Caractéristiques
- Titre : Aftersun
- Réalisateur(s) : Charlotte Wells
- Scénariste(s) : Charlotte Wells
- Avec : Paul Mescal, Frankie Corio, Celia Rowlson-Hall...
- Distributeur : Condor Distribution/MUBI
- Genre : Drame
- Pays : Etats-Unis, Angleterre
- Durée : 1h42
- Date de sortie : 1er février 2023
- Note du critique : 8/10 par 1 critique
Aftersun est un film de Charlotte Wells sorti au début de l’année 2023 en France et qui est disponible en DVD/Blu-Ray depuis le 14 juin.
J’avais envie de parler d’un des thèmes principaux de ce film qui m’a énormément touché : la dépression. Quand j’ai vu le film en salle en janvier 2023, sur recommandation de mes amis, j’en ignorais tout.
Je suis donc allé dans le cinéma d’Art et d’Essai le plus proche pour découvrir Aftersun. Je suis resté jusqu’à la fin du générique, choqué par l’impact que ce film avait eu sur moi.
Un scénario déjouant les clichés normalement associés à la dépression
L’histoire est celle de Sophie (Frankie Corio), une jeune fille de 11 ans qui part en voyage avec son père (Paul Mescal). Pendant ses vacances en Turquie, elle se rend compte que quelque chose ne va pas avec lui…
Le synopsis ne va pas plus loin que ça, on est donc sur une pure étude de personnage, une tranche de vie douce-amère qui peut résonner en chacun. Même ceux n’ayant pas directement souffert d’une dépression à un moment de leur vie pourront se sentir émus.
Beaucoup de personnes m’ont dit : « Ce film m’a touché sans vraiment comprendre pourquoi ».
Pour moi, cela vient de la manière de représenter et mettre en scène la dépression que traverse Calum, le père de Sophie. Le sujet étant encore tabou de nos jours, je trouve ça très beau que le 1er film d’une jeune réalisatrice de 35 ans le prenne à bras le corps en déconstruisant beaucoup de stéréotypes sur le sujet.
Nous avons une image de cette maladie qui voudrait que la personne déprimée soit tout le temps triste ou dans un état de mal être constant, alors qu’en réalité elles sont également capables de ressentir de la joie ou d’autres émotions positives. Cela n’invalide pas que, à certains moments, la personne soit victime d’anxiété ou d’idées noires.
Le scénario traite si bien cela que nous avons de prime abord du mal à déterminer ce dont souffre vraiment le personnage joué par Paul Mescal à travers les dialogues. Nous savons qu’il n’est pas très fortuné et que sa femme et lui sont divorcés . Le reste nous est montré à défaut de nous être dit par de subtils moments à travers le film.
Comme dans un vrai cas de dépression, il est particulièrement difficile de dire avec des mots ce que l’on traverse et ce que l’on ressent : tout passe par l’attitude et la manière d’aborder sa propre vie, ses regrets, ses échecs.
Une mise en scène reflétant les émotions des personnages
La réalisatrice comprend que laisser la caméra exprimer les choses décuple l’impact émotionnel que cela aura sur le spectateur, même si celui-ci ne comprend pas bien pourquoi un personnage va faire telle ou telle action.
Par exemple, le passage où Sophie veut aller chanter avec son papa lors d’un karaoké, m’a beaucoup marqué en termes de mise en scène. Nous comprenons, dans un premier temps, par le dialogue filmé de dos en plan taille, que c’est une chose qu’ils avaient l’habitude de faire ensemble par le passé. La caméra est à bonne distance de la scène où le personnage de Sophie va chanter, on se recentre de ce fait sur le dialogue, tout en gardant le sujet du désaccord en arrière-plan. Elle descend sans son père pour chanter une reprise de “Losing My Religion » du groupe REM. La valeur du plan ne changera pas, on reste en plan taille tandis que la jeune fille s’avance sur scène. De ce fait, à cause de la profondeur de champ, elle est moins nette que Calum au 1er plan. Un raccord dans l’axe nous projette au plus près de Sophie, nous permettant de voir l’impact de cette décision sur elle. Un contre-champ nous fait ensuite basculer de son point de vue, en montrant Calum buvant un verre d’alcool tandis qu’il regarde Sophie.
Les paroles qu’elle chante font écho à ses sentiments de perte de connexion avec son père :
C’est moi dans le coin
C’est moi sous les projecteurs
Perdant ma religion *
A essayer de tenir la distance avec toi
Et je ne sais pas si je peux le faire
Oh non j’en ai trop dit
Je n’en ai pas dit assez
Le plan italien, quand nous revenons sur Sophie, devient moins anxiogène .Elle est filmée de plus loin, nous laissant voir son langage corporel s’exprimer. Elle est renfermée, de moins en moins à l’aise avec cette situation.
