Le Dernier film?
À l’occasion de la sortie en E-Cinéma de Les Enquêtes du Département V: Dossier 64, (notre critique est en ligne), nous avons pu nous entretenir, autour d’une table ronde, le 21 Février 2019, avec la productrice de la saga, Louise Vesth et des acteurs Nikolaj Lie Kaas et Fares Fares. Attention, ce compte-rendu comporte des spoilers sur ce dernier film, il est donc recommandé de le voir avant.
La productrice Louise Vesth étant la première arrivée, nous lui avons posé quelques questions avant l’arrivée des deux acteurs.
Tout les films de Les Enquêtes du Département V sont de gros cartons au Danemark. Que pensez vous de la sortie du film en E-Cinema et VOD dans les autres pays ?
L.V: Je pense que c’est une bonne façon de faire voyager les histoires. Bien sûr, j’adore aller au cinéma et voir un film sur grand écran. Mais je crois que l’E-Cinéma donne plus de flexibilité aux distributeurs face à une concurrence importante. Ça leur permet de faire plus d’efforts sur l’exposition médiatique d’un film, de trouver son public et de vous rencontrer.
Vous produisez Les Enquêtes du Département V depuis le début, pensiez vous aller si loin ?
L.V: Au tout début, cela devait être une série TV, d’après l’auteur des romans Jussi Adler-Olsen. Seulement, quand j’ai lu les livres, j’ai trouvé les histoires très fortes, et j’ai pensé qu’elles pouvaient être adaptées en longs-métrages. Dés le début, je voulais faire quatre films. L’idée était de garder un niveau élevé de qualité pour chacun. Si on veut faire une histoire avec deux personnages et l’évolution de leur relation, il faut être ambitieux et faire mieux que le précédent opus.
Avez-vous signé un contrat pour faire un cinquième film ?
L.V: Non, l’auteur veut écrire dix à douze livres au total. Sept sont déjà parus. On savait, depuis le premier film, que Jussi Adler-Olsen n’était pas satisfait de ce que nous avions fait. Ce qui est compréhensible. C’est souvent le cas avec les auteurs. Ils ont leur vision de l’histoire et des personnages. Certains personnages ou certaines intrigues secondaires des romans n’apparaissent pas dans les films. Nous avons fait de notre mieux et Nikolaj Arcel, notre scénariste, avait une vision claire de ce qu’il voulait faire. Ça a été dur pour Jussi. Il était toujours entrain d’écrire. Nous sommes arrivés et nous avons donné des visages à ses personnages. C’est compliqué quand on adapte des romans en films. On remplace l’imagination du lecteur par de vraies images. Donc, on s’attendait à ne pas avoir les droits après le quatrième bouquin. Maintenant, une autre société de production va prendre le relais avec une nouvelle équipe, de nouveaux acteurs et j’espère qu’ils feront de bons films.
C’est après cette question que les deux acteurs sont entrés en scène.
Dossier 64 raconte une histoire très sombre. Comment était l’ambiance durant le tournage ?
Fares Fares: Déprimante. Non, je plaisante. C’était génial. Pas à cause du sujet du film, mais parce qu’on travaille bien ensemble et qu’on avait une bonne relation avec le réalisateur. On savait que ça serait notre dernier opus, alors c’était notre façon de dire au revoir. De mettre toutes les idées que nous avions pour les personnages dans ce film.
Quelle scène avez vous préféré jouer ?
F.F: La scène de l’hôpital car c’était la plus gratifiante.
Et la plus difficile ?
Nikolaj Lie Kaas: la même.
Quelle a été la dernière scène que vous avez tournée ?
F.F: C’était dehors, quand on va voir la femme de l’avocat. Le moment où on sort de la voiture et qu’on rentre dans l’immeuble.
N.L.K: Avec les motos.
F.F: Voila, avec les motos qui nous espionnent. Pas la scène la plus exigeante mais c’était le dernier jour de tournage.
Dans l’intrigue, Assad est sur le point de quitter le Département V pour un autre poste. Sachant que c’était votre dernier film, avez vous ressenti la même angoisse de séparation comme pour vos personnages ?
