[Critique] Climax : le vide culminant

Caractéristiques

  • Titre : Climax
  • Réalisateur(s) : Gaspar Noé
  • Avec : Sofia Boutella, Romain Guillermic, Souheila Yacoub, Kiddy Smile, Claude-Emmanuelle Gajan-Maull, Giselle Palmer
  • Distributeur : Wild Bunch
  • Genre : Drame
  • Pays : France
  • Durée : 95 minutes
  • Date de sortie : 19 septembre 2018
  • Note du critique : 2/10

Un talent en passe de se gâcher

Quelle belle rentrée, s’exclame-t-on au sein de la rédaction ! Alors que l’école reprend ses droits sur les enfants, qui débarrassent enfin le plancher, voilà que la culture sort de son coma estival. L’Étrange Festival vient d’avoir lieu, le jeu vidéo frétille avant Noël, les conférences de presse s’enchaînent, Halloween et Predator reviennent sur le devant de la scène, Lars Von Trier nous fait exploser de rire, et Gaspar Noé livre enfin sa dernière saillie filmique. Ce n’est que peu écrire que de vous signifier à quel point on l’attendait, tant le bonhomme a pu créer des débats enflammés, entre ceux qui trouvent son œuvre putassière (ouuuh), et les autres qui se réjouissent de son caractère poil-à-gratter (aaaah). Autant vous le confier de suite : Climax a, cette fois-ci, fait l’unanimité… contre lui. Damned.

Avant de rentrer au cœur du vide sujet, on se doit de replacer le contexte mercantile. Climax est produit par toute une batterie de sociétés, mais l’une d’elle attire l’attention, plus que les autres : Vice International. Notre époque va, décidément, beaucoup trop vite pour nos petits nerfs, et comprendre que le roi des médias « putaclic » s’est lancé dans le cinéma, après s’être viandé notamment dans l’aventure télévisuelle, fut un premier choc. Quelques recherches nous ont informé que la boîte n’en est pas à son premier essai, et peut se targuer d’avoir financé une tripotée de documentaires (que personne n’a vus), ainsi que deux grosses bouses qui font les beaux jours des sites de téléchargement : The Bad Batch et A Girl Walks Home Alone at Night. Précisons que ce dernier peut créer la discussion, il a trouvé son public, il ne faut pas le nier. Bref, après nous avoir gavés d’articles qui ont donné au journalisme ses lettres de putréfaction, par le biais de titres plus racoleurs qu’une vieille prostituée du périurbain (Des zoophiles racontent leur sexualité, J’ai passé un an en compagnie de pédophiles vertueux, etc), il va falloir se farcir cette tonalité au cinéma. Damned.

Vice dans la production, horreur et damnation

image film climax
C’est la c’est la c’est la sangriaaaa du démon !

Car l’esprit Vice traverse Climax, d’un bout à l’autre. Mais revenons tout d’abord sur l’histoire. Ce sera rapide : elle est d’un minimalisme excessif. En 1996, une troupe de danseurs se réunit pour un dernier baroud d’honneur, avant que tout ce pas très joyeux monde ne soit envoyé à droite, ou à gauche. Alors que les corps se déchainent avec autant de grâce qu’un tecktoniker sous LSD (sauf Sofia Boutella et Strauss Serpent, dont l’incroyable élasticité très photogénique nous a sidérés), la sangria coule à flot. Problème, il semble qu’elle ne soit pas qu’alcoolisée. Pétage de plomb, tout le monde se tape dessus, baise dans tous les coins. Rideau. C’est drôle, car les organisateurs de l’Étrange Festival, qui ont assuré une présence très marquée du réalisateur sur l’édition 2018, n’ont cessé de répéter qu’un bon film c’est : un bon scénario, un bon scénario, et un bon scénario. Pourquoi ne pas tenir le même discours quand il s’agit d’aborder le film de Gaspar Noé ?

