Caractéristiques
- Titre : Au Revoir Là-Haut
- Réalisateur(s) : Albert Dupontel
- Avec : Nahuel Perez Biscayart, Albert Dupontel, Laurent Laffite, Niels Arestrup, Emilie Dequenne, Mélanie Thierry, Héloïse Balster, Philippe Uchan...
- Distributeur : Gaumont Distribution
- Genre : Comédie dramatique, Guerre
- Pays : France
- Durée : 1h57
- Date de sortie : 25 octobre 2017
- Note du critique : 9/10 par 1 critique
Une ouverture bluffante dans les tranchées
Si l’on en croit Jean-Pierre Jeunet, que nous avions interviewé à la rentrée avec son complice Marc Caro, cela faisait très longtemps qu’Albert Dupontel, passionné par la période de la Première Guerre Mondiale, rêvait d’en faire un film. C’est désormais chose faite avec Au revoir là-haut, adaptation du roman de Pierre Lemaître, Prix Goncourt 2013, et qui s’impose là comme l’un des meilleurs films de cette année 2017.
Si la partie sur le champ de bataille, en ouverture, est assez brève, elle n’en demeure pas moins sidérante de maîtrise et de fluidité, si bien que ces quelques minutes n’ont rien à envier au poétique Un Long dimanche de fiançailles de Jeunet, dans lequel il tenait déjà un petit rôle. Nous suivons ainsi le parcours semé d’embûches d’un chien secouriste jusqu’aux tranchées des soldats français à travers un plan-séquence assez bluffant. Si l’on devine un raccord au moment où le chien pénètre dans les tranchées en raison de la présence opportune d’une bâche, le résultat laisse admiratif et, surtout, nous plonge de plein pied dans l’action et l’angoisse viscérale des combats de 14-18 avec un réalisme accru. Lorsque les obus éclatent, les Poilus ne sont pas simplement propulsés dans les airs, ils sont également ensevelis sous des tonnes de terre qui se déversent dans les tranchées.
Une dénonciation corrosive de la guerre et ses conséquences
C’est d’ailleurs après avoir secouru un jeune compagnon d’infortune, Edouard Péricourt (Nahuel Perez Biscayard), qu’Albert Maillard (Albert Dupontel) se trouve englouti dans un trou, ne devant la vie sauve qu’à un cheval mort dont il se sert pour respirer et au jeune soldat, qui l’extirpe de sa tombe avant de se faire arracher le bas du visage par un éclat d’obus. A travers cette image saisissante, où Maillard et Péricourt font office de morts-vivants, le cinéaste annonce d’emblée aux spectateurs que leur retour à la vie civile sera impossible et c’est bien des conséquences de la Grande Guerre que traite Au revoir là-haut sur un mode satirique.
Comme le soulignait encore Jacques Tardi à l’occasion de l’ouverture de l’exposition Le dernier assaut à l’Abbaye Royale de l’Epau consacrée à son oeuvre autour de la Première Guerre Mondiale, ce conflit fut avant tout une guerre des industriels, menée au nom du profit, et c’est bien le propos du roman de Pierre Lemaître, que reprend Dupontel avec une verve particulièrement incisive. La fête débridée donnée par Edouard en milieu de film, où le jeune artiste tire (symboliquement) à boulets portants sur les principaux responsables de cette boucherie sans nom, est celle où le cinéaste semble s’être fait le plus plaisir dans la veine cartoonesque, mais aussi en tant que grand amateur de bande-dessinée, en transposant l’acuité des caricaturistes à l’écran.
Une métamorphose aussi poétique que bouleversante
Bien sûr, on retrouvera cet aspect “cartoon” à plus d’une reprise, et de manière sensiblement différente en fonction des personnages, de la maladresse affectée de Maillard à la cruauté implacable du lieutenant Pradelle (Laurent Laffite), terrifiant et ridicule à la fois. Contrairement aux films les plus récents de Dupontel réalisateur, comme 9 mois ferme, comédie et satire ne priment pas sur l’émotion puisque Au revoir là-haut n’est pas seulement une comédie corrosive sur la Grande Guerre, mais aussi un mélodrame poétique et bouleversant autour d’une relation père-fils conflictuelle et l’aliénation d’un être ultra-sensible qui se transforme progressivement, jusqu’au point de non-retour, faisant de sa “Gueule cassée” une toile vierge.