F.F: Non, pas vraiment. On savait dés le début qu’on avait signé pour quatre films et qu’on devait en profiter, s’amuser, le temps que ça durait. Je pense qu’on a terminé la saga de Carl et Assad sur une note positive. C’était la meilleure façon de terminer. Je me souviendrai de ces films et de ces six années avec beaucoup de joie mais, en même temps, je sais que si nous avions continué nous aurions perdu en passion pour ces personnages et pour cette histoire. C’est donc un sentiment positif de dire au revoir.
Avez vous de nouveaux projets ensemble ?
F.F: Pas encore mais nous cherchons.
Est ce que l’alchimie entre vous a été instantanée ou cela à t’il prit du temps ?
F.F: Je pense que cela a été instantané. Du moins, pour moi. Bien sur, nous avons appris à nous connaitre un peu plus à chaque films. Je ne pensais que pas ça durerait aussi longtemps et que ce soit aussi bien avant le second film (NDLR: Profanation). Mais cela a été instantané entre nous depuis le début. Ce n’est pas quelque chose que l’on invente. Elle est là ou non.
N.L.K: Et bien sur, une confiance mutuelle.
F.F: Oui, la confiance se gagne progressivement aussi.
Après avoir interprété ces personnages pendant six années, est ce que vous vous sentez proches d’eux? Est ce que vous rapportez une part de votre personnage chez vous après le tournage ?
F.F: Pas moi. Je ne fonctionne pas comme ça. C’est un travail et on le fait avec beaucoup de passion. Ce que j’emporte avec moi hors du tournage, ce sont les relations tissés avec les personnes avec qui ont travaillé, au fur et à mesure des années. Avec notre scénariste Nikolaj Arcel ou encore notre premier réalisateur Mikkel Norgaard. Ils sont toujours avec nous. Et rencontrer de nouveaux réalisateurs c’est comme faire entrer dans sa vie de nouveaux membres dans la famille. Mais je ne dirais pas que le personnage reste avec moi quand j’ai fini le travail.
N.L.K: J’accepte qu’il y ait une part de Carl en moi. C’est quelque chose que nous avons tous en nous, du moins je l’espère. Le connard égocentrique qui pense qu’il peut se débrouiller tout seul. Parfois, j’aimerai être cette personne. Je mourrai tout seul si je vivais comme ça tout le temps mais, parfois, c’est bien de l’être et d’accepter cette part de soi. Donc, d’une certaine façon, je m’identifie à Carl. On me demande souvent si je m’identifie à lui et je réponds: ” Bien sur même si c’est un véritable connard”. Je suis loin d’être lui, mais je peux m’identifier à certaines parts de sa personnalité. Et je pense que c’est pour ça qu’on regarde des films. Pour voir ces gens auxquels on peut s’identifier et qui font des choses qu’on voudrait faire.
Dans ce film, Rose a un rôle plus important. Souhaitiez vous partir sur un trio plutôt qu’un duo pour ce film ?
F.F: On a toujours voulu développer le rôle de Rose et le rendre plus important. Mais tout les films ont comme base le duo formé par Carl et Assad. Elle apporte une dynamique. Quand j’ai lu le scénario du second opus, qui introduit Rose, au début, j’ai eu des objections. J’étais: “Donc vous amenez un nouvel Assad mais cette fois c’est une fille ?”. Elle devait apporter autre chose. Quand Johanna a commencé à jouer le rôle, Rose est devenu quelque chose d’autre de ce à quoi je m’attendais. Et c’est devenu drôle, pour Assad, d’observer la relation entre Carl et Rose. C’est une bonne dynamique car seule Rose peut tenir tête à Carl.
L.V: Elle a un rôle très important dans l’évolution de la relation entre Carl et Assad. Et c’est bien qu’on l’ait introduite dans le second film. Cela permettait d’établir en premier la relation entre ces deux personnages. Et il fallait une personne qui puisse créer une atmosphère, dans les sous sols du commissariat. Ça a crée une bonne dynamique. Elle est très importante dans ce dernier film, car elle soutient Assad dans son évolution alors que Carl reste dans son monde noir et cynique. Elle est un point fixe entre les deux.
