[Critique] Fanon : une vie pour la libération des colonies

Caractéristiques

  • Titre : Fanon
  • Réalisateur(s) : Jean-Claude Barny
  • Avec : Alexandre Bouyer, Déborah François, Stanislas Merhar, Mehdi Senoussi, Olivier Gourmet et Arthur Dupont.
  • Distributeur : Eurozoom
  • Genre : Biopic
  • Pays : Canada, Luxembourg, France
  • Durée : 133 minutes
  • Date de sortie : 2 avril 2025
  • Acheter ou réserver des places : Cliquez ici
  • Note du critique : 6/10

Fanon, biopic sur l’une des figures des théories décoloniales et du racisme, est réalisé par Jean-Claude Flamand-Barny en 2024 avec comme acteur principal Alexandre Bouyer dans le rôle-titre et Déborah François dans le rôle de sa femme Josie Fanon. Le film se concentre sur une période bien spécifique de la vie de l’auteur, celle où il était médecin pendant la guerre d’Algérie. Ce qui permet au scénario d’explorer cette période compliquée et toujours débattue de l’histoire du colonialisme français.

On va donc suivre en majorité les activités de Frantz à l’intérieur de l’hôpital où il travaille, sa manière révolutionnaire de traiter les colonisés et les gens cassés par cette longue guerre. On voit également en parallèle son investissement dans la lutte de libération et sa rencontre avec le FLN. Le protagoniste verra progressivement ces deux mondes s’entrechoquer…

La lutte des marginaux surexpliquée ?

Le film va donc se placer du point de vue de son héros aux prises avec une institution qui ne souhaite pas considérer son travail et le fruit de ses recherches en psychanalyse – bien que ce dernier aspect soit traité de manière bancale dans le film. Le mauvais traitement des patients par l’hôpital, notamment, est traité très succinctement au début du film. On peut supposer que, par manque de temps et par envie de faire un film accessible au plus grand nombre, on passe rapidement là-dessus. Mais on aurait aussi pu imaginer que le mauvais traitement de ces prisonniers aurait pu être montré de manière plus insidieuse, et pas uniquement de manière directe comme au début du métrage.

Ce qui aurait permis de vraiment faire ressentir au spectateur les multiples voies que peut prendre la déshumanisation par les membres d’une institution censée aider les patients. Certains dialogues peuvent sembler en ce sens un peu trop appuyer le message du film – ce qui est le risque avec un film tiré de la vie d’un écrivain puisqu’il faut bien retranscrire son message à l’écran. Ici, il passe par beaucoup d’extraits de L’an V de la révolution algérienne que Fanon écrit pendant cette période. La voix off qui récite ledit texte peut sembler un peu lourde cinématographiquement, mais sert d’introduction à un livre important de l’œuvre de l’auteur. Elle sert donc à sensibiliser le public, notamment tous les spectateurs qui n’ont pas lu cette œuvre et connaissent peu le sujet.

On peut également regretter l’absence de séance de psychanalyse vraiment marquante où la réalisation et le jeu d’acteurs ressortent vraiment. Les quelques scènes dans le film sont agrémentées de flashback là où il aurait été plus viscéral de resserrer l’action dans le temps présent. Cela aurait permis de voir ce qui fait de Fanon un si bon analyste des comportements humains – ce qu’on nous dit beaucoup sans jamais vraiment le voir de manière vibrante à l’écran.

Pour ce qui est de sa carrière d’écrivain, si elle est brièvement mentionnée, elle aurait sans doute mérité d’être un peu plus apparente hors des passages précédemment mentionnés. Surtout qu’elle aurait pu être mobilisée pour parler des comportements racistes de l’Etat français pendant la colonisation. Il fallait rendre justice à Peau noire, masques blancs pour le génie des mots de Fanon sur la question de la psychologie et le rapport de l’homme noir à l’homme blanc et vice versa. L’amour de Fanon pour Sartre est aussi mentionné et il est dommage de ne pas voir leur rencontre à la fin de la vie de l’auteur, quand celui-ci lui dictera sa vision du monde. Sartre en tirera la préface des Damnés de la Terre.

image boyuyer alexandre fanon
Copyright Eurozoom

Une lutte décoloniale sur l’utilisation de la violence

Le film va également se concentrer sur la lutte de libération menée par le FLN. Nous voyons des réunions, rapides, sans trop d’explications. Ce qui compte c’est de comprendre que chacun des membres de l’organisation n’a pas la même idéologie que son voisin. Ce qui les lie, c’est le combat pour la souveraineté. On rencontre par exemple le personnage d’Abane Ramdane, l’un des principaux leaders. Son amitié avec Fanon est montrée, mais on sent qu’on ne prend pas vraiment le temps de la développer. C’est aussi le problème de vouloir traiter deux sujets passionnants en même temps en si peu de temps. Le sujet principal discuté dans ces scènes est l’utilisation de moyens violents du côté des colonisés comme des colons.

On peut aisément faire des parallèles avec notre présent. Les questions d’alors sont celles d’aujourd’hui. Oui, les colonisés sont violents, mais ils sont drainés par les forces coloniales. On montre que tous les moyens d’action sont bons quand le peuple est sans espoir. L’Autre est vu comme la manifestation d’un problème plus grand et se trouve déshumanisé. Les enfants et les jeunes en sont également victimes par une haine grandissante en eux. Ces thèmes sont bien traités et on passe du temps à les explorer. Certes, la réalisation est classique, mais c’est bien que le film essaie de traiter des questions complexes comme celle-là et ce même si, là encore, la manière dont est montré l’impact psychologique de la guerre lors des séances de psychanalyse des différents personnages est décevante techniquement.

Les généraux français sont également montrés comme meurtris par les exactions qu’ils doivent faire. Le scénariste inclut un soldat déserteur de l’armée française pour montrer que la lutte touche les bourreaux. Eux-mêmes, en un sens, sont victimes de leur pays et de son appétit colonial. Le futur de l’Algérie est également discuté en fin de film avec la prise de pouvoir des généraux sur les cellules du FLN. Ni Fanon ni le peuple algérien ne verront une vraie libération au bout du tunnel. Fanon meurt 1 an avant la fin de la guerre et le peuple tombera sous le joug d’un pouvoir autoritaire et despotique. Ce qui reste est la mémoire de ses écrits, qui ont guidé des générations de jeunes et moins jeunes. Il deviendra une inspiration des Black Panters et des différents mouvements décoloniaux. A une époque où son message est vital, Fanon se doit d’être lu ou au moins découvert avec ce film.

Fanon est donc un biopic maigre dans sa forme mais intéressant dans le fond. Il parle d’une partie de l’histoire française importante qu’il est nécessaire de représenter. C’est un film accessible à tous, qui permet un bon tour d’horizon de la pensée et de l’homme qu’était Frantz Fanon.

Article écrit par

Etudiant de 21 ans, j'ai commencé à apprécier le cinéma quand j'ai participé au dispositif "Ecole et cinéma" en primaire, qui m'a permis de voir des films comme Le magicien d'Oz et Les temps modernes. J'ai ensuite continué mon parcours en choisissant un lycée avec option cinéma, puis des études supérieures à l'ESRA Nice. Je termine actuellement ma troisième année en stage chez Culturellement Votre.

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