[Test – DVD] La danseuse — Stéphanie Di Giusto

Caractéristiques

  • Titre : La danseuse
  • Réalisateur(s) : Stéphanie Di Giusto
  • Avec : oko, Mélanie Thierry, Lily-Rose Depp, Gaspard Ulliel, François Damiens, Amanda Plummer, Denis Ménochet…..
  • Editeur : Wild Side
  • Date de sortie Blu-Ray : 1 février 2017
  • Date de sortie originale en salles : 28 septembre 2016
  • Durée : 107 minutes
  • Note : 7/10

Image : 5/5

Bon transfert, avec d’excellents contrastes, à la fois sur les scènes en extérieur, et pendant les scènes de spectacle, où la profondeur des noirs est pleinement satisfaisante. La colorimétrie, de toute beauté, restitue la très belle photographie du chef op’ Benoît Debie, déjà remarqué pour son travail sur Irréversible, Enter the Void, Vinyan ou encore Spring Breakers.

Son : 4,5/5

Le film est proposé dans sa version française (comportant des dialogues en anglais sous-titré français), avec la possibilité de le visionner avec des sous-titres spéciaux pour les sourds et malentendants. Deux pistes sont proposées : Dolby Digital 2.0 et DTS 5.1. Bon mixage sur la piste 5.1, avec une bon équilibre entre dialogues, musiques et bruitages et une spatialisation satisfaisante. Une bonne performance pour un DVD où la musique joue un rôle important, même si les effets surrounds seront sans doute plus impressionnants en version Blu-Ray, Master HD oblige.

Bonus : 2/5

Seules quatre featurettes centrées sur les personnages principaux, une galerie photos et une bande-annonce sont proposés en suppléments de cette galette, ce qui est bien peu. Le point de vue des acteurs et de la réalisatrice sur les personnages est certes pertinent, mais la très courte durée de chaque vidéo (2 minutes maximum, voire moins, en enlevant les extraits de film) en fait davantage des bonus promotionnels assez anecdotiques. Dommage ! Pour le making-of complet (51 minutes) et les nombreuses scènes coupées, il faudra se rabattre sur le Blu-Ray.

Synopsis

Loïe Fuller est née dans le grand ouest américain. Rien ne destine cette fille de ferme à devenir la gloire des cabarets parisiens de la Belle Epoque et encore moins à danser à l’Opéra de Paris. Cachée sous des mètres de soie, les bras prolongés de longues baguettes en bois, Loïe réinvente son corps sur scène et émerveille chaque soir un peu plus. Même si les efforts physiques doivent lui briser le dos, même si la puissance des éclairages doit lui brûler les yeux, elle ne cessera de perfectionner sa danse. Mais sa rencontre avec Isadora Duncan, jeune prodige avide de gloire, va précipiter la chute de cette icône du début du 20ème siècle.

image soko et figurants la danseuse

Le film

Pour les passionnés de danse et des arts de la scène, son nom est une légende. Le grand public, lui, ne la connaît pas forcément, cette mystérieuse artiste qui refusa toujours d’être filmée. Pourtant, Loïe Fuller était une artiste avant-gardiste, qui contribua grandement à définir les contours de la danse moderne en compagnie d’un autre grand nom de l’époque, Isadora Duncan, dont l’approche était pourtant opposée à la sienne dans le fond. Née Mary-Louise Fuller, l’artiste accéda à la gloire avec sa danse de lumière, où son corps, plongé dans le noir, disparaissait au profit des mouvements amples de son immense robe de soie à voiles, éclairée par de nombreux projecteurs de couleur. Les spectateurs médusés avaient alors l’impression de voir devant eux une sublime forme mouvante se métamorphosant continuellement pour devenir papillon, orchidée…

Isadora Duncan, elle, prônait une approche simple et naturelle de la danse, avec un retour au corps et sa beauté proche de leur conception dans la Grèce antique. Deux femmes avant-gardistes, bisexuelles, hors de toutes conventions, que la réalisatrice Stéphanie Di Giusto, qui signe son premier long-métrage, met en scène dans ce qui apparaît davantage comme une évocation de l’oeuvre de Loïe Fuller et de cette période charnière, à cheval entre le XIXe et le XXe siècle, que comme un biopic au sens traditionnel du terme. D’ailleurs, le générique indique clairement que La danseuse est « librement inspiré » d’une biographie consacrée à l’artiste.

