Alors que le quatrième opus, Bridget Jones : Folle de lui sort en juin en vidéo, retour sur le film qui a lancé la saga : Le journal de Bridget Jones de Sharon Maguire (2001).
Un roman de chick-lit sorti en pleine ère du néo-féminisme des années 90
Publié en Angleterre en 1996 en pleine ère du girl power, Le journal de Bridget Jones est le second roman de son auteure, Helen Fielding, journaliste ayant travaillé plusieurs années sur des documentaires humanitaires pour la BBC (autour de l’Afrique, notamment) avant d’écrire pour diverses publications. Le livre est un succès international dans la catégorie des romans feel-good au féminin qui commencent à connaître de beaux jours en cette période de néo-féminisme où les rapports hommes-femmes évoluent et sont en pleine redéfinition.
Alors que les années 80, aux Etats-Unis et sous l’ère Reagan, avaient donné naissance, dans la culture populaire, à l’archétype (assez misogyne) de la working girl, sorte de vamp carriériste adoptant les mêmes méthodes brutales que les hommes pour accéder à l’argent et des postes de pouvoir, l’heure est à l’affirmation d’une féminité épanouie en ce milieu des années 90 : les femmes peuvent y affirmer leur désir et leur sexualité avec de moins en moins de tabous face aux hommes tout en s’affirmant en tant que sujets et non objets (même en mini-jupe, crop-top et talons aiguilles), on parle de plus en plus d’empowerment et de développement personnel, et l’idée générale est qu’une femme peut faire ce qu’elle souhaite de sa vie, célibataire ou non, et accéder elle aussi à des postes importants, sans pour autant devoir imiter les hommes et leurs méthodes pour se faire respecter.
Bien sûr, cette époque de néo-féminisme possède de nombreux paradoxes puisque les années 90 sont la décennie du marketing roi, où les Super Models sont partout et influencent les canons de beauté (avec une certaine variété cependant, entre les top pulpeuses et la maigrichonne Kate Moss), où les magazines féminins, tout en étant tout à fait capables de proposer des contenus journalistiques de qualité aidant à briser certains tabous, n’en dictent pas moins de nouvelles normes, entre le « summer body », les conseils de séduction (ou la manière de bien vivre son célibat), tendances de régimes, etc. Il s’agit d’un féminisme qui dénonce injustices (surtout si elles ont lieu à l’autre bout du monde) et hypocrisies, mais qui n’en favorise pas moins des femmes possédant un certain pouvoir d’achat, qui pourront investir dans des produits ou services haut de gamme.
Bien que résolument positif et optimiste, cet état d’esprit pousse les femmes au perfectionnisme à tout crin : pouvoir avoir le bon poids et la bonne taille pour rentrer dans ses vêtements préférés, être « libre » sexuellement et épanouie dans sa vie amoureuse sans être « dépendante » des hommes, gagner suffisamment d’argent pour assurer son indépendance matérielle sans sacrifier sa vie de famille et personnelle, s’occuper de son équilibre émotionnel et psychologique, faire suffisamment de sport, etc. Bien sûr, le désir d’épanouissement et de bien-être est tout à fait positif… Mais ces conseils pèsent aussi comme de nouveaux diktats ou injonctions parfois contradictoires sur de nombreuses femmes qui peuvent se sentir complexées de ne pas arriver à tout concilier.
Du point de vue de la culture populaire, la période est très riche : le rock, la pop et le hip-hop se côtoient harmonieusement à la télé et à la radio et l’on trouve, dans la continuité des années 80, un nombre impressionnants de films grand public et de superproductions de qualité devenus des classiques – et notamment des comédies romantiques.
Au sein de cette ère portée par un idéal d’égalité entre tous, quel que soit son sexe ou son origine, les clichés sont bien sûr présents et, en coulisses, des abus qui ne seront dénoncés que bien plus tard prolifèrent en silence. Le Royaume-Uni vibre au son des Spice Girls et des All Saints, les boys bands et girls bands cartonnent en Europe et, tout juste 2 ans plus tard, aux Etats-Unis, le phénomène Britney Spears (accompagnée de ses anciens camarades du Mickey Mouse Club, Christina Aguilera et Justin Timberlake, alors membre des NSYNC) changera le visage de l’industrie musicale, bien avant que ses problèmes familiaux et le voyeurisme crasse et misogyne des médias ne la précipitent dans les tourments d’un Enfer qui la rendra prisonnière d’une tutelle durant 13 ans, condamnée à chanter et à se produire sur scène sans relâche alors qu’elle n’avait même pas le droit d’avoir un téléphone portable ou de parler à des amis sans accord ni supervision.
