[Critique] Cyrano : Le poète ne fait plus mouche dans la langue de Shakespeare

Caractéristiques

  • Titre : Cyrano
  • Réalisateur(s) : Joe Wright
  • Scénariste(s) : Erica Schmidt d'après la pièce d'Edmond Rostand
  • Avec : Peter Dinklage, Haley Bennett, Kelvin Harrison Jr, Ben Mendelsohn, Monica Dolan...
  • Distributeur : Universal Pictures France
  • Genre : Comédie musicale, Drame
  • Pays : Etats-Unis, Royaume-Uni, Canada
  • Durée : 2h03
  • Date de sortie : 30 mars 2022
  • Note du critique : 3/10

Cyrano De Bergerac en anglais… et en comédie musicale ?

Les anglo-saxons nous ont depuis longtemps habitués aux adaptations de classiques de la littérature étrangère – y compris Joe Wright, dont le Anna Karénine, mis en scène à la manière d’une tragédie scénique, nous avait agréablement surpris en 2012. Il s’attèle cette fois-ci au chef d’œuvre d’Edmond Rostand, Cyrano De Bergerac avec Peter Dinklage dans le rôle-titre et, à cette seule annonce, une légère appréhension nous saisit. Le héros du dramaturge, fin fleuron de la langue française, n’allait-il pas nécessairement perdre de sa force dans la langue de Shakespeare ? Et quid du fait de changer le handicap du héros ? Vraisemblablement, il vaut mieux être nain qu’avoir un gros pif dans le cinéma hollywoodien…

Malgré notre appréciation du jeu d’acteur du célèbre interprète de Tyron Lannister dans Game of Thrones, il y avait la crainte de voir une adaptation fade et sentimentale, joliment mise en images, mais lisse. Et c’est là qu’un autre élément se fait jour : il s’agit en réalité de l’adaptation de la comédie musicale créée par la femme de Peter Dinklage, Erica Schmidt

peter dinklage et kelvin harrison jr dans le film cyrano de joe wright

Une adaptation fade et bavarde, qui ne suscite aucun trouble

Autant ne pas faire durer plus longtemps le suspense : ce Cyrano est tristement ennuyeux et gentillet, bien loin du dynamisme et de la formidable inventivité de la pièce originelle. Pire : alors qu’il est connu comme un réalisateur spécialisé dans les romances en costumes, Joe Wright ne parvient à aucun moment à retranscrire le trouble et les affres de l’amour silencieux de Cyrano pour la belle Roxanne (Haley Bennett), ni tout le jeu de double séduction qui se met en place à travers la correspondance que Cyrano rédige au nom du sympathique mais peu éloquent Christian (Kelvin Harrison Jr.). Au-delà de la dimension trop conventionnelle de l’écriture, c’est entre autres le choix de la comédie musicale qui est en cause ici – ou plutôt, devrions-nous dire, d’une mauvaise comédie musicale tant aucun morceau ne se distingue au cours de ces 2h03.

La pièce de Rostand tirait sa force romantique et tragique du non-dit : Cyrano se dévoile à travers de grandes et belles déclarations à Roxanne, mais c’est Christian qu’il sculpte et modèle ce faisant et c’est Christian que Roxanne voit. Quand il est en sa présence, il se tait et sa déclaration d’amour la plus directe à la belle, avant de mourir, est ce “Va, je ne te hais point” qui a tant ému et fait pleurer le public des différentes adaptations sur scène au fil du temps. Bien entendu, le non-dit n’est pas incompatible avec le genre de la comédie musicale, bien au contraire [voir à ce sujet notre analyse de l’épisode musical de Buffy contre les vampires], mais la comédie musicale d’Erica Schmidt l’exploite malheureusement fort mal – c’est-à-dire pas du tout ou du moins trop peu. Plutôt que de faire chanter les lettres (ce qui aurait au moins tenu du parti pris), on a droit à la lecture des lettres, suivies de manière quasiment automatique par des dialogues puis une chanson. On obtient ainsi un film beaucoup trop bavard, qui ne laisse presque aucune place à l’implicite et donc au trouble amoureux, même si le jeu de Haley Bennett laisse transparaître de-ci de-là dans le regard de Roxanne une certaine ambiguïté, qui suggère qu’elle se doute peut-être de l’identité de l’auteur réel des lettres avant la fin. De plus, les chansons (aux mélodies peu mémorables, donc) étant nombreuses, elles s’enchaînent toutes les 5-10 minutes et lassent vite.

peter dinklage dans le rôle de cyrano de bergerac dans le film de joe wright

Un drame romantique trop tiède et trop sage

Il y a aussi un point critique pour le public français : la mélodie des répliques (nous avons vu le film en VO). Oui, le scénario d’Erica Schmidt ménage quelques rimes et un certain rythme aux envolées poétiques de Cyrano… mais celles-ci ne font pas mouche de la même manière, loin s’en faut. Difficile d’oublier l’original ou Gérard Depardieu dans la version de Jean-Paul Rappeneau (1990).

Pour le reste, le casting est assez bon et sympathique, les acteurs font globalement le job sans pour autant être follement inspirés. Peter Dinklage reste le plus convaincant. Haley Bennett sait jouer l’ingénuité, mais on aurait bien aimé que l’ambivalence du personnage, que l’on sent poindre par moments, soit plus développée. En ce qui concerne Joe Wright, sa réalisation est propre et globalement trop sage et policée, à quelques exceptions près – comme le premier duel de Cyrano, où la violence qui éclate à la fin d’un échange fleuri a au moins le mérite de créer un contraste intéressant qui permet de poser le personnage. Malheureusement, tout le reste du film consistera à nous montrer un Cyrano triste et malheureux et qui ne s’anime qu’en écrivant ses lettres, avec fort peu de subtilité. On ne parlera même pas de la fin (chantée !) qui ferait se retourner Edmond Rostand dans sa tombe…

Bref, vous l’aurez compris : ce Cyrano ne nous a vraiment pas convaincus, à tel point qu’on aurait préféré (et de loin), que Joe Wright opte pour l’approche ouvertement pompière des Misérables de Tom Hooper (2012), qui avait au moins le mérite d’assumer sa kitscherie et son pathos à tout crin avec panache. Ici, la tiédeur de cette adaptation chantée n’a réussi à provoquer chez nous que soupirs et bâillements.

Article écrit par

Cécile Desbrun est une auteure spécialisée dans la culture et plus particulièrement le cinéma, la musique, la littérature et les figures féminines au sein des œuvres de fiction. Elle crée Culturellement Vôtre en 2009 et participe à plusieurs publications en ligne au fil des ans. Elle achève actuellement l'écriture d'un livre sur la femme fatale dans l'œuvre de David Lynch. Elle est également la créatrice du site Tori's Maze, dédié à l'artiste américaine Tori Amos, sur laquelle elle mène un travail de recherche approfondi.

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