Scénario-grain de riz certes, mais Climax pouvait largement s’en sortir, se sublimer. Après tout, une situation très basique peut accoucher d’histoires de qualité, c’est très courant dans l’Histoire du cinéma. Mais ça, c’est quand le réalisateur a quelque chose à foutre du concept de narration. Ce n’est pas le cas de l’auteur, très clairement. Sa manière de raconter s’est toujours affranchie des codes et ficelles, seulement ici on remarque comme une volonté de ne pas maitriser. Cela vient sûrement du tournage dans l’urgence, effectué en seulement 15 jours, désiré par Gaspar Noé. L’effet direct, c’est une certaine vérité devant la caméra, et elle n’est pas déplaisante, loin de là. C’est, même, l’une des deux satisfactions que l’œuvre procure : l’impression de vivre, l’espace de ces dizaines de minutes, auprès des personnages. Malheureusement, ces protagonistes n’ont rien à exprimer. Et c’est là le drame.

Gaspar Noé évolue comme un mauvais Pokémon

image climax
Frère, sœur, mode d’emploi.

Climax est un long métrage de petit malin. De A à Z. Le montage nous le signifie, comme cette ouverture qui vise l’épanadiplose narrative de manière ultra lourdingue. L’écriture des personnages, des dialogues, nous le confirme. On a lu des choses sur le film. Beaucoup de choses. Depuis Cannes, jusqu’à aujourd’hui. L’un des arguments qui revient, en boucle, c’est la nature inclusive de l’œuvre. Oui, on voit de la diversité, des gays tendance queer. Si l’on s’arrête là, rien de foufou, on pourra même parler de banalité pour notre époque, qui a au moins ça de bon qu’elle tente de remuer les lignes. Seulement, la question qu’il faut se poser, à chaque fois qu’on utilise ce mot très novlangue, c’est : « inclusif oui, mais on inclut dans quoi ? ». La réponse, ici, n’est pas élogieuse. Deux noirs discutent, face caméra. Le sujet ? Tout simplement, le viol. Les deux types parlent en des termes crus, d’aucun qualifieront les répliques de réalistes (en 1996, rien n’est moins sûr, pas avec ces mots). Bref, nos inclus sont clairement des violeurs en puissance. Un autre finira par violer sa sœur. C’est moyen, et d’autres réalisateurs se seraient vite fait taxer de fascisme, par les actuels gardiens du Temple. On pourra se rassurer un temps en pensant que placer ces hommes dans ces positions, c’est aussi montrer qu’ils sont tout aussi capables que des Français dits « de souche » d’avoir des pulsions quelque peu problématiques. Problème : ce n’est jamais fouillé. On se bouffe ça en pleine face, sans aucune signification ni travail sur l’écho. Résultat : on a envie de foncer sur l’écran. Et de se fritter avec ces triples crétins.

Difficile, dès lors, de s’intéresser à ce que Climax nous montre. Une flemme qui double, triple, quadruple quand on comprend où veut aller Gaspar Noé. Et cette compréhension, elle a lieu dès le début du film, pendant la séquence qui nous balance le casting des danseurs. Le plan s’attarde sur une télé, à côté de laquelle sont disposées des VHS et autres livres. Pendant de longues minutes, on a tout le temps de lire les différents titres, qui se révéleront les références que le réalisateur va dégorger pendant le reste du long métrage. Même Quentin Tarantino n’a jamais osé aller aussi loin dans la citation grotesque. Suspiria pour la lumière (magnifique), Zombie pour le huis-clos, ça hurle donc un peu de Possession. Bon sang, que c’est facile ! Heureusement, le metteur en scène garde tout de même le contrôle de sa machinerie. Il s’agit, d’ailleurs, de la deuxième satisfaction de l’œuvre : les amateurs de caméras dingues auront leur compte pour un moment. Cet œil naturellement indiscret semble, lui aussi, atteint de folie furieuse et, sans non plus atteindre la maestria d’Enter The Void dans ce domaine, on ne peut que féliciter le travail de l’équipe technique. Seulement, cette dernière devra composer avec une autre invective : c’est super de filmer une orgie de bastons et de cul en renversant le point de vue. Le problème, c’est que le sujet, lui, reste d’une banalité confondante. Cet effet, doublé avec une musique de qualité mais utilisée pour nous la faire vomir, provoque le malaise physique, ce que n’aurait pas pu provoquer Gaspar Noé sans cet artifice. Une fois à l’endroit, que se passerait-t-il ? De la bagarre, et un peu de sexe à même le sol. Bailler aux corneilles est une expression qui prend, ici, tout son sens.