Il ne faut donc pas prendre pour argent comptant tout ce qui est montré à l’écran : les personnages de Loïe Fuller et de Isadora Duncan ont été considérablement rajeunis puisque, au moment où elle commence à se produire aux Folies Bergères, Loïe Fuller n’a pas 25 ans, mais 32. De même, si Isadora rejoint bien sa compagnie de jeunes danseuses vers 1902, celle-ci a déjà 25 ans à l’époque, tandis que le film suggère, au détour d’une scène, que la jeune fille doit demander l’autorisation à sa mère avant de signer un contrat car elle n’est pas encore majeure. On notera aussi (ce qui a fait polémique), que le personnage incarné par Gaspard Ulliel, Louis d’Orsay, n’a jamais existé, mais que Loïe Fuller a en revanche été mariée pendant 3 ans à un riche agent immobilier américain, William Hayes, dont elle divorce en 1892 pour bigamie. Quant à Gabrielle Bloch, elle était bien plus jeune que la danseuse (et plus jeune que Isadora Duncan), et les deux femmes se rencontrèrent plus tard, avant de collaborer et de vivre ensemble.

Une évocation romancée de l’oeuvre de Loïe Fuller

image soko gaspard ulliel la danseusePar cette approche volontairement romancée, La danseuse se rapproche donc davantage du Fur de Steven Sheinberg avec Nicole Kidman, évocation fantasmée de l’oeuvre de Diane Arbus, que d’un biopic censé être « fidèle ». Le but n’est pas de faire preuve de « révisionnisme », comme cela a été reproché à Stéphanie Di Giusto, mais de retranscrire l’essence de l’art de Loïe Fuller, son énergie folle, sa sensualité et son avant-gardisme au tournant du siècle, alors que l’électricité vient de faire son apparition et qu’un nouveau monde, fait de progrès, commence à s’ébaucher, malgré les réticences des tenants d’une conception plus classique. Le personnage de Louis d’Orsay, ce dandy dépressif, impuissant et intoxiqué à l’étain, qui soutiendra la jeune femme tout en semblant paradoxalement s’accrocher aux vestiges des jours anciens, est ainsi utilisé comme l’incarnation même de ce XIXe siècle mourant, plutôt que pour faire rentrer Loïe Fuller dans la norme hétérosexuelle, comme cela a été avancé.

On notera d’ailleurs à ce sujet que si lui est clairement amoureux d’elle, l’artiste ne voit en lui qu’un doux et tendre confident et protecteur un peu triste sur lequel elle peut s’appuyer, mais qu’elle ne désire en aucun cas, sa préférence allant de manière évidente aux femmes. Les accusations portées à l’encontre de cette partie de l’intrigue sont donc assez injustifiées, y compris celles de validation de la culture du viol. A l’apparition de Gaspard Ulliel dans le rôle, on a en effet un peu peur tant la caractérisation de ce personnage de dandy presque désuet, déterminé à séduire une jeune femme « farouche », fait assez cliché, sans parler d’une fausse moustache un peu ridicule. Mais si le duc se montre un peu insistant au départ, il refuse également par deux fois de profiter de la jeune femme lorsqu’il voit qu’elle se livre à lui à contrecoeur, et leurs relations à l’écran restent globalement platoniques, à l’exception d’un ou deux baisers.

Un début intrigant et des scènes de danse de toute beauté

image soko dans le rôle de loïe fuller la danseuseMais revenons plus en détail sur les partis pris narratifs et esthétiques du film. Le début, façon western, est déroutant : on saisit, par la suite, que Stéphanie Di Giusto cherche à souligner que Mary-Louise Fuller, avant de renaître sous un autre nom et de devenir une figure avant-gardiste, était au départ une fille de l’Ouest américain, née à l’époque mythique et fantasmée des chercheurs d’or, une période qui appartient au XIXe siècle donc, et dont la fin est annoncée, en préambule, par la mort du père, assassiné par des mercenaires. Cette première partie est purement symbolique, d’autant plus que la vraie Loïe Fuller est née dans la banlieue de Chicago, mais, si on comprend l’intention, on pourra regretter que les origines du personnage soient assez peu exploitées par la suite, si ce n’est pour montrer que cette vie dure et périlleuse l’a conduite à glisser un revolver sous son oreiller la majeure partie de sa vie. Ou alors pour suggérer, de manière un peu simpliste, que le fait de tournoyer, au départ maladroit et peu gracieux, lui rappelait peut-être les jours auprès de son cher papa, quand elle était encore une « fille de la campagne », et les soirs de fête autour du feu. Cependant, ce préambule, bien réalisé, dans un style qui tranche de manière assez radicale avec le reste, parvient à intriguer.

