Caractéristiques
- Titre : Le Musée des Merveilles
- Titre original : Wonderstruck
- Réalisateur(s) : Todd Haynes
- Avec : Oakes Fegley, Julianne Moore, Michelle Williams, Amy Hargreaves, Millicent Simmonds...
- Distributeur : Metropolitan FilmExport
- Genre : Drame, Famille
- Pays : Etats-Unis
- Durée : 1h57
- Date de sortie : 15 novembre 2017
- Note du critique : 9/10 par 1 critique
Après le très élégant Carol, à l’ambiance feutrée, Todd Haynes continue à côtoyer le mélodrame pour notre plus grand plaisir, mais dans une tonalité tout à fait différente cette fois-ci. Le musée des merveilles est l’adaptation du roman de Brian Selznick, auteur d’Hugo Cabret (porté à l’écran par Martin Scorsese en 2011) et le cinéaste y adopte le point de vue de deux enfants découvrant New-York à deux époques différentes : les années 20 et les années 70. Tous deux ont un point commun : la surdité, ce qui sera l’occasion pour le cinéaste de rendre un bel hommage au cinéma muet et au monde du spectacle, tout en parlant de filiation et d’incommunicabilité.
Rémi sans famille ?
Ben (Oakes Fegley) est un petit garçon de 11 ans tout ce qu’il y a de plus normal, si ce n’est qu’il vient de perdre sa mère (Michelle Williams) dans un accident de voiture et n’a jamais connu son père. Alors qu’il vient de découvrir dans un vieux carnet un indice le menant à une librairie new-yorkaise, il téléphone en plein orage et se retrouve frappé par la foudre. Devenu sourd, il décide de partir seul sur les traces de son père dans la Grosse Pomme. Rose (Millicent Simmonds) est une petite fille du début du siècle, sourde de naissance et élevée par un tuteur rigide qu’elle méprise. Fascinée par une célèbre actrice de théâtre (Julianne Moore), elle fugue pour la rencontrer à Broadway…
A la lecture de ce pitch, on pourrait craindre que Le musée des merveilles ne soit un mélodrame larmoyant de plus tirant sur la corde sensible pour apitoyer les spectateurs sur le sort d’orphelins candides et atteints d’un handicap mettant leurs vies en danger. Cependant, ce serait oublier que Todd Haynes n’a jamais abordé le mélodrame comme un pis-aller, mais toujours au sens noble, en le colorant d’infinies nuances. Réalisé par un autre, le film aurait clairement pu sombrer dans la mièvrerie; non parce-que son intrigue serait stéréotypée, mais davantage parce-que les émotions véhiculées, les situations, sont toujours sur le fil. Cela n’a pas effrayé le cinéaste, qui est parvenu à faire de ce Musée des merveilles un film bouleversant, d’une justesse émotionnelle constante.
Un sens du merveilleux spielbergien
S’il a pu relever ce défi, c’est aussi grâce à toute l’atmosphère merveilleuse qu’il a su tisser dès le début, sans pour autant en abuser. Ainsi, dans sa première demi-heure, le film du réalisateur indé possède la fibre distinctive des productions Spielberg des années 80. La nostalgie est à la mode et Netflix a savamment entretenu le phénomène avec Stranger Things, et, face à ce petit garçon orphelin et le joyeux bric-à-brac dans lequel il vivait, on s’attend fortement à ce que des phénomènes étranges ne surviennent.
Pourtant, Le musée des merveilles (sans spoiler le reste de l’intrigue) n’est pas un film fantastique, il n’empruntera donc pas cette voie. Mais, par sa mise en place minutieuse, son ambiance, ses couleurs chaudes ou la citation répétée comme un mantra par la mère esseulée (« Nous sommes tous dans le caniveau, mais certains d’entre nous regardent les étoiles »), il crée un univers où tout semble possible, même pour un enfant triste de 11 ans frappé par la tragédie.
Communication, histoires, famille : une question de transmission
Cela contribue par la suite à faire passer certains éléments narratifs qui auraient pu sembler un peu trop « gros » sans cela. Un autre élément de taille, qui nous immerge dans le film avec une force saisissante, tient au traitement extrêmement réaliste de la surdité soudaine de Ben, qui redécouvre le monde autour de lui de manière tout autre. Le travail effectué sur le son est remarquable d’un bout à l’autre et ne tient pas à quelques effets : la surdité est au cœur du Musée des Merveilles, et Todd Haynes cherche à nous faire ressentir ce que cela fait de perdre l’ouïe. L’arrivée du jeune garçon à New-York et sa joyeuse fureur est en cela une vraie leçon de cinéma.
Pour le parcours parallèle de Rose dans les années 20, le réalisateur a fait le choix de rendre hommage au cinéma muet avec une belle inspiration. Le thème des conflits familiaux, du manque de communication, évoquent un autre film sorti tout récemment (notre autre gros coup de cœur de l’année), Au revoir là-haut d’Albert Dupontel, où cet hommage au muet était également présent, tout comme la dimension artisanale. En se situant à mi-chemin entre fable, mélo et œuvre réaliste, en plongeant dans des périodes que l’on continue à beaucoup fantasmer, les deux cinéastes sont parvenus à exprimer, chacun à leur manière, des choses très personnelles sur notre monde de bruit et de fureur, tout en communiquant toute leur passion pour un art qui est aussi question de transmission. Car c’est bien de cela qu’il est question dans Le musée des merveilles : des histoires qui ont besoin d’être transmises, pour que le lien ne soit pas brisé, pour que quelque chose survive. Nous ne développerons pas davantage de peur d’en dévoiler trop, mais nous saluerons néanmoins le brio avec lequel les deux trames narratives sont entremêlées, les échos qui sont sans cesse créés par le montage, le jeu des acteurs…
Et puis que dire de la dimension artisanale ? Certes, les maquettes pourraient de visu sembler moins impressionnantes que les masques conçus par Cécile Kretschmar pour le film de Dupontel, mais si vous avez déjà rêvé en poussant enfant la porte d’un musée de miniatures, il y a fort à parier que vous retrouviez cette sensation ici, d’autant plus que cette dimension précise est entièrement intégrée à l’intrigue. La simplicité apparente avec laquelle l’une des scènes-clés prend vie dans le dernier tiers (qui pourra évoquer Jeunet ou Gondry) prend alors une tournure bouleversante assez surprenante.
Une vraie claque de cinéma
Car c’est aussi ça, Le musée des merveilles : on pense être en terrain connu (et apprécié) dès le départ, et on se retrouve finalement face à une œuvre qui déroute et émeut au-delà des mots. Une œuvre qui transcende sa seule intrigue, mais aussi des genres très codifiés, pour nous asséner une belle claque de cinéma. Et soyons honnêtes : cela faisait un bout de temps que cela ne nous était pas arrivé avec le cinéma indépendant new-yorkais.
Au-delà de cela, le film de Todd Haynes, en rendant hommage à différentes périodes du cinéma, en nous parlant de transmission, nous rappelle que le cinéma n’est pas qu’un divertissement à consommer en multiplexe avec pop corn : c’est un art qui doit être chéri, et dont le savoir-faire doit continuer à être transmis. Numérique et artisanat peuvent faire bon ménage – nous en parlions déjà avec Caro et Jeunet –l’important, ce sont les émotions véhiculées. Des émotions qui ne sont ni en toc, ni des suites de 0 et de 1. Espérons que les investisseurs puissent entendre cette vérité, pour que des œuvres telles que celle-ci puissent continuer d’arriver sur nos écrans.