Deux semaines de fête et spectacles pour inaugurer la Scène Nationale
Comme nous vous le disions dans un précédent article, la Scène Nationale L’Empreinte, unissant les théâtres de Brive-la-Gaillarde et Tulle a été inaugurée ce mois-ci, du 4 au 13 octobre 2018, devant des brévistes et tullistes enthousiastes. Culturellement Vôtre était présent les 12 et 13 octobre pour la fin des festivités, marquée par une nuit ouverte et un bal musette à Brive, ainsi que des spectacles pyrotechniques dans les deux villes. Retour sur des célébrations qui ont donné le coup d’envoi d’une saison théâtrale s’annonçant sous les meilleurs auspices…
Du 4 au 11 octobre, il y eut tout d’abord une série de spectacles, intra-muros et en plein air, qui ont donné le ton : du cirque, de la danse, du théâtre moderne, de la comédie… Toute la diversité que la Scène Nationale L’Empreinte, située en Corrèze, dans la Nouvelle-Aquitaine, aurait à offrir par la suite. La création de Julien Villa pour le Théâtre de Tulle, Le procès de Philip K. ou la fille aux cheveux noirs, inspirée de la vie et l’oeuvre de l’écrivain de science-fiction Philip K. Dick, a semble-t-il enthousiasmé le public. Arrivés le lendemain, nous n’aurons vu aucune pièce, mais assisté en revanche aux folles festivités de cette fin d’inauguration, où les corréziens étaient invités à venir aux deux théâtres afin de s’approprier ces salles de spectacle en tant que lieux de vie. Les apprivoiser, en quelque sorte, pour faire connaissance avec leurs scènes, mais aussi leurs équipes, se laisser gagner par la curiosité et, pourquoi pas, revenir pour une pièce, voire s’abonner…
La Nuit Ouverte : s’approprier le théâtre
Voilà l’approche privilégiée par le directeur de L’Empreinte, Nicolas Blanc, et la directrice adjointe Nathalie Besançon, notamment en ce qui concerne la folle Nuit Ouverte qui s’est déroulée dans la nuit du 12 au 13 octobre au théâtre de Brive. L’entrée était gratuite, mais, pour des raisons d’organisation, le public était invité à venir retirer des places à la billetterie. Au total, c’est 420 places (sur une capacité de 500 places dans la grande salle) qui furent comptabilisées tout au long de la nuit. Car le principe de la Nuit Ouverte, c’est que l’on vient et repart quand on le souhaite. Plusieurs publics se sont ainsi rencontrés, et parfois croisés : il y avait ceux qui sont arrivés vers 19h30 pour l’ouverture de la soirée à 20h, ceux qui ont préféré se pointer à 23h sur le dancefloor improvisé sur scène pour le DJ set de Mika Rambar, voire encore plus tard, pour assister aux projections de films sur le thème de la nuit, ou bien la lecture marathon des Fleurs bleues de Queneau avant un petit-déjeuner bien mérité à 7h du matin…
Nous faisions sans conteste parti du premier public : dans la grande salle du théâtre à 20h, nous avons assisté à la présentation de la soirée par Nathalie Besançon et le philosophe Jean-Christophe Angaut, avant de prendre part au festin partagé sur scène. Les spectateurs étaient en effet invités à partager un buffet de mets qu’ils avaient eux-mêmes amenés et que l’équipe du théâtre avait réunis sur une grande table. Tables et bancs étaient disposés tout autour. Au devant de la scène, un piano et, à l’arrière, une estrade. La frontière entre la salle et la scène, encore en cours lors de l’introduction à la soirée, a été abolie : chacun est invité à s’approprier le théâtre de Brive.
Des discours philosophiques drôles et engagés
Les discours philosophiques de Jean-Christophe Angault sur le thème de la nuit ont rythmé la soirée d’un bout à l’autre. Au début du festin, il introduit tout d’abord le thème de manière philosophique, en rappelant le mythe de la caverne de Platon et la pensée de Descartes : pour ces grands hommes, la nuit est utilisée comme allégorie pour évoquer la lutte contre l’obscurantisme, avec toujours cette idée que même au cœur des ténèbres, se trouve la lumière.
