisation de Walt Disney.
Un essai bref mais pertinent
Le reste de l’essai revient de manière sélective sur le parcours de David Bowie, artiste avant-gardiste s’il en est, qui se réinventa maintes fois. Le livre ne fait que 137 pages et cet aspect concis pourra frustrer certains lecteurs, qui auraient préféré un ouvrage plus fouillé. Cependant, Patrick Eudeline, critique reconnu, écrivant pour Rock & Folk et ex-leader d’Asphalt Jungle, qui fut l’un des tous premiers groupes de punk français, ne prétend pas proposer une biographie exhaustive. Il pioche des éléments significatifs dans sa vie et son parcours, qu’il s’agisse de l’histoire haute en couleurs de ses parents ou ses crises de paranoïa dues à un abus de cocaïne, n’hésitant pas à faire des ellipses sur des périodes plus secondaires ou, tout simplement, qui l’intéressent moins d’un point de vue personnel. L’auteur affirme en effet dès le départ sa subjectivité, évoque ce qui, en Bowie, lui parle, affiche une préférence marquée pour sa période glam-rock et n’hésite pas à se montrer critique envers l’artiste, y compris au sujet de certains albums pourtant globalement appréciés par la critique, comme son incursion dans la soul « blanche » avec Young Americans. On ne sera pas forcément d’accord avec lui sur tous les points, mais Eudeline, auquel on ne pourra pas reprocher son inculture, a souvent de bons arguments pour justifier son point de vue. On regrettera simplement quelques erreurs factuelles étonnantes, mais que l’on peut facilement attribuer à une finalisation du livre dans l’urgence. On ignore si Patrick Eudeline travaillait déjà sur ce projet d’essai avant le décès inattendu de David Bowie, mais il est sûr que la rédaction a été achevée au moins un mois après cette disparition, si l’on se fie au texte du l’auteur, pour une parution le 24 mars 2016. Cela fait en effet bien court et on ne tiendra donc pas trop rigueur à l’auteur pour ces quelques coquilles.
Malgré sa brièveté, Bowie, l’autre histoire se révèle donc un essai intéressant. Sans être un incontournable dans la longue liste d’ouvrages dédiés à l’artiste, le livre de Patrick Eudeline manifeste une passion véritable à l’égard de son sujet, tout en restant lucide et critique. Grâce à ses connaissances de l’histoire du rock, le critique évoque l’impact de David Bowie sur la musique en mettant son oeuvre en contexte, démonte aussi certains mythes entourant l’artiste, des croyances erronées qui ont la peau dure. Cela peut être une bonne introduction à la vie et l’oeuvre de cet homme aux multiples visages, bien que, en raison du côté parfois fragmentaire du livre, qui survole certaines périodes, on le conseillera sans doute davantage à ceux qui sont déjà bien familiers de son univers. Si ces derniers n’apprendront sans doute pas grand chose de neuf, ils devraient en revanche être enthousiasmés par la vision de Patrick Eudeline, qui évoque aussi l’impact que la musique de Bowie eut sur lui et n’est jamais meilleur que lorsqu’il évoque Black Star et « Lazarus », mais aussi le très mésestimé album de reprises Pin-Ups (1973), auquel il apporte un éclairage tout à fait intéressant. On pardonne alors aisément les quelques erreurs factuelles pour ne retenir que la pertinence de l’ensemble.
Bowie, l’autre histoire de Patrick Eudeline, Editions de la Martinière, 24 mars 2016, 144 pages. 14,90€