Caractéristiques
- Titre : Alice
- Réalisateur(s) : Jerzy Gruza & Jacek Bromski
- Avec : Sophie Barjac, Jean-Pierre Cassel, Susannah York, Paul Nicholas..
- Editeur : Cool Cat
- Date de sortie Blu-Ray : 25 Juin 2016
- Date de sortie originale en salles : 1982
- Durée : 100 minutes
- Note : 7/10 par 1 critique
Image : 2.5/5
La rareté d’Alice excusera une qualité de transfert imparfaite du côté de la définition, de la colorimétrie et des différentes accroches dues aux ravage du temps. Cela reste tout à fait regardable, et puis… ne boudons pas notre plaisir de la découverte.
Son : 3.5/5
C’est beaucoup plus carré de ce côté. La piste Stéréo en version originale sous-titrée en français est tout à fait satisfaisante, proposant un équilibre global honorable au possible. Quelques petites imperfections de ci, de là, mais rien qui puisse véritablement se remarquer en plein visionnage. Du travail sérieux.
Bonus : 5/5
Ce sont des suppléments très complets que nous proposent Cool Cat pour cette édition limitée. Le DVD contient ainsi pas moins de trois entretiens, réalisés en novembre 2015, revenant en détail sur la genèse du projet, son tournage et sa sortie : l’un, de 35 minutes, avec Sophie Barjac, le second avec le compositeur Henri Seroka et le dernier réunissant Barjac et Seroka. L’occasion d’en apprendre davantage sur les conditions de tournage particulières de cette comédie musicale internationale tournée en Pologne, à l’époque où de violents conflits déchirent le pays ou encore sur les raisons pour lesquelles le film était resté inédit en France. Passionnant et instructifs, ces témoignages apportent un autre éclairage à Alice.
Synopsis
Dans un parc inondé de lumière, Alice rencontre un jogger surnommé Rabbit, elle tombe amoureuse de lui et commence alors un long voyage initiatique qui l’emmène de fêtes somptueuses et décadentes en rencontres fantasmagoriques. La fascinante et énigmatique Queenie, jalouse de sa beauté et de l’amour de Rabbit, décide de faire disparaître ce dernier selon un plan très élaboré dont elle a le secret…
Le film
Tourné en langue anglaise à la fin des années 70 et sorti en 1982 en Pologne, Alice de Jerzy Grouza et Jacek Bromski était resté inédit chez nous jusqu’à aujourd’hui, malgré ses deux têtes d’affiche françaises, Sophie Barjac (dont c’était le premier rôle important au cinéma) et Jean-Pierre Cassel. Oeuvre culte en Pologne, où la B.O. était d’ailleurs sortie en vinyle, le film est donc resté dans les placards partout ailleurs pendant plusieurs décennies, jusqu’à la parution de cette jolie édition steelbook limitée à 500 exemplaires. Dans les suppléments, le compositeur des chansons, Henri Seroka, émet l’hypothèse que Jean-Pierre Cassel, dont la voix parlée fut doublée de manière absolument imprévue et incompréhensible alors qu’il maîtrisait parfaitement la langue de Shakespeare, ait pu user de son influence pour que le film ne sorte pas en France. Les mauvaises langues, quant à elles, diront que la qualité de l’ensemble justifiait peut-être cette étonnante mise en quarantaine
Après avoir découvert ce mystérieux et méconnu Alice, deux constatations s’imposent : le scénario, comme le reconnaît d’ailleurs Henri Seroka, aurait mérité d’être davantage travaillé avant le tournage, mais le charme qui se dégage de l’ensemble laisse malgré tout une impression mémorable grâce à un dernier tiers onirique et psychédélique qui rattrape les longueurs et maladresses de la première partie. Si le film de Jerzy Gruza et Jacek Bromski se présente comme une adaptation adulte et très libre d’Alice au pays des merveilles, il ne faut pas se leurrer si on veut avoir des chances d’apprécier l’expérience : le rapport avec l’oeuvre d’origine est très lâche et tient davantage à des éléments de surface (le nom des personnages, certaines répliques…) qu’à une véritable transposition des thèmes profonds abordés par Lewis Carroll. Si l’idée générale de découvrir un nouveau monde extravagant ou encore de voir au-delà de l’apparence des gens et des choses est reprise, cela est fait de manière tellement superficielle et convenue (ah, la « décadence » des riches et puissants !) qu’établir un parallèle avec l’œuvre originelle ne peut se faire qu’au détriment de cette comédie musicale plaisante au demeurant.
