Résumer l’évolution des droits des femmes en France des années 50 à aujourd’hui en 1h10 et avec légèreté ? C’est à ce pari pas vraiment simple que s’est attaqué la troupe du Pompon pour leur nouveau spectacle Et pendant ce temps Simone veille, actuellement en représentation au Théâtre de la Contrescarpe jusqu’au 7 janvier 2017. Les auteures — parmi lesquelles ont compte 2 des comédiennes de la pièce — ont choisi de mettre en scène quatre générations de femmes, afin de prendre la mesure des droits acquis et du chemin restant encore à parcourir.
L’évolution des droits des femmes vue par le théâtre de boulevard
Le spectateur fera dans un premier temps la connaissance de trois femmes — deux d’origine modeste, l’autre bourgeoise — avant de suivre les aventures de leurs filles, petites filles et enfin arrières-petites filles, le tout dans la veine humoristique et gentiment outrancière du théâtre de boulevard parisien. Le texte est ainsi rempli de bons mots, les répliques fusent et le jeu des comédiennes appuie souvent les caractères très tranchés de leurs personnages. Afin de rappeler les dates-clés des droits des femmes en France et interpeller tout ce petit monde qui manque de recul historique ou de recul tout court, une certaine Simone, qui “veille” sur elles tout du long… Vous avez saisi ? Parfait ! Car la pièce de théâtre, qui rend donc un hommage vibrant à Simone Veil, “qui a fait de la femme une personne”, comme le chante le casting en choeur, opère d’un bout à l’autre dans cette tonalité, avec un humour reposant beaucoup sur les calembours et autres jeux de mots.
C’est parfois très inspiré, d’autres fois beaucoup moins, mais toujours léger. Loin de tout féminisme “radical” excluant les hommes sous couvert de méfiance (puisque le système patriarcal leur donne l’avantage, rendant tout engagement de leur part en faveur du sexe opposé “suspect”) et utilisant la culpabilisation à outrance sans s’apercevoir que renvoyer les deux sexes dos à dos ne fait que creuser le fossé que le féminisme dénonce avec raison, Et pendant ce temps Simone veille se moque des petits et grands travers de chacun et chacune, dénonce les inégalités sans tomber dans la caricature, et se donne autant pour mission d’instruire les jeunes générations en rappelant les différentes dates-clés de la lutte des droits des femmes, que de divertir.
Outre les innombrables jeux de mots et les interventions très enjouées de Simone, on aura ainsi l’occasion de découvrir quelques parodies particulièrement entêtantes de quelques grands tubes de la variété française tels que “Bambino” ou “Belle” de la comédie musicale Notre Dame de Paris qui vient justement de reprendre au Palais des Congrès de Paris. Si l’on n’est pas très sûrs du bon goût de chanter “Veil” sur l’air de ce dernier titre, qui fait un peu kitsch sur les bords, ces paroles remaniées sont interprétées avec une telle conviction que l’on finit par accepter cet hommage cocasse. Quant à la parodie de “Bambino”, il s’agit sans doute de la plus drôle de la pièce (qui en compte quelques autres), où les comédiennes parlent des changements survenus dans la libido des femmes avec l’arrivée des moyens de contraception.
Bien sûr, il y a également de petites maladresses, comme lorsque les comédiennes rappellent en conclusion que le féminisme ne prône pas un retournement de la domination d’un sexe sur l’autre, mais l’égalité… avant de chanter “le 21e siècle sera féminin”, ce qui peut apparaître comme un contresens puisque, sur le principe, hommes et femmes devraient être au même niveau, au sein d’une société ne privilégiant pas l’un plus que l’autre de manière globale. Mais l’un dans l’autre, Et pendant ce temps Simone veille ne dresse pas un constat utopiste ni alarmiste de notre époque, et si le comportement de ces messieurs est épinglé, les femmes ne sont pas épargnées pour autant, elles que la société de consommation manipule encore et toujours dès que sonne l’heure des soldes.
Une société de consommation qui n’hésite pas, d’ailleurs, à déguiser ses arguments commerciaux sous des messages d’émancipation ou de bien-être… Exactement comme le fameux slogan des années 50 “Moulinex libère la femme” qui fait l’objet de toute une scène dans la pièce ! Cependant, cette folie collective touche aussi les hommes à présent, si l’on considère un instant les hordes de mâles de tous poils faisant la queue durant des heures à la sortie de chaque nouvel iPhone ou iWatch.
Un spectacle populaire, léger et instructif
Si on a de prime abord l’impression que la pièce, par son écriture très “boulevard”, s’adresse davantage à un public de quarante ans et plus, il devient assez vite évident qu’il s’agit d’un spectacle populaire et inclusif (non, les hommes ne seront pas châtiés, même si Monsieur au premier rang aura le droit à un petit rappel sur les tâches ménagères, gros yeux à l’appui) pouvant être apprécié à 16 comme à 70 ans. Alors certes, on notera quelques lourdeurs dans le texte, qui flirte volontairement avec la caricature et commence de manière assez laborieuse, ou encore un certain didactisme dans la présentation des avancées historiques, qu’on aurait souhaitée plus folle, plus grinçante et moins faussement subversive.
Mais la pièce trouve assez vite un équilibre entre “cours magistral” de droit social et spectacle de boulevard, tandis que les comédiennes parviennent à nous rendre leurs personnages attachants alors même que l’on craignait, lors des premières minutes du spectacle, que les auteures n’enfoncent le clou en matière de clichés (l’ouvrière épaisse, illettrée au langage de charretier face à la bourgeoise élégante, cultivée et ancienne chef d’usine), ce qu’elles évitent finalement, notamment en développant des rapports bien plus complexes entre leurs personnages que ce que le début ne suggérait. Sans être complètement emballés, on en ressort donc avec le sourire aux lèvres, et avec quelques dates et faits marquants que les acquis sociaux ont pu nous faire oublier.
Et pendant ce temps Simone veille, au Théâtre de la Contrescarpe, Paris 5e, jusqu’au 29 juillet 2017. Informations sur le site du théâtre.