Un nouveau 24h Chrono ?
Alors que sa diffusion s’est achevée fin janvier aux États-Unis, la saison 1 de la nouvelle série d’USA Network, Shooter, débarque en France sur la chaîne 13ème rue dès le 5 mars à 20h55, à raison d’un épisode chaque dimanche. Produite par Mark Wahlberg (Deepwater, Boogie Nights…), déjà producteur sur la géniale Boardwalk Empire, la série marque le grand retour de Ryan Philippe, que l’on avait perdu de vue depuis son rôle récurrent dans Damages en 2012. L’ancien sex-symbol des ados des années 90 y joue le rôle de Bob Lee Swagger, présenté comme le plus grand sniper américain, ancien héros de la guerre en Afghanistan détenant le record de cibles atteintes.
Alors qu’il jouit d’une retraite bien méritée à l’abri des regards, en compagnie de sa femme (interprétée par Shantel VanSanten) et leur fille de 8 ans Mary, un de ses anciens responsables sur le terrain vient le trouver pour une dernière mission : déjouer un attentat contre le président américain, qui devrait avoir lieu lors de sa rencontre avec le président ukrainien. Bien entendu, rien ne se déroulera comme prévu, et le vétéran se retrouvera avec de nombreux ennemis aux trousses, qu’il devra fuir tout en cherchant à déjouer les fils d’une machination complexe.
Un plaisir coupable assez prenant
Comme on peut le deviner à la lecture de ce pitch de départ, un faux air de 24h chrono plane au-dessus de Shooter, série librement adaptée du film du même nom avec Mark Wahlberg, lui-même tiré d’un roman de Stephen Hunter. Bien que la réalisation respective des deux programmes soient incomparables, on y trouve un rythme trépident avec des épisodes enchaînant les rebondissements, et un héros surpuissant lancé dans une véritable course contre la montre. Si la mise en place de l’intrigue au sein de l’épisode pilote est très plan-plan, avec une mise en scène assez fade et un retournement que l’on sent venir de loin, les dernières minutes sont suffisantes pour donner envie de regarder la suite.
Les épisodes suivants (la saison 1 en compte 10 en tout, nous en avons vu à la moitié) confirment le potentiel de Shooter de « plaisir coupable » : nous avons beau voir les ficelles, il est facile d’enchaîner les épisodes en soirée, grâce à un scénario réservant suffisamment de surprises à défaut d’être crédible, et au capital sympathie de Ryan Philippe, assez attachant dans le rôle. Soyons clairs : l’acteur n’a jamais été un grand, mais il a parfois — bien que trop peu — été utilisé de manière brillante par des réalisateurs qui ont su tirer le meilleur de lui, le dernier en date étant Clint Eastwood dans Mémoires de nos pères (2006), où il incarnait déjà un soldat. Ici, son jeu est sobre et globalement juste, bien qu’un peu trop figé. Le spectateur ne peut que se prendre d’empathie pour son Bob Lee Swagger, mais, à sa décharge, le personnage, éternel héros américain, inspire immédiatement la certitude profonde qu’il ne nous surprendra pas.
Il faudra alors compter sur le développement des personnages secondaires pour assurer côté « surprises », mais jusque-là, le résultat est mitigé. L’agent du FBI Nadine Memphis (Cynthia Addai-Robinson) est sympathique, perspicace, mais possède peu d’aspérités tandis que la femme de Swagger, Julie, révèle un caractère de plus en plus fort, mais ne semble pas, jusque-là, vouloir sortir de son rôle de mère au foyer et épouse dévouée. Reste donc à exploiter le potentiel de Jack Payne (Eddie McClintock), ou encore celui du de Hugh Meachum, interprété par un Tom Sizemore charismatique, et dont on sait qu’il possède l’étoffe pour incarner un personnage complexe et ambigu. Jusqu’à ce cinquième épisode, l’attention reste néanmoins fixée sur la relation unissant Bob Lee Swagger à son ancien responsable et ami Isaac Johnson (Omar Epps), ce dernier étant montré comme un homme fuyant, aux motivations assez difficiles à cerner, mais que les scénaristes semblent vouloir explorer d’un bout à l’autre. Assez propre sur lui, le personnage est de prime abord assez lisse et peu charismatique, assez passe-partout, mais il n’appartiendra qu’aux scénaristes et au showrunner John Hlavin d’en jouer pour atteindre un résultat intéressant.