L’intrigue se concentre sur une jeune femme divorcée, Alice (Sophie Barjac), dont les rêveries quotidiennes et son amitié avec une petite fille qui veut jouer à la grande l’assimilent immédiatement à une femme-enfant un peu perdue. Si les dialogues entre les deux sont parfois téléphonés, notons tout de même que cette inversion enfant-adulte est intéressante et se détache clairement d’une première partie un peu trop laborieuse dans sa mise en place. La présentation et le développement du personnage de Queenie (la Reine de Cœur, donc) est assez décevante par exemple, malgré l’interprétation de Susannah York, puisqu’il s’agit simplement d’une femme riche, puissante, manipulatrice et autoritaire (sur laquelle nous ne savons presque rien, du reste) qui crie à tout va « Qu’on lui coupe la tête ! ». Surtout, le parcours vaguement initiatique d’Alice lorsqu’elle tombe amoureuse de Rabbit (Jean-Pierre Cassel) ne suscite pas un grand intérêt et semble même assez artificiel. Si l’on ajoute à cela des premières chansons un peu moyennes, de mauvais play-back et synchronisations de certains acteurs secondaires et un numéro dansé entre Jean-Pierre Cassel et une voisine filmé bien platement pour une comédie musicale (malgré une chorégraphie parfaitement exécutée par l’acteur français), force est d’admettre que le film de Gruza et Bromski ne démarre pas sous les meilleurs auspices.
Cependant, le film se rattrape par la suite : Henri Seroka nous réserve quelques titres de pop-disco 70’s mémorables qui restent longtemps en tête (« Love is the Answer », mais aussi « I’m a Psychologist »), interprétés par l’Anglaise Lulu, qui double Sophie Barjac lorsque Alice chante, et surtout, les réalisateurs se lâchent enfin et mettent une belle inventivité baroque dans la représentation théâtrale et hallucinée du « trip » d’Alice une fois qu’elle a ingéré une pilule. Vêtue d’une longue robe blanche évoquant une robe de chambre, elle danse dans un décor mi-usine mi-discothèque, encerclée puis capturée par des personnages masqués qui veulent la livrer à Queenie, s’échappe sur une échelle d’hélicoptère… L’onirisme et la folie invoqués par l’histoire font enfin surface, donnent du nerf aux passages musicaux et laissent transparaître une vision assez troublante, qui se poursuit avec la séquence dans l’asile psychiatrique. Peu importe, alors, que les manigances de Queenie pour se venger de Rabbit paraissent assez brouillonnes ou que la toute dernière séquence ne soit pas aussi marquante que le feu d’artifice psychédélique qui a précédé. L’utilisation de la boucle temporelle est d’ailleurs finalement assez sympathique et évite une interprétation fermée simpliste de type « Tout cela n’était qu’un rêve ». Quant à Sophie Barjac, elle apporte une candeur et une spontanéité bienvenues et s’impose avec un charme évident qui vient compenser en partie le développement assez pauvre du personnage. Même durant les passages les moins convaincants du film, le spectateur maintient malgré tout son attention pour continuer à la suivre, et c’est tout à son honneur.
Drôle de film, donc, que cet Alice inégal mais intriguant, parfois décevant, mais finalement charmant, avec un long morceau de bravoure qui mérite clairement le détour. Le contexte de production particulier, approfondi dans les bonus (incontournables) du DVD, expliquent sans doute en partie ces maladresses et invitent à une certaine indulgence. A condition de ne pas chercher dans cette version très libre d’Alice au pays des merveilles une transposition sérieuse de l’œuvre de Lewis Carroll, le film de Jerzy Gruza et Jacek Bromski se laisse apprécier pour son charme rétro et son côté baroque comme une sympathique fantaisie 70’s.
Alice de Jerzy Gruza et Jacek Bromski, DVD, Cool Cat. 19,67€.