Il prend ensuite des directions plus fantaisistes, décalées, ou humoristiques, tout en se montrant engagé : la nuit est synonyme d’expériences, de discrétion, rime aussi avec milieux interlopes et est d’autant plus importante à une époque où la « transparence » est de mise pour maintenir une certaine image. Si cette « transparence » se base, au départ, sur le besoin de révéler ce qui se déroule dans les coulisses du pouvoir, elle est rapidement devenue une arme politique, où les révélations de scandales sexuels ou financiers défont les carrières. En somme, nous sommes passés du « pour vivre heureux, vivons cachés » au « je n’ai rien à cacher », comme Angaut le résume avec malice !
Dans ce contexte, l’intérêt des expériences nocturnes est d’aller à l’encontre de cette vie « sans intériorité », de pouvoir observer sans être vu et d’expérimenter ainsi l’envers du décor. Au-delà des expériences alcoolisées ou narcotiques et de la perte de maîtrise qui les accompagne, c’est aussi la possibilité d’expérimenter « une présence inédite au monde ».
Le théâtre : un art au coeur de la ville, rassembleur et engagé
Une fois le festin partagé, et avant la lecture musicale d’un extrait du texte L’Empreinte de Pierre Bergounioux par Babx, J-C Angaut évoquera ensuite sur le même ton faussement badin la question épineuse du travail de nuit, en rappelant ses chiffres, mais aussi ses conséquences sur la santé et la vie de famille. On repense aux banderoles dressées sur la devanture du théâtre et qui accueillaient le public de cette Nuit Ouverte (une mise en scène de Barbara Métais-Chastanier) : le théâtre, en tant qu’art placé au cœur de la vie, au cœur de la ville aussi, ne peut être qu’engagé.
Ces salariés qui travaillent de nuit ou répondent à leurs mails à 4h du matin (un autre type de travail de nuit comme le rappelait le philosophe), sont aussi ceux susceptibles de se rendre au théâtre le week-end ou même le soir en semaine, avant de prendre leur poste. C’est également ceux que le théâtre voudrait attirer. C’est sans doute également cela que l’équipe de L’Empreinte voulait faire passer à travers les festivités de cette Nuit Ouverte : aller contre cette idée que le théâtre serait un art élitiste dédié à un « certain public » d’initiés. Or, le théâtre, et encore davantage le théâtre public, c’est justement le contraire de l’entre-soi. Un message qui est, semble-t-il, très bien passé ce soir-là, au cœur de cette ambiance bon enfant.
Une nuit remplie de surprises
A 22h, lecture musicale ! L’auteur-compositeur-interprète et producteur Babx — qui a collaboré avec Julien Doré, Camelia Jordana et Grand Corps Malade — a joué du piano tout en lisant des morceaux choisis du texte de Pierre Bergounioux ayant donné son nom à la Scène Nationale, L’Empreinte. Moment de douceur d’un texte poétique, entre récit personnel et chronique régionale, invitant à la méditation — ou à une petite sieste bien méritée avant que la scène ne se change en dancefloor pour le DJ set endiablé électro-pop de Mika Rambar, travesti pour l’occasion et en très grande forme.
Si nous n’avons pas assisté au reste de la nuit, la soirée s’est poursuivie jusqu’à 8h du matin, avec, après vote, la projection de 4 films « nocturnes » à l’étage : Minuit à Paris, Les ailes du désir, Underground et Only Lovers Left Alive. Mais aussi un atelier choréographique par la compagnie La Zampa et Marc Sens, et, comme mentionné plus haut, une lecture-marathon des Fleurs bleues par Julie Moulier. Selon Nicolas Blanc, ils étaient une bonne trentaine de téméraires à être restés jusqu’au bout de la nuit lorsque l’heure du petit-déjeuner, là encore animé par un DJ set de Mika Rambar et un discours de Jean-Christophe Angaut, a sonné à 7h du matin. Pour plus de confort, des matelas avaient été installés dans une salle à l’étage pour un petit somme entre deux activités…
La visite déguidée Brive-Tulle
Le lendemain avait lieu la dernière visite déguidée animée par le comédien Bertrand Bossard. Vraie-fausse visite guidée de Brive à Tulle en navette d’une durée d’une heure, ce tour pas comme les autres déconstruisait joyeusement la rivalité entre habitants de Brive et Tulle, tout en passant en revue l’histoire respective des deux villes. Le tout avec un humour ravageur qui dynamite le principe des visites en bus ! En plus de détourner certaines chansons très connues comme « Quand reviendras-tu ? » de Barbara, l’un des clous de ce tour bus était d’applaudir à tout rompre les habitants de Brive et Tulle installés aux terrasses des cafés ou en promenade dans les rues (et présentés comme des « figurants » par notre guide) et d’observer leurs réactions, mi-amusées, mi-béates.
