Caractéristiques
- Titre : Rendez-vous à Tokyo
- Titre original : Chotto omoidashita dake
- Réalisateur(s) : Daigo Matsui
- Scénariste(s) : Daigo Matsui
- Avec : Sosuke Ikematsu, Sairi Itô, Jun Kunimura, Masatoshi Nagase, Ryô Narita...
- Distributeur : Art House
- Genre : Drame
- Pays : Japon
- Durée : 1h55
- Date de sortie : 26 juillet 2023
- Note du critique : 8/10 par 1 critique
Attente et solitude citadine
Second long-métrage du réalisateur japonais Daigo Matsui après Ice Cream and the Sound of Raindrops en 2017, Rendez-vous à Tokyo est une réflexion douce-amère sur le passage du temps et le sentiment d’isolement à travers l’histoire de ses deux protagonistes principaux, Yo (Sairi Itô), jeune femme chauffeur de taxi et Teruo (Sosuke Ikematsu), ancien danseur devenu ingénieur lumière suite à un accident.
Le film possède une forte dimension contemplative, notamment dans sa première partie. Le film possède de nombreux plans longs et silencieux, principalement dominés par les bruits d’ambiance, que ce soit dans l’appartement de Teruo (éléments du séjour, le chat en train de manger, les gestes du personnage au réveil…), mais aussi à l’intérieur du taxi, dans la rue, le jardin, et dans les nombreux moments « d’entre-deux » du quotidien dans lesquels nous suivons les personnages.
L’attente apparaît dès le départ comme un thème central, bien qu’inscrit en creux au sein de l’intrigue : Yo attend les clients de son taxi et ne semble pas savoir ce que lui réserve la vie, un homme attend inlassablement le retour de sa femme sur le banc d’un jardin urbain au point de donner l’impression de faire partie du décor, Teruo attend qu’on lui fasse signe pour éclairer les artistes sur scène… Deux hommes dans la rue en 2019, au début du Covid, disent « On ne peut qu’attendre et voir comment ça évolue ». Cette thématique est ici traitée aussi bien de manière terre à terre que symbolique et existentielle pour nous parler de la vie des deux personnages et de leurs errances.
Trajectoires parallèles et errance existentielle
Lors de sa première partie, au cours de laquelle nous suivons les trajectoires parallèles de Yo et Teruo (leurs chemins se croisent à peine au bout de 15mn, avant que le lien entre eux ne nous soit révélé au début du second acte), Rendez-vous à Tokyo s’apparente à un récit de tranches de vie douce-amères du quotidien, où l’on en sait assez peu sur les deux protagonistes, qui semblent quelque peu se tenir « à côté » de leur propre existence, voire enfermés. Les partis pris de mise en scène soulignent assez clairement cette sensation de solitude et d’enfermement par la manière du réalisateur de privilégier le cadre dans le cadre (Yo filmée dans le cadre restreint du taxi depuis l’autre côté du pare-brise, personnages filmés de l’extérieur derrière une fenêtre…) ou d’isoler ses héros au sein de celui-ci, soit alors qu’ils sont entourés lots de moments qui se voudraient conviviaux, soit en les écartant de l’action à proprement dite, comme lorsque Teruo attend depuis les coulisses qu’on lui fasse signe pour éclairer les artistes.
Le témoignage de certains clients de Yo insiste aussi sur le sentiment de solitude à Tokyo (le film commence d’ailleurs en 2020, en plein Covid), comme cette toute jeune femme en apparence guillerette qui sort faire la fête le soir de son anniversaire et confie à l’héroïne qu’elle a fait une tentative de suicide la veille. Yo elle-même, chauffeur de taxi toujours en mouvement et assez mystérieuse, confie qu’elle a voulu faire ce métier pour conduire les gens à destination car elle-même ne sait jamais où aller.
Remonter le cours du temps
Une grosse partie de l’originalité du film tient à son concept, qui est de nous raconter une histoire d’amour à rebours sur 5 ans, en partant du présent et en reculant d’1 an à chaque ellipse, chaque nouvelle « tranche » nous montrant 1 seule journée (toujours le 26 juillet) dans la vie des deux protagonistes, du petit matin ou de 0h07 jusqu’au soir. De ce concept, qui n’est certes pas inédit, Daigo Matsui parvient à tirer une vraie force par ce qu’il parvient à mettre en valeur, par son écriture, de notre rapport au passage du temps et de la réalisation des ambitions, tant personnelles que professionnelles de chacun.
Ainsi, l’homme du jardin qui a perdu la raison finit par retrouver son épouse en reculant à une période où elle était toujours vivante. De sorte que la réplique « Je l’ai enfin retrouvée » a alors un véritable impact émotionnel, quand bien même le jeu des acteurs, l’écriture et la mise en scène demeurent très simples. Le film joue également, au-delà du passage du temps, sur sa perception, que ce soit d’un segment à l’autre ou au sein d’une même journée en s’attachant au ressenti des personnages et à leur rythme interne (parfois en décalage avec le monde qui les entoure), mais aussi en jouant parfois sur des variations de rythme.
L’histoire d’amour des deux personnages permet aussi de parler des choix de vie et décisions personnelles, du rôle du hasard (le musicien du début, dont il faudra attendre la toute fin pour comprendre son lien avec le couple ; l’accident de Teruo), mais aussi des regrets. Ainsi, juste avant que Yo et Teruo ne s’avouent leurs sentiments respectifs malgré leurs peurs et leur nervosité, le conseil du vieux chauffeur de taxi (« Mieux vaut dire les choses tant que c’est possible ») résonne d’autant plus à ce moment-là quand on repense à la première partie du film.
La tonalité contemplative voire mélancolique de l’ensemble s’estompe ainsi lorsqu’on en arrive au cœur de la romance entre Yo et Teruo. Le rythme se fait plus vif, de même que les couleurs, l’espace autour d’eux semble s’agrandir, comme lors des scènes à l’aquarium ou dans la rue à la toute fin.
Un drame doux-amer porté par un duo convaincant
Les oscillations et interrogations existentielles des personnages sont cependant toujours présentes, et reflètent l’état d’esprit de l’héroïne, qui affirme à son ami « Je n’ai pas de plan de vie, je me contente de faire des détours dans ma propre vie », à l’inverse de son ami, dont les objectifs de vie, clairement établis, seront complètement remis en cause suite à un coup du sort. Un état que le réalisateur parvient à retranscrire plus finement que ce type de réplique grâce à sa mise en scène, à l’écriture en général et à un jeu d’acteurs réaliste qui nous permet d’être en empathie avec eux sans jamais en rajouter. Cependant, s’il n’est jamais ennuyeux, Rendez-vous est Tokyo, par la lenteur générale de son rythme et certains de ses partis pris minimalistes, est un film qui nécessite une attention assez soutenue pour pouvoir être pleinement apprécié, sans quoi on pourrait assez facilement passer à côté.
Au final, il s’agit d’un beau film doux-amer sur l’amour et le sentiment de solitude de deux trentenaires au sein de la mégalopole nipponne. Le film de Daigo Matsui montre également une image moderne du Japon (célibat des trentenaires, fondation plus tardive d’une famille, hésitations professionnelles, homosexualité) avec simplicité et réalisme. Si sa dimension contemplative pourra ne pas convenir à tout le monde, il s’agit d’un film qui mérite d’être découvert pour la sensibilité et le regard qui s’en dégage, ainsi que pour son très joli casting, à commencer par son duo d’acteurs très convaincants.