Patriotique ?
En ce qui concerne le fond, Shooter n’est pas une série qui se pose de grandes questions : les épisodes ne cherchent pas à s’interroger sur le contexte géopolitique et l’espionnage à la manière de Homeland, mais privilégient avant tout le suspense et l’action. Il ne s’agit pas non plus d’une oeuvre aussi expressément patriote que 24h chrono puisque le traumatisme important des vétérans de guerre est abordé à plusieurs reprises, en mettant l’accent sur le fait que ceux-ci ne sont pas honorés à la hauteur de leur sacrifice par leur pays, qui n’hésite pas à les utiliser comme des pions, mais est très prompt à les oublier. Le fort taux de suicide est lâché au détour d’un épisode, afin d’appuyer un peu plus ce lourd tribut payé par les vétérans.
Néanmoins, la série est volontiers ambigüe sur un certain nombre de points : traumatisé par la mort de son meilleur ami, tué par un sniper tchétchène, l’impact direct des exploits de Swagger sur son mental n’est pour l’instant pas évoqué, ce qui pourrait s’avérer assez manichéen si la série fait le choix de passer cet aspect sous silence. Difficile en effet d’imaginer qu’un tireur d’élite ayant liquidé près de 400 ou 500 soldats ennemis n’en ressente pas les effets… Son statut de héros national traité de manière injuste est d’ailleurs sans cesse glorifié, ce qui va dans le sens d’un certain patriotisme. On n’imagine pas une seconde que le personnage ait pu se retrouver face à des choix éthiques douloureux au cours d’une mission, de type avoir à tirer sur un enfant armé d’une grenade, à la manière d’American Sniper de Clint Eastwood, qui avait été très commenté, parfois critiqué, mais qui s’attachait à montrer l’ambiguïté fondamentale de son héros, et la dissociation parfois assez effrayante causée par la guerre. Il sera donc intéressant de voir si Shooter poursuit dans cette direction du héros au-dessus de tout reproche, ou si la situation et le conditionnement des soldats sera explorée plus en amont.
Entre la paranoïa post-11 septembre et la naïveté des années 90
Shooter est donc, en définitive, un programme de divertissement assez franc dans son approche : il s’agit du type de série devant laquelle on peut apprécier de s’asseoir en fin de journée, à défaut de susciter l’envie de revoir les épisodes. La réalisation, assez banale, joue sur le suspense, sans parvenir au même dynamisme que 24h chrono, dont la série pourrait être une petite soeur. Malgré un début un peu laborieux, Shooter parvient néanmoins à réserver suffisamment de rebondissements dans son intrigue pour donner envie aux spectateurs de regarder la suite, afin de voir comment Bob Lee Swagger parviendra à se tirer de ce très mauvais pas. Ryan Philippe se révèle tout à fait sympathique dans le rôle de ce sniper ultra-intègre et dont l’extrême habileté fait de lui une sorte de super-héros invincible. On ne craint du coup pas vraiment grand chose pour lui, ce qui est l’un des points faibles de la série jusqu’à la mi-saison, la question n’étant pas de savoir s’il va s’en sortir, mais simplement comment.
En cela, et par son approche très positive du statut de héros de guerre, qui fait de Bob Lee Swagger un personnage ultra-positif, Shooter semble à cheval entre la paranoïa post-11 septembre et l’approche plus directe et naïve des séries grand public des années 90, ce qui n’est pas foncièrement déplaisant. Reste à voir quel sera le point de chute de la saison, et surtout comment le showrunner amorcera la suite, puisqu’une saison 2 a d’ores et déjà été annoncée. On a en effet un peu du mal à imaginer comment le programme, qui aurait pu constituer une bonne mini-série, parviendra à se développer sans tomber dans de plus gros artifices, à moins de se renouveler intelligemment et d’axer les saisons suivantes autour de nouvelles problématiques, plutôt qu’autour d’un complot à la résolution sans cesse repoussée…
Shooter, série créée par John Hlavin, avec Ryan Philippe, 10×41 minutes, 2016-2017. Diffusion sur 13e Rue le dimanche à 20h55, à partir du 5 mars 2017.