Le personnage d’Edouard Péricourt, incarné avec une grâce et une sensibilité folles par le surdoué Nahuel Perez Biscayart, permet à Au revoir là-haut de transcender son sujet et de toucher plus d’une fois au sublime à travers des instants poétiques sur le fil, rendant autant hommage à la peinture qu’au cinéma muet. Dessinateur de génie au trait sombre et étrange, Edouard est le fils d’un riche homme d’influence qui l’a rejeté lorsqu’il a refusé de prendre sa suite. Après avoir “ressuscité” sous un autre nom à la fin de la guerre et au contact d’une petite fille, véritable gavroche de la Belle Epoque (l’excellente Héloïse Balster), Edouard se confectionne des masques, tous plus sublimes et surréalistes les uns que les autres, pour masquer son visage défiguré mais, surtout, exprimer son état d’esprit et ses émotions avec une créativité étonnante.
Détruit par la guerre, l’artiste devient sa propre oeuvre d’art : un être en jachère, qu’il réinvente à l’infini, déconstruisant la moindre de ses facettes pour s’affranchir d’un corps et un esprit en souffrance, quitte à sombrer dans la folie. Cette métamorphose du personnage est à l’origine des scènes les plus poétiques du film, où l’émotion jaillit à l’état brut grâce à l’alliance parfaite entre les remarquables masques artisanaux de Cécile Kretschmar, les géniales trouvailles de mise en scène d’Albert Dupontel et le jeu irréel de Nahuel Perez Biscayart, dont les grands yeux bleus font passer une infinité de nuances.
Un film en état de grâce
La trame familiale a beau être somme toute assez classique – un fils blessé de ne pas être accepté tel qu’il est par son père – l’émotion qui s’en dégage, plus particulièrement à la fin, prend aux tripes. Il faut dire que face à Biscayart et son regard bouleversant, il y a Niels Arestrup, dont le personnage se révèle bien plus complexe que le riche salaud qu’il aurait pu se contenter d’être.
Albert Dupontel s’est écarté de la fin du roman de Pierre Lemaître et il a bien fait : en poussant la logique poétique et émotionnelle jusqu’au bout, il accouche d’un dénouement bouleversant, où s’exprime pleinement toute la mélancolie sous-jacente de l’oeuvre, par-delà la dénonciation corrosive d’une société finalement pas si éloignée de la nôtre. La dimension sociale est indissociable de l’oeuvre du réalisateur français, qui était déjà allé assez loin en la matière avec Enfermés dehors, pour ne prendre qu’un exemple, mais il atteint ici un autre niveau, un état de grâce, qui fait que les quelques points légèrement en-deçà passent inaperçus.
Un casting de haut vol pour un “film d’auteur populaire”
Parmi ces derniers, on pourra citer un rôle peut-être légèrement trop attendu pour Dupontel, qui n’était pas supposé apparaître dans le film au départ, mais filmer Bouli Lanners, qui a abandonné le projet avant le début du tournage. L’acteur se montre toujours aussi attachant dans les tics nerveux, la maladresse et la sensibilité qu’il donne à son personnage, mais il semble avoir en partie déjà interprété ce rôle.
Mélanie Thierry (La danseuse, A Perfect Day) parvient à apporter une certaine épaisseur à un personnage discret, à la périphérie de l’intrigue principale, dont la présence aurait pu sembler de trop comparé à l’intensité du reste, tandis qu’Emilie Dequenne est assez méconnaissable sous les traits de la sœur d’Edouard, courtisée par le lieutenant Pradelle (Laurent Laffite, impeccable en sociopathe profitant de la guerre), et bien plus déterminée qu’il n’y paraît sous son apparente douceur. L’occasion de souligner encore une fois que Dupontel est un excellent directeur d’acteurs, sachant tirer le meilleur de chacun.
Avec Au revoir là-haut, Albert Dupontel fait bien plus que réaliser un très bon film autour de la Première Guerre Mondiale et ses soldats brisés dissimulés au regard du peuple, abandonnés : il parvient à mêler cinéma d’auteur et cinéma populaire au sein d’une oeuvre qui est tout autant une satire déguisée de notre époque qu’un drame poétique et bouleversant autour de l’aliénation et l’incommunicabilité. Chapeau bas l’artiste !