Derrière le punk, la norme

image sofia boutella climax
Le gros travail sur la lumière est indéniable.

Voilà pourquoi il est important de rattacher Climax à Vice, car les deux engeances sont, fondamentalement, sur la même longueur d’onde. Du pseudo-punk, vrai-faux poil-à-gratter mais authentique attention whore. Ça joue les rebelles, mais ça montre la drogue comme un pousse-au-viol-de-ta-sœur. Derrière l’artifice, la tonalité punk, se trouve la norme. Loin de nous l’envie de penser que les drogues dures sont un moyen de passer du bon temps, précisons-le ici. Seulement, rien de nouveau sous le soleil, rien de bien renversant, malgré la caméra. Le fait que Gaspar Noé se perde sur ce chemin n’est pas rassurant, lui qui représente, selon nous, un certain talent à la française. On n’a jamais trop accroché à sa manière de conter, mais il était, jusqu’ici, intéressant dans ses excès visuels, et ses visions intenses. Là, il rétrograde au rang d’emmerdeur pour la rombière du coin. Dès lors, on se fiche éperdument de la qualité des plans séquences. On s’en fout de la somptueuse lumière signée Benoît Debie (Vinyan). Ne reste qu’un bordel inoffensif, plat, insensé. Finissons cette bien triste conclusion par un petit mot, sorte de mini-lettre ouverte au réalisateur. Vous vous étonnez des avis très positifs de ceux qui, jusqu’ici, vous vomissaient. Le coupable se trouve dans votre financement : quand on s’acoquine à la bassesse de Vice, on ne peut que la rejoindre. Et ça, c’est le grand drame de notre époque. À nous de refuser qu’elle gâche nos espoirs : on attend avec impatience le prochain film de Gaspar Noé.

L'avis de Cécile Desbrun : 2/5

En 2002, Irréversible choquait la Croisette mais provoquait aussi le débat. Au-delà du parti pris de la violence graphique (montrer un visage explosé à l’extincteur, filmer un viol – le classique « l’inconnu dans une ruelle sombre » – en plan fixe sans coupure durant 8 minutes), il y avait celui du montage à l’envers qui, en commençant par le plus sanglant et en terminant par le plus lumineux, permettait de proposer aux spectateurs une réflexion philosophique aux accents nietzschéens et  métaphysiques. Certains avaient adoré tandis que d’autres avaient dénoncé une manipulation du spectateur et des partis pris voyeuristes sous couvert d’intellectualisme. De l’avis de l’auteure de ces lignes, il y avait là, derrière la provocation et certains clichés, une démarche sincère et intéressante, où la forme et le fond étaient en accord.

D’où la curiosité à l’égard de ce Climax… Et la violence de la déception ! Car ici, Gaspard Noé passe clairement et sans ambiguïté de provocateur à petit malin manipulateur sans qu’on puisse lui trouver de véritable excuse… Or, il ne suffit pas de choquer les puritains pour faire une bonne œuvre, loin s’en faut ! Ainsi, en exergue, le réalisateur inscrit un message qui laisse à penser que l’histoire qui va suivre est des plus sérieuses. Le problème c’est que, au-delà de premières images elliptiques et dramatiques puis d’une scène d’ouverture (en flashback) techniquement filmée avec maestria (de ce côté-là, rien à redire), le film passera complètement à côté de sa thématique avouée : montrer que, même dans les situations les plus violentes et abjectes, l’instinct de vie est toujours le plus fort. C’est fort dommage car la danse se prêtait bien, narrativement et visuellement, pour donner corps à ce genre de thématiques.

Dans la première scène, tout y est :  une troupe de danseurs black, blanc, beur et latino se retrouve pour faire la fête avec un drapeau français à proximité qui nous laisse subtilement penser qu’il y aura aussi un discours politique sous-jacent sur cette époque souvent idéalisée par les trentenaires et quadragénaires d’aujourd’hui que sont les années 90. Sauf que… le film est tellement vide narrativement parlant que l’on peut en conclure tout et n’importe quoi et que 99 % des spectateurs, quel que soit leur bord politique, risquent d’en tirer de très mauvaises conclusions, que ce soit sur les personnes « racisées » comme on dit aujourd’hui ou les Allemandes à l’air d’innocentes mannequins… Ou alors juste de se demander si les neurones de Gaspard Noé ont survécu à ses excès supposés.