N.L.K: Il est aussi important de souligner qu’il est très difficile de jouer un personnage comme Carl. Ça ne devait pas être toujours drôle pour Fares. Il ne reçoit rien de moi. C’est comme jouer avec une porte, une tasse, un verre ou une bouteille. Il me lance la balle et je ne l’attrape pas. C’est pour ça que Rose est bien pour Assad.
F.F: C’est drôle que tu dises ça, mais je l’ai ressenti que pour la première scène du premier film.
N.L.K: vraiment ?
F.F: Oui, après c’était comme si je recevais une balle après l’avoir fait rebondir sur une porte. J’ai l’impression de recevoir beaucoup dans nos scènes.
L.V: C’est parce que tu es un bon acteur, et que tu es très bon pour rester dans ton personnage. On a vu à plusieurs reprises certains acteurs secondaires des quatre films qui jouaient face à Carl, et qui avaient du mal à rester dans leurs personnages. Rester dans son personnage face à une personne qui ne montre rien, même pour les meilleurs acteurs, c’est difficile.
F.F: Ça a été difficile pour la première scène mais ensuite j’en ai pris l’habitude. Nikolaj est très généreux pour discuter les scènes avant qu’on les tourne. Du coup, on savait dans quoi on allait. On sépare le personnage de l’acteur. On sait très bien que c’est pas Nikloaj le salaud. Autrement, cela aurait été dur pour moi.
N.L.K: C’est pour ça qu’à chaque fois qu’un nouvel acteur arrivait, juste avant de tourner, je lui disais: « prépare toi, dans un instant je vais devenir un gros connard. Je vais juste dire mes répliques sans rien te donner ».
Comment le réalisateur Christoffer Boe est il arrivé sur le projet ?
L.V: Je le connais bien car nous étions dans la même école de cinéma comme avec Mikkel (le réalisateur des deux premiers films) et notre scénariste Nikolaj.
N.L.K: Quand j’ai su que tu le connaissais je me suis demandé: « pourquoi n’a ton pas pensé à lui plus tôt » ? Ça m’a étonné qu’on ait pas parlé de lui avant.
L.V: J’ai pensé à lui car mon idée de départ était d’avoir quatre réalisateurs différents. Mais on s’est perçu que Mikkel devait faire le second film, car j’avais peur que le premier ne soit pas un succès en salles. Il fallait que le second soit financé avant la sortie du premier. Ce qui a été une mauvaise idée car on était en plein tournage du deuxième opus quand le premier est sorti en salles, et on a du interrompre le tournage pour faire la promotion de Miséricorde. Heureusement que le premier a été un succès, sinon le tournage du second aurait été morose. Pour le troisième, on a fait appel à Hans Peter Moland, qui a amené autre chose. Et enfin, Christoffer est un réalisateur intelligent qui donne une vraie patte à ce qu’il fait. Je pense qu’il était la meilleure personne pour réaliser ce quatrième film et je suis très heureuse qu’il ait accepté.
Est ce difficile pour vous deux d’entrer dans vos personnages ?
F.F: Pour ces films, on est un peu limité vu que c’est basé sur des romans. Et comme cela parle d’une relation entre deux personnages, on doit respecter les idées de l’autre. Au début, j’ai essayé de rendre Assad plus humain, plus respectueux et moderne qu’il ne l’est dans les livres. Mais c’était surtout la relation entre Carl et Assad qui a demandé beaucoup plus de travail pour Nikolaj et moi. De plus, il y a eu la barrière de la langue. Je suis suédois et le film est en danois. C’était beaucoup de travail sur le texte avec un coach.
N.L.K: Devenir Carl a été difficile pour moi au début. C’était dur de ne rien faire, ne rien montrer et c’était un problème. Il fallait montrer quelque chose au public. On en a beaucoup discuté. « Est-il stupide ou solitaire ? Est ce qu’on le déteste ? ». Cette relation ne marche que parce qu’ils sont deux. Si j’étais seul, cela ne fonctionnerait pas. Personnes ne regarderaient. Jouer quelqu’un de sinistre est très facile pour moi car je peut m’en extirper en un claquement de doigt et faire le con dans la minute. D’ailleurs, ça exaspérait Fares au début.
