Caractéristiques
- Titre : Pas de vagues
- Réalisateur(s) : Teddy Lussi-Modeste
- Scénariste(s) : Audrey Diwan
- Avec : Mallory Wanecque, François Civil, Agnès Hurstel, Shaïn Boumedine, Fadily Camara...
- Distributeur : Ad Vitam
- Genre : Drame
- Pays : France
- Durée : 1h32
- Date de sortie : 27 mars 2024
- Note du critique : 5/10 par 1 critique
Une vérité en doublon
Adapté d’une histoire vraie, l’intrigue nous montre Julien, jeune professeur au collège qui essaie de créer du lien avec sa classe en prenant sous son aile quelques élèves, dont la timide Leslie. Ce traitement de faveur est mal perçu par certains des camarades de classe, qui prêtent au professeur d’autres intentions peu louables.
Inévitablement, Julien est accusé de harcèlement au fur et à mesure que les rumeurs se propagent. Le professeur, ainsi que l’élève, se retrouvent pris dans un engrenage dont ils ne peuvent s’extirper car, que ce soit à l’école ou dans les milieux politiques, pour ne pas qu’une situation s’embrase, il n’y a qu’un seul mot d’ordre : pas de vagues.
Co-écrit avec Audrey Diwan et réalisé par Teddy Lussi-Modeste, le film s’inspire d’une histoire vraie vécue par le réalisateur en 2020, professeur de français dans un collège à Aubervilliers accusé à tort de harcèlement par une élève.
Hasard du calendrier, ce film sort trois semaines après un autre métrage traitant du même sujet : La salle des profs d’Ilker Çatak ce qui, en soit, ne constitue qu’un problème théorique, l’un des deux bénéficiant peut-être d’une plus grosse exposition médiatique. Mais les deux métrages partagent finalement des défauts similaires, même si la manière d’aborder le sujet est quelque peu différente.
Un sujet traité par une loupe intimiste
Ici, c’est principalement la lâcheté de sa hiérarchie et des institutions qui est mis en avant via un sujet plutôt clivant, mais extrêmement d’actualité, que ce soit avec le fameux #pasdevagues qui donne son titre au film et qui nous rappelle ce cri de colère du milieu de l’Education Nationale et des enseignants en particulier. Pour son film, le réalisateur préfère se focaliser sur un portrait unique, celui de Julien (François Civil, très habité par le rôle), une jeune recrue pleine d’espoir et d’envie qui cherche à enseigner le français à des élèves devenus de plus en plus hermétiques à la langue de Molière.
Si la reconstitution de la classe prouve d’emblée l’expérience du réalisateur sur le métier, il y a le souci que rarement dans le film nous voyons vraiment le professeur en question enseigner ses cours, le métrage ou plutôt le réalisateur semblant s’intéresser davantage au message politique sous entendu par le sujet.
Ce n’est pas forcément problématique, si ce n’est que le sujet en question n’est quasiment perçu que par les yeux de Julien, et donc interprété par lui-même. Le personnage étant décrit comme presque 100 % positif, l’ambiguïté du point de vue s’impose assez vite même si, par expérience, on se rend bien compte que la situation du milieu éducatif est actuellement très grave.
Pas de vagues peut être presque être vu à notre époque comme une sorte d’anti Entre les murs, qui fut récompensé à Cannes en 2008 et qui, dans son genre, se voulait positif mais était tout aussi partisan voire plus sur le milieu scolaire, que Pas de vagues.
Par conséquent, tout cela relève plutôt d’une lutte d’idéologie car, comme nous l’avons dit au début de la critique, ce n’est pas nécessairement que les infos données sont inexactes, mais plutôt que le propos est appuyé par le biais d’un prisme trop personnel. Le métrage aurait certainement gagné à multiplier les points de vue, même si on constate la relation toxique que la plaignante entretient avec son frère, mais c’est trop peu – surtout que le réalisateur a certainement raison de mettre le doigt sur ces sujets, et que cela aurait donné plus de force à son propos (et sans doute encore plus de critiques, soyons honnête).
Un effort louable mais timoré
Comme nous l’avons mentionné précédemment, nous voyons peu souvent Julien enseigner à ses élèves mais, paradoxalement, c’est quand le métrage le montre tenter de les convertir à la langue française que l’on aborde les passages les plus intéressants.
Que ce soit l’exemple de l’élève illettré auquel Julien consacre ses heures perdues, l’utilisation du mot « harcèlement » dont les utilisateurs ne connaissent même plus la signification exacte ou l’expression « la bouteille d’eau est fraiche » qui, malgré sa simplicité rhétorique, sera mal interprétée.
