Caractéristiques
- Titre : Bienvenue à Suburbicon
- Titre original : Suburbicon
- Réalisateur(s) : George Clooney
- Avec : Matt Damon, Julianne Moore, Noah Jupe, Glenn Fleshler, Oscar Isaac...
- Distributeur : Metropolitan FilmExport
- Genre : Satire sociale, Policier
- Pays : Etats-Unis
- Durée : 1h44
- Date de sortie : 6 décembre 2017
- Note du critique : 6/10 par 1 critique
Quand Clooney réalise un scénario des frères Coen…
La qualité première de Bienvenue à Suburbicon est également son handicap principal : il s’agit d’un film écrit par les frères Coen (Barton Fink, le western True Grit.…). Handicap, car derrière la caméra, on retrouve George Clooney, salué pour ses deux premiers longs-métrages dans les années 2000, mais depuis tombé quelque peu en disgrâce avec le malheureusement raté Monuments Men (2013). L’acteur hollywoodien, on le sait, est un artiste engagé, inspiré par le propre militantisme de son père journaliste, mais son style personnel, classique et très approprié dans Confessions d’un homme dangereux ou Good Night and Good Luck, a pu se faire très lisse par la suite. Partant de là, les comparaisons entre le style des Coen et celui de la star étaient inévitables et il était entendu que celles-ci n’iraient pas dans le bon sens pour l’acteur.
Soyons honnêtes : Bienvenue à Suburbicon est joliment léché, avec une photographie exemplaire (merci Robert Elswit, directeur photo de P.T. Anderson, notamment) et un style agréable possédant davantage d’aspérités sous son vernis glacé à mi-chemin entre les Sims et Desperate Housewives. Le soucis, c’est que George Clooney, au-delà des attentes du public, n’a pas su s’extraire suffisamment de l’influence des Coen : un peu comme s’il avait cherché à les remplacer au pied levé pour un projet en reprenant leur façon de filmer pour éviter que cela se voit trop. C’est ce manque d’affirmation et cette « admiration » un peu trop visible qui peuvent gêner ici, puisque l’on reconnaîtra de nombreux plans-types des deux frères, ainsi qu’une musique d’Alexandre Desplats à l’avenant de celle que l’on retrouve chez eux.
Une satire malsaine à hauteur d’enfant
Ceci étant dit, et même s’il n’atteint pas le même niveau de finesse que les deux frangins avec lesquels il a tourné plusieurs films dont Ave César le réalisateur ne s’en sort pas trop mal. L’atmosphère anxiogène et malsaine qui se dégage de cette petite ville de banlieue proprette, les personnages odieusement antipathiques de Matt Damon et la plupart des personnages principaux (la moitié de Julianne Moore, dans le rôle de jumelles, incluse) font de Bienvenue à Suburbicon un film prenant et divertissant, avec son lot de suspense. Celui-ci est sans doute un peu vite écourté, mais cela ne pose pas problème puisque, en fin de compte, nous ne sommes pas devant un film à la Hitchcock : plutôt devant un mélange d’Assurance sur la mort de Billy Wilder (1944) et des Femmes de Stepford – pour la vision très figée de la banlieue, sans la vision féministe – vu à la hauteur d’un enfant de 10 ans.
C’est justement ce dernier point qui permet à Bienvenue Suburbicon de dépasser, en fin de compte, certaines maladresses comme le peu de finesse de la démonstration globale : les Blancs très WASP du film sont les vrais sauvages et peuvent commettre des horreurs peu discrètes en toute impunité et dans le plus grand secret tandis que l’innocente famille afro-américaine venant tout juste d’emménager sera traitée avec violence. Si cela s’inscrit bien dans la lutte pour les droits civiques et la ségrégation raciale de la fin des années 50 aux Etats-Unis, le traitement lapidaire ou, plutôt, la manière de Clooney d’utiliser cet élément comme une simple « blague » pour nous faire comprendre qui sont les vrais méchants (au cas où on ne l’aurait pas compris) provoque un certain malaise.
Mais la cruauté du scénario de Joel et Ethan Coen reprend le dessus et c’est en fin de compte grâce à l’irrémédiable perte d’innocence de ce petit garçon prisonnier de cette famille et de cette histoire que l’on se laisse prendre au jeu jusqu’au bout, malgré certains grosses ficelles quant à l’intrigue de film noir en elle-même. Nous ne spoilerons pas la fin, mais celle-ci est assez cinglante… Au final, Bienvenue à Suburbicon est une oeuvre hybride, une expérience où la personnalité engagée de George Clooney aurait fusionné avec le style et le ton propre aux frères Coen, auteurs du script. On ne peut s’empêcher de penser qu’ils ont tenté de représenter l’Amérique de la fin des années 50 telle que se la représentait l’acteur enfant. Si ce dernier n’a pas trouvé, ici, le souffle nécessaire pour rendre, pourquoi pas, hommage à ses amis tout en s’en affranchissant suffisamment, le résultat demeure plaisant et grinçant à souhait, notamment grâce à d’excellentes performances d’acteurs.