Qu’avez vous lu en premier? Les scénarios ou les romans ?
F.F: Les scénarios. Je ne suis pas très fan des livres. Je n’aime pas Assad tel qu’il est dedans. J’ai lu le premier tome pour la préparation du premier film mais je me suis ennuyé.
Est ce que le scénario a évolué durant le tournage ?
F.F: Oui et non. Évidemment, on en a parlé avant de commencer le tournage, mais durant celui-ci pas vraiment. On pouvait improviser mais la structure reste la même. Et puis, comme je l’ai dit, il y a aussi la barrière de la langue donc je ne pouvais pas trop m’éloigner du texte. Un peu plus chaque film mais pas de beaucoup.
N.L.K: Ça dépend aussi du genre. Ici, c’est très focalisé sur l’histoire. On ne peut pas trop s’en éloigner. Quand on discutait c’était surtout: « est ce qu’on a besoin de cette blague ? Est ce qu’on va refaire tomber la tension à ce moment? On peut discuter de ce genre de choses mais avant le tournage ».
L.V: Le scénario de Nikolaj est écrit presque comme on va le monter. Donc c’est très serré. Cela a été étiré lors du tournage car vous avez trouvé tout les deux vos personnages. Il y a beaucoup de non dits, de regards, du coup il a fallu arranger les scènes pour qu’il y ait toujours quelque chose. En plus de ce qui est dit. On a eu une première version du film, très longue. Il a donc fallu étendre certaines scènes pour laisser place au développement des personnages.
L’histoire du film est basé sur des événements réels. Sont ils connus au Danemark ?
L.V: Pour notre génération, oui. Moins pour les plus jeunes. Avant, il y avait un endroit où l’on pouvait prendre le ferry et se rendre sur l’île sur laquelle ces jeunes femmes étaient envoyées jusqu’au début des années 60. Les parents de cette époque disaient à leurs enfants d’être sages sinon ils étaient envoyés là bas. Je connaissais l’histoire, mais les jeunes actrices du film ne la connaissaient pas.
N.L.K: Moi non plus, je n’en avais jamais entendu parler.
L.V: C’est une histoire qui n’a jamais été racontée sur grand écran. Il y a bien eu des documentaires. Et pourtant c’est clairement d’actualité. Il y a environ six mois, un politicien du Danemark voulait placer beaucoup de réfugiés criminels sur une île, avec un seul ferry par jour… Je pense que c’est une partie importante de l’histoire danoise. À l’époque ce n’était pas un scandale. C’était un endroit pour se « débarrasser » des problèmes et du « mauvais » ADN de la société. La politique de l’époque était de créer une société saine.
Le duo formé par Carl et Assad est un peu basé sur le concept du bon et mauvais flic. Ici, les frontières se troublent car Carl est embarrassé par le départ imminent d’Assad. Il s’adoucit. Comment avez vous aborder ceci dans l’évolution de vos personnages ?
N.L.K: Depuis le premier film, Carl répète qu’il n’a besoin de personne. Pourtant, c’est évident que ce n’est pas le cas. C’est même plutôt pathétique, et il a besoin d’Assad et de Rose. On connait des personnes qui veulent qu’on les acceptent pour ce qu’elles sont. On aimerait les voir s’ouvrirent. C’est quelque chose qu’on ne pouvait pas aborder réellement avant le dernier film. Cela aurait gâché leur relation si dés le début je lui disais : « mon pote, je t’aime ». Cette fois on a pu le faire et on en est très heureux.
Nous avons participé à cette table ronde avec Alexandre de Close Up Magasine, Anne de Le Bleu du Miroir, Aude de Epixode, Elise de Lily lit, Isabelle de Unification et Lisa de Esprit Ciné.
Un grand merci à Wild Side, Wild Bunch et Mensch Agency pour nous avoir permis de participer à cette table ronde.