Si le sens à tirer de tout ça était que rien n’a de sens et que l’horreur peut venir des choses (en apparence) les plus anodines, la manière de le montrer est on ne peut plus voyeuriste et complaisante, cédant à la facilité et aux effets cheap d’un bout à l’autre. Pour la scène quasi finale, même si l’on pourrait y voir une volonté du réalisateur de nous mettre dans la peau de personnes défoncées à l’acide en plein bad trip, agressives, agressées, ou juste en état de choc, était-il nécessaire d’utiliser pour cela des procédés techniques (utilisation du son et de la caméra à l’envers en mode marin à bord d’un cargo) à même de donner littéralement la nausée à plus d’un spectateur sur grand écran ? Si le but était la sensibilisation aux méfaits des drogues dures à usage récréatif, le résultat est quelque peu raté puisque, en sortie de séance, une ribambelle de spectateurs de notre génération (et pas spécialement décérébrés en apparence par ailleurs) s’esclaffent et trouvent ça « trop cool »… Les personnes qui ont déjà eu à subir les conséquences des drames provoqués par la drogue apprécieront que l’on puisse faire de ce genre de choses une sorte de tour de grand huit destiné à avoir les mêmes sensations sans risques ni inconvénients. A cet égard, si nous voulions faire preuve de cynisme, on pourrait dire au réalisateur et ses producteurs que ce genre d’initiatives ne soulagera les pulsions de personne.

Et, clairement, nous n’aurions pas eu ce sentiment si le récit avait véritablement été développé pour donner de la force (et une existence, tout simplement !) au message affiché en préambule, avec des personnages plus fouillés, également, auxquels on puisse davantage s’attacher ou, au moins, s’identifier. En l’état, l’essence toute entière du film tient dans un plan, aussi terrible que simple et sublime de Sofia Vergara en total état de choc filmée de dos et qui s’agite, dans une quasi transe, comme si elle était en train de danser. Trente secondes à une minute (de mémoire) sur un total de 90 minutes de film, ça fait bien peu. Aussi dommage que dommageable, car on ne répétera jamais assez à quel point Gaspard Noé est un artiste doué, et plus sensible qu’il n’y paraît quand il ne cherche pas à rouler des mécaniques pour séduire les Américains qui nous l’envient. Espérons que ses prochaines œuvres lui permettront de retrouver un peu plus de chair.

Article écrit par

Mickaël Barbato est un journaliste culturel spécialisé dans le cinéma (cursus de scénariste au CLCF) et plus particulièrement le cinéma de genre, jeux vidéos, littérature. Il rejoint Culturellement Vôtre en décembre 2015 et quitte la rédaction en 2021. Il lance Jeux Vidéo Plus. Manque clairement de sommeil.

Et maintenant, on fait quoi ?

L'équipe de Culturellement Vôtre vous remercie pour vos visites toujours plus nombreuses, votre lecture attentive, vos encouragements, vos commentaires (en hausses) et vos remarques toujours bienvenues. Si vous aimez le site, vous pouvez nous suivre et contribuer : Culturellement Vôtre serait resté un simple blog personnel sans vous ! Alors, pourquoi en rester là ?

+1 On partage, on commente

Et pour les commentaires, c'est en bas que ça se passe !

+2 On lit d'autres articles

Vous pouvez lire aussi d'autres articles de .

+3 On rejoint la communauté

Vous pouvez suivre Culturellement Vôtre sur Facebook et Twitter (on n'a pas payé 8 euros par mois pour être certifiés, mais c'est bien nous).

+4 On contribue en faisant un don, ou par son talent

Culturellement Vôtre existe grâce à vos lectures et à l'investissement des membres de l'association à but non lucratif loi 1901 qui porte ce projet. Faites un don sur Tipeee pour que continue l'aventure d'un site culturel gratuit de qualité. Vous pouvez aussi proposer des articles ou contribuer au développement du site par d'autres talents.

S’abonner
Notification pour

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.

3 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
3
0
Nous aimerions avoir votre avis, veuillez laisser un commentaire.x