[Critique] Message from the King : Sous les paillettes, le béton

Caractéristiques

  • Titre : Message from the King
  • Réalisateur(s) : Fabrice Du Welz
  • Avec : Chadwick Boseman, Luke Evans, Teresa Palmer, Natalie Martinez, Tom Felton, Alfred Molina…
  • Distributeur :  The Jokers
  • Genre : Thriller
  • Pays : Grande-Bretagne, France, Belgique
  • Durée : 102 minutes
  • Date de sortie : 10 Mai 2017
  • Note du critique : 6/10

Trois ans après son très remarqué Alleluia, Fabrice du Welz est de retour avec un film de commande tourné aux États-Unis, sur lequel il ne cache pas avoir dû faire avec les contraintes de l’Usine à Rêves, qui l’ont obligé à écourter telle trame narrative ou opter pour un recours au score de Vincent Cahay plus intensif que ce qu’il aurait souhaité. Un film dont l’affiche est estampillée “Par les producteurs de Drive et Night Call” afin de donner la couleur et rentabiliser sur l’aura brute et sombre de L.A. telle qu’elle transparaît dans le cinéma indépendant de ces dernières années. Sur la base de ces éléments, on pourrait se dire que Message from the King est sans doute un film lisse et marketé, plus commercial que le reste de la filmographie du cinéaste belge. Et pourtant ! Sans être irréprochable, il s’agit sans conteste d’une bonne surprise, qui vient déjouer les attentes, malgré quelques ficelles scénaristiques un peu plus conventionnelles.

S’il s’agit bel et bien d’un vigilante movie, le thriller de Du Welz n’est pas véritablement centré sur la question raciale, comme certains ont pu le supposer en imaginant un héros se rebellant contre des Blancs corrompus. Si la couleur de peau est mentionnée par un personnage à un moment donné (“De toute façon t’es une Noire ! Ca fera pas un pli”, en gros) et que les origines sud-africaines précaires de Jacob King sont relevées à plusieurs reprises par ses opposants, avec leur lot de présupposés sur son identité et la violence dont il est capable, Message from the King n’est pas pour autant une version moderne de Django Unchained. Il faut dire que le héros, incarné par le très charismatique Chadwick Boseman, d’une belle justesse d’un bout à l’autre, est un être pour le moins pragmatique : débarqué dans la mégalopole californienne suite à un message désespéré de sa soeur sur son répondeur l’enjoignant à l’aider, il n’a de cesse, après l’avoir rapidement retrouvée dans une morgue, de reconstituer ce qui s’est passé afin de faire payer les responsables, envoyant des “messages” sanglants par le biais de leurs intermédiaires à mesure qu’il remonte leur piste.

Alors, bien sûr, il y a bel et bien un contexte social glaçant qui se dégage à travers ce portrait de la face sombre de Los Angeles, où ceux que la ville a “rejetés”, ou plutôt engloutis, se retrouvent exploités par un réseau de puissances complexes allant du cartel de drogue aux plus puissants, les uns et les autres étant liés sans vraiment se mêler. Et les Noirs désargentés en font les frais, tout comme les latinos ou ceux que l’Amérique WASP et bien-pensante n’hésiterait pas à qualifier de white trash. L’histoire secondaire liant Jacob King à Kelly (Teresa Palmer), une jeune prostituée fragile, mère d’une petite fille, et à laquelle il viendra en aide, symbolise bien cette cruauté de la Cité des Anges, ville aux milles lumières, mais qui ne fait pas de cadeaux aux âmes perdues qu’elle broie pour mieux permettre à quelques-uns de scintiller. Que cette trame narrative ait dû être écourtée est sans doute notre principal regret, et les coupes se font relativement sentir sur la fin, bien que Fabrice Du Welz soit parvenu à rendre le tout aussi fluide et cohérent que possible.

Un vigilante movie à la force brute

image chadwick boseman message from the king fabrice du welz
© The Jokers/Les Bookmakers

Pour le reste, le réalisateur nous offre un bon vigilante movie, noir et sec, avec juste ce qu’il faut de lumière, le temps de quelques séquences plus hors du temps — dont un très beau numéro, almodovarien en diable, chanté en espagnol par Amin El Gamal, dans le rôle d’un personnage transgenre. Filmé en 35mm, doté de couleurs froides, un rien délavées, Message from the King possède un certain cachet stylistique ne serait-ce que par sa photo, sans pour autant tomber du côté du pastiche 70’s ou du bel objet lisse. La forme se révèle en parfaite adéquation avec la mise en scène brute de Fabrice Du Welz, qui privilégie souvent les plans très rapprochés au sein d’environnements urbains allant de sordides à huppés, nous plongeant dans une atmosphère asphyxiante, au plus près de Jacob King, dont la découverte de Los Angeles est pour le moins désenchantée.

Peu servi dans La Belle et la Bête, où il défendait du mieux qu’il pouvait le rôle de Gaston, davantage taillé pour l’animation que le live action, Luke Evans se distingue davantage ici, et fait même parfois penser à Dominic West (The Wire, Money Monster…), bien que, d’un strict point de vue scénaristique, son personnage se révèle somme toute assez classique. Le fin mot de l’histoire, où se mêle drogue, argent, prostitution, pédophilie, pouvoir et Hollywood, n’a rien de bien folichon, dans le fond comme dans la manière dont le scénario est tourné, mais demeure efficace grâce à la réalisation de Du Welz et un montage allant à l’essentiel. On pardonne alors assez aisément les petites errances scénaristiques, d’autant plus que la conclusion ne joue pas (trop) sur la facilité.

Accueilli par une critique mi-figue mi-raisin, Message from the King, sans être l’oeuvre la plus éloquente de Fabrice du Welz, se révèle un bon film de commande, sur lequel il est indubitablement parvenu à imprimer sa marque, malgré les frustrations inhérentes à l’expérience américaine pour un réalisateur francophone. Pas aussi stylisé ni viscéral qu’un Vinyan, pour ne prendre qu’un exemple, ce cinquième long-métrage du cinéaste belge se distingue par un aspect brut dont la relative sobriété colle avec la personnalité de son intriguant héros, et nous plonge dans l’univers oppressant des laissés pour compte de la Cité des Anges. Un univers de cauchemar hanté par les néons blafards des diners bas de gamme auquel Du Welz se coltine de manière frontale, sans chercher à convoquer la hype par une myriade d’effets tape à l’oeil. On ne demande alors qu’à voir ce qu’il pourrait faire en Amérique si on lui laissait carte blanche.

Article écrit par

Cécile Desbrun est une auteure spécialisée dans la culture et plus particulièrement le cinéma, la musique, la littérature et les figures féminines au sein des œuvres de fiction. Elle crée Culturellement Vôtre en 2009 et participe à plusieurs publications en ligne au fil des ans. Elle achève actuellement l'écriture d'un livre sur la femme fatale dans l'œuvre de David Lynch. Elle est également la créatrice du site Tori's Maze, dédié à l'artiste américaine Tori Amos, sur laquelle elle mène un travail de recherche approfondi.

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