Le film tatonne ensuite un moment, entre la rencontre de la jeune femme avec un metteur en scène sans scrupules et, celle, plus positive, avec le duc Louis d’Orsay, pour trouver un ton et un rythme. Quelques dialogues ne fonctionnent pas, certaines choses sont peu claires, un peu brouillonnes, on craint que la réalisation ne s’enlise… Cependant, à partir du moment où Loïe Fuller franchit la porte des Folies Bergères, le film trouve ses marques et nous embarque enfin. La création artistique prend enfin le pas sur les errances de la jeune femme, et on découvre une artiste extraordinaire, plus metteur en scène que danseuse dans le fond (elle se servait presque uniquement de ses bras, et très peu de ses pieds), qui semblait se libérer du cadre étriqué d’un corps qui la trahira de plus en plus en raison de la discipline infernale qu’elle lui imposait, pour atteindre une grâce aérienne assez hypnotisante.

Toutes les scènes de représentation, dans lesquelles la chanteuse et comédienne Soko, qui incarne Loïe Fuller, n’est à aucun moment doublée, ont en ce sens quelque chose de magique et infiniment touchant puisqu’ils retranscrivent bien ce sentiment. Jusqu’à la fin, l’artiste poursuit sa vision, ajoute toujours plus de complexité à sa technique, qu’elle est la seule à comprendre à une époque où jouer des effets d’éclairages sur scène n’était pas encore rentré dans les moeurs. Stéphanie DiGiusto se montre inspirée dans ces scènes de répétition ou de représentation, où les corps entrent en action, loin des conventions encore assez rigides de l’époque.

Loïe Fuller et Isadora Duncan : désir et jeux de miroir

image soko lily-rose depp la danseuseLe personnage d’Isadora Duncan, est également introduit de manière intéressante et apporte une énergie, une grâce juvénile, et un très léger parfum de soufre. Lily-Rose Depp, très médiatisée avant même de faire ses débuts au cinéma, apparaît confondante de naturel dans ce rôle, auquel elle donne une présence magnétique, un côté séducteur et manipulateur, mais aussi une vraie candeur. Bien que sa présence à l’écran soit bien plus réduite que celle de Mélanie Thierry, tout en regards intenses et retenue, ses apparitions sont suffisamment marquantes pour qu’on comprenne que Loïe Fuller se consume de désir pour elle. Cette partie a elle aussi fait polémique puisque la vraie relation lesbienne de Fuller (avec son assistante Gabrielle) a été éludé, au profit de ce flirt avec la jeune nymphe, qui ne se termine pas très bien.

Pourtant, l’intérêt de cette sous-intrigue ne tient pas à sa finalité, mais bien à la confrontation de ces deux figures iconiques de la danse, qui ont révolutionné cet art chacune à leur manière, quoi que de manière fort différente. Le désir de Loïe pour Isadora n’est pas qu’une simple passion lesbienne, elle est aussi un jeu de miroir, où l’artiste aux voiles convoite la liberté et la légèreté d’une danseuse dont l’essence est entièrement différente de la sienne, qui est même par certains côtés sa parfaite antithèse : quand Loïe disparaît derrière sa robe et ses voiles de soie et fuit le regard de son public, Isadora est une artiste on ne peut plus charnelle, qui n’hésite pas à s’exposer, sur scène et en dehors.

Ce jeu de dupes et de cache-cache n’est pas utilisé dans le but de discréditer tout désir ou relation lesbienne comme cela a été avancé, mais bien pour pousser Loïe Fuller la discrète à assumer pleinement l’artiste qu’elle est, sans se cacher derrière une autre au moment où on lui donne l’occasion de réaliser son rêve de se produire à l’Opéra. Il y a un vrai cheminement, fort et cohérent de ce côté-là, dans la relation de l’artiste a son art, mais aussi à son corps et au public, et c’est ce qui donne finalement au film sa force, sa beauté et son intérêt, tout simplement. La danseuse se révèle alors être une oeuvre habitée d’une belle force de vie, avec quelques moments de fulgurance émotionnelle et visuelle malgré les maladresses de la première partie.

La danseuse de Stéphanie Di Giusto, DVD, Wild Side, sortie le 1 février 2017. 15,01€.

Article écrit par

Cécile Desbrun est une auteure spécialisée dans la culture et plus particulièrement le cinéma, la musique, la littérature et les figures féminines au sein des œuvres de fiction. Elle crée Culturellement Vôtre en 2009 et participe à plusieurs publications en ligne au fil des ans. Elle achève actuellement l'écriture d'un livre sur la femme fatale dans l'œuvre de David Lynch. Elle est également la créatrice du site Tori's Maze, dédié à l'artiste américaine Tori Amos, sur laquelle elle mène un travail de recherche approfondi.

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