Une visite pro-active qui nous a menés donc, aux portes du théâtre de Tulle, où nous avons ensuite été accueillis par le régisseur principal, Patrice Monzat. L’occasion d’apprendre que le théâtre, construit en 1900, était à l’origine un théâtre à l’italienne à la façade en ciment armé. Aujourd’hui, seuls les murs et le toit sont d’origine, mais la scène et la salle ont été entièrement reconstruits et réorganisés. Avec ses 120 mètres carré de plateau (140 avec les bordures), le théâtre de Tulle possède une belle scène pour les pièces intimistes comme pour les spectacles de cirque et de danse à la machinerie beaucoup plus imposante. Pour les gros spectacles nécessitant davantage d’espace, la scène peut par ailleurs être avancée de quelques mètres, en retirant les 4 premiers rangs.
Embrasement urbain à Tulle : un moment magique
Après quelques heures de balade à travers l’ancienne ville de François Hollande, où nous aurons le loisir d’admirer le cloître abritant les gisants des papes limousins, mais aussi l’architecture étonnante de la ville, où les siècles et les décennies semblent parfois se chevaucher, nous nous joignons aux habitants à 19h30 du côté de la place du carrefour du Trech pour le spectacle ambulant Pyromènes par la compagnie La Machine : un « embrasement urbain » pour fêter dans la joie et la bonne humeur cette nouvelle Scène Nationale. Durant plus d’1h30, massés les uns derrière les autres, nous suivons les comédiens de La Machine, qui allument successivement différents brasiers et allument des flambeaux qu’ils tendent aux marcheurs, et notamment aux enfants, ravis de participer à ce joyeux rituel. Arrivés sur la place jouxtant le théâtre de Tulle, c’est un véritable brasier qui est enflammé et qui crépite longuement pour le plus grand bonheur de tous, avant qu’un joli feu d’artifice n’éclate au-dessus de nos têtes. Si l’on pourrait penser qu’il s’agit de la fin, il n’en est rien !
Le groupe se remet en marche, et s’installe sur un place bien plus grande, où une roue en bois géante chargée de poulies a été installée. Les comédiens s’activent, dansent et courent en tirant des chariots enflammés, avant de mettre feu à la roue, bac par bac. Un véritable ballet de feu se déroule face à nous lorsqu’un nouveau feu d’artifice éclate, encore plus beau et plus fort. Cette fois-ci , nous tenons notre bouquet final ! Il ne reste plus qu’à prendre le bus-navette en direction du théâtre de Brive, où La Machine va de nouveau réaliser un embrasement, « Incandescences ».
Feu d’artifice et bal musette : fin des festivités, la saison peut commencer !
Le chemin en direction de la place du théâtre (via le Parc de la Guierle) étant en ligne droite, le parcours est ici bien plus simple : de petits brasiers sont placés tout le long du chemin, et les comédiens les allument en tendant des flambeaux aux piétons, dont tous ne sont pas forcément au courant de la raison de ces festivités — et en profitent donc pour poser des questions et se joindre au groupe. Sur la place justement, une grande scène a été installée pour le bal « musette ». Un bal mêlant modernité électro à l’esprit guinguette. Une demi-heure avant le coup d’envoi, vers 23h, le DJ se prépare derrière ses platines, et des dizaines de locaux sont déjà en train de boire un verre et de discuter en petits groupes. Comme à Tulle, une fois le feu arrivé jusqu’au théâtre, le ciel s’embrase tandis qu’un magnifique feu d’artifice est tiré juste au-dessus de la façade, l’illuminant de toutes les couleurs.
Le bouquet donne ainsi le coup d’envoi du bal, point final de ces deux semaines de festivités, mais marquant aussi le début de la relation entre les Corréziens et leur scène nationale. Une scène pour deux théâtres, comme un trait d’union, et la volonté (l’espoir) que les habitants s’approprient ces salles de spectacles et en fassent des lieux de vie. Dans tous les cas, ces quelques jours de célébrations dont nous aurons été les témoins auront rendu évident pour des centaines de Corréziens (dont certains n’avaient jamais poussé la porte des théâtres) que l’art et la vie tendent à se confondre. Il ne reste alors plus qu’à souhaiter à L’Empreinte que cette joyeuse union se poursuive tout au long de la saison et au-delà. Longue vie !