Un champ contre-champ nous exprime parfaitement la déconnexion entre les deux à ce moment précis, les protagonistes n’étant pas dans le même cadre. Cette désillusion de l’enfant face à sa figure paternelle me semble universelle. On se rend compte que les adultes ne sont pas invincibles et qu’ils ont, eux aussi, leurs propres problèmes. Ce rite de passage vers l’âge adulte est exprimé ici sans aucune parole.
J’avais rarement vu une émotion humaine aussi bien retranscrite par la mise en scène, d’autant plus que le film. touche au monde de l’enfance, complexe à aborder.
La caméra va également prendre le temps de s’attarder sur des paysages ou des actions afin de les capter du mieux possible. Le plus souvent en utilisant de longs plans fixes. Cela donne au spectateur l’impression de regarder lui-même une photographie, bien que les images bougent.
Image et souvenirs
Si nous faisons attention, les petits moments au travers de nos souvenirs peuvent revêtir une importance capitale par le biais, notamment, d’un processus de deuil. Nous nous remémorons le passé pour mieux le comprendre et pouvoir vivre sans ce que nous avons perdu.
C’est ce qui se passe quand nous revoyons le film une seconde fois. Nous lions de plus en plus les différentes scènes entre elles, ce qui nous aide, à la manière de Sophie, à comprendre un peu plus ce qu’a traversé son père.
Nous gardons par exemple des photos de nos proches ou des vidéos de certains moments pour nous souvenir. Prendre un fragment de mouvement à regarder à l’infini. Nous existons au travers de cette reproduction du réel.
Cette idée est également présente dans le film, puisque Sophie se balade pendant la majorité des vacances avec un caméscope. On suppose qu’il lui est offert par son père dans le but de garder un souvenir tangible de ses vacances. La réalisatrice filme même à un moment un polaroid du père et de sa fille en train de se développer. On reste fixés sur celui-ci pendant toute la durée de l’apparition de la photographie à l’image, développant cette idée de temps qui passe, mais qui peut être capté et immortalisé par la photo ou le cinéma.
Ces petits moments du quotidien semblent anodins mais, une fois filmés, ils produisent une nouvelle émotion. Une scène sur un bateau est introduite par un gros plan sur les deux mains des personnages qui s’entrelacent. Pas de « Je t’aime » ou de grand discours sur la place qu’occupe le père dans la vie de sa fille, en un seul plan on croit en leur relation et, ainsi, à tout ce qu’on va voir par la suite. Ces petits moments ont une importance capitale, c’est l’une des thématiques principales du film.
Un film qui a su toucher les jeunes
Dans une interview pour The Gardian, la réalisatrice raconte au magazine britannique qu’elle est surprise que cette histoire ait touché autant de jeunes adolescents, et c’est particulièrement ce public qui, je pense, est le plus grand défenseur de ce 1er film. Notamment à cause d’une plus grande sensibilisation aux problèmes de santé mentale établie dans les collèges et les lycées. On peut également noter une grande dégradation de la santé mentale chez les plus jeunes (1). Le suicide étant l’une des plus grandes causes de mortalité chez les adolescents. Notamment chez les jeunes hommes, qui ont plus de probabilités de passer à l’acte. Un film parlant du sujet de manière si personnelle ne peut que résonner chez une partie de son public, qui va se sentir représenté. Je pense qu’on peut se servir d’Aftersun comme d’une plateforme pour beaucoup de jeunes hommes qui peuvent ensuite discuter de leurs émotions et comprendre pourquoi ils ont réagi si vivement. Comme le dit Charlotte Wells :
Le film est certainement ouvert aux interprétations et j’ai vu beaucoup de gens apporter différentes expériences en rapport avec lui, même si c’était certainement une expression involontaire. Mais c’était si clair et lisible pour ce jeune homme. Cela voulait dire tellement, le film s’est connecté si personnellement et spécialement à lui. Il y a une ouverture et un langage autour de la santé mentale chez les jeunes qui n’existait pas quand j’étais une adolescente.
Je pense que c’est important que ce sujet soit aujourd’hui traité par de jeunes auteurs qui ont conscience de certaines problématiques que les générations passées n’avaient peut-être pas, comme le dit la réalisatrice.
Aftersun nous prouve que le cinéma actuel peut encore nous offrir de beaux moments d’émotion si nous savons où chercher. J’espère que le beau succès du film en France incitera son distributeur à nous donner sur grand écran les prochains films de cette talentueuse nouvelle autrice.
Articles parlant du sujet de la santé mentale chez les jeunes :
Santé mentale des adolescents sur le site de l’organisation mondiale de la santé paru le 17 novembre 2021
https://www.who.int/fr/news-room/fact-sheets/detail/adolescent-mental-health
Articles de santé publique France sur le sujet de la dépression avec quelques chiffres et des explications :
https://www.santepubliquefrance.fr/maladies-et-traumatismes/sante-mentale/depression-et-anxiete/la-maladie/#tabs