Une situation de dialogue de sourd intenable, qui finira par faire dire au professeur à un élève qu’il est incapable de faire une phrase simple. Une évolution dans la dureté du personnage qui aurait pu aboutir à un métrage plus jusqu’au boutiste, mais qui, finalement, se contentera d’en rester au constat et entérine mécaniquement son statut de pamphlet politique plutôt que de véritable moteur à chercher des solutions, aussi désagréables à entendre soit-elles. Dommage.
Récit de la descente aux Enfers d’un professeur de français (trop ?) investi auprès de ses élèves qui pense bien faire en créant des liens avec eux pour leur donner confiance, Pas de vagues aborde son sujet par un prisme intime qui est clairement assumé dès le début pour mieux dénoncer l’absurdité de la situation, le personnage interprété par François Civil, accusé d’harceler sexuellement une élève par des regards et sous-entendus, étant homosexuel.
Surtout, par ce parti pris, le film de Teddy Lussi-Modeste interroge la frontière entre la sphère de l’école et la sphère intime. Bien qu’à priori étanches – le professeur ne mentionne jamais son compagnon, même auprès de ses collègues, par exemple – les deux se rencontrent par moments et vont de plus en plus déborder l’une sur l’autre. Les rumeurs lancées par la classe et les déclarations de la jeune fille vont avoir des répercussions de plus en plus lourdes, non seulement sur le travail, mais aussi la vie de Julien, tandis que la jeune fille en question est harcelée au sein de la classe, mais aussi soumise à un frère violent qui terrorise sa famille. Il y a aussi, en filigrane (quoique cela ne soit pas suffisamment exploré) la question de savoir ce que l’on met de soi en tant que professeur des écoles, à la fois dans la manière dont on s’investit, mais aussi dans ce que l’on transmet aux élèves.
Enfin, si le personnage de Julien pourrait sembler presque trop sympathique au départ (y compris par rapport à certains de ses collègues, qui retourneront bien vite leur veste), le film devient également encore plus intéressant en introduisant une forme d’ambivalence chez le personnage qui, si elle n’est jamais mise au premier plan, n’en est pas moins clairement présente et permet au spectateur de s’interroger sur les motivations profondes du professeur. En effet, il semble tenir à tout prix à être apprécié de ses élèves, mais aussi par ses collègues, ce qui peut s’apparenter à un jeu de séduction (la dimension sexuelle en moins). Lorsqu’on le voit emmener manger des élèves à l’extérieur au début du film, on peut ainsi se demander s’il le fait véritablement pour eux et pour les encourager, ou bien pour lui ? De même, bien qu’homosexuel, il semble entretenir sciemment un jeu de séduction avec l’une de ses collègues, qu’il ne cherche pas à décourager, allant même jusqu’à la laisser lui prendre la main, probablement parce-qu’il sent qu’elle est attachée à lui. Ses intentions ne sont certes pas mauvaises, mais le personnage ne se ment-il pas en partie à lui-même en ce qui concerne son rapport aux autres et à son métier ? Ce désir d’être apprécié et reconnu comme un bon prof et quelqu’un de bien le pousse-t-il également à rester au sein de l’établissement alors que la situation commence à devenir dangereuse, tant physiquement qu’émotionnellement, pour lui ? Cela participe à rendre le personnage plus complexe qu’il n’y paraît et à lui apporter une certaine aspérité là où il aurait pu être un peu trop lisse – quand bien même certaines réactions des collègues sont amenées de manière assez artificielles, ce qui est dommage.
Cela contribue également à enrichir la dimension psychologique d’un drame scolaire qui gagne ainsi en tension à mesure que l’on approche de la conclusion. La situation de la jeune fille harcelée par sa classe et qui accuse le professeur suite aux rumeurs, si elle n’est vue que de manière extérieure, par le biais de Julien et de l’équipe éducative, n’en demeure pas moins intéressante et retranscrite de manière juste au sens où il est souvent difficile, pour les professeurs, de savoir véritablement ce qu’il se passe chez les élèves et encore plus difficile d’intervenir lorsque des violences ou problèmes familiaux sont suspectés, ce qui peut engendrer un sentiment d’impuissance. Le jeu de la jeune actrice retranscrit d’ailleurs très bien les sentiments contradictoires du personnage, à la fois timorée, intimidée par tous, admirative du professeur et flattée de l’attention qu’il lui accorde tout en en étant gênée vis-à-vis de ses camarades et des attaques qu’ils lui lancent.
Au final, Pas de vagues est la chronique de la désillusion d’un professeur idéaliste, persuadé que la passion qu’il ressent pour son métier et sa discipline peuvent soulever des montagnes et faire bouger pour ses élèves des obstacles qui se retournent contre lui de manière absurde. Si le film ne donne pas de réponses toutes faites en ce qui concerne les solutions à apporter, il permet en tout cas de s’interroger.