Une héroïne imparfaite et attachante devenue icône du cinéma populaire
C’est dans cette atmosphère optimiste que Helen Fielding donne naissance à son héroïne, Bridget Jones, jeune femme franche, spontanée et terriblement maladroite qui travaille dans le milieu de l’édition et devient journaliste télé presque par hasard suite à une déconvenue sentimentale avec son patron, le séduisant Daniel Cleaver. Bridget a une mère terriblement gênante, est plus « ronde » que les canons de beauté de l’époque (bien qu’elle pèse en réalité 68 kilos et ne soit donc pas « grosse »), fume, et ne semble pas rentrer dans le moule de la Super Woman prôné par les magazines féminins et les médias en général malgré ses efforts acharnés, qui tendent à se retourner contre elle. Loin de la fine fleur anglaise tirée à quatre épingles et parfaitement maîtresse d’elle-même, elle met les pieds dans le plat, trébuche, se met dans des situations embarrassantes, jure comme un charretier… Tout en étant intelligente, authentique, sexy et, finalement, irrésistible.
Il n’est donc pas étonnant que le cinéma s’en soit saisi. Et c’est bien le film de Sharon Maguire, Le journal de Bridget Jones, qui permettra au personnage d’accéder véritablement à la gloire sous les traits de la texane Renée Zellweger, au visage poupin mais au gabarit naturel pourtant à l’opposé de celui de Bridget. Zellweger se fond à merveille dans le rôle et les Britanniques pardonnent facilement cette « incartade » tant elle est brillante, et ce d’autant plus que le reste du casting est majoritairement britannique. Hugh Grant et Colin Firth y gagnent des rôles devenus cultes et forment un tandem de rivaux comique jouant brillamment avec les fantasmes féminins. Le film, bien écrit, revisitant de nombreux motifs incontournables des comédies romantiques tout en rendant justice au roman d’Helen Fielding, porté par une B.O. de reprises de tubes des années 70 à 90, amasse plus de 281 millions de dollars à travers le monde pour un budget estimé à 25 millions.
Surtout, sur un ton mordant, léger et pétillant so British, le film n’en explore pas moins joyeusement archétypes, fantasmes et clichés autour des relations hommes-femmes en faisant preuve de dérision, mais sans jamais prendre de haut les spectateurs. Les paradoxes de l’époque sont mis en avant… sans moralisation. Nous avons affaire à un authentique divertissement populaire, qui n’en oublie pas d’être intelligent, donc, même si, en toute honnêteté, le film fait aussi la critique de la logique qui le sous-tend puisqu’on pourrait le considérer (de même que le reste de la saga) comme néo-libéral et néo féministe. Revoir le film aujourd’hui, comme l’écrivait une journaliste anglaise, c’est se replonger en pleine ère Tony Blair et revivre une époque de l’avant 11 septembre. C’est agréable mais le film a aussi ses défauts et ses facilités du point de vue du féminisme. Il n’apporte rien de révolutionnaire, mais il est intéressant de s’y replonger pour comprendre pourquoi le personnage reste attachant aujourd’hui et comment il a pu se développer grâce à 3 films supplémentaires qui sont aussi représentatifs de leur temps, chacun à leur manière.
Un jeu savoureux autour des stéréotypes
Porté par la voix-off de Bridget Jones écrivant dans son journal intime, le film commence comme une fable, ou plutôt comme un conte de Noël (Le Chant de Noël de Dickens, peut-être ?), dimension religieuse humoristique inclue (« c’était en l’an… (…) 32ème année de mon célibat »). Bridget Jones, 32 ans, est toujours célibataire et doit passer le Nouvel An chez ses parents, sa mère ayant invité tous les voisins, amis et membres de la famille qu’elle ne voit jamais en dehors de cette période. Encore une fois, sa mère va chercher à la caser avec quelqu’un, lui faire des remarques sur son poids et ses vêtements en l’humiliant involontairement devant tout le monde. Dès les premières minutes, le ton est donné, le film commençant à dessiner une galerie de personnages et à jouer avec humour des archétypes féminins et masculins, et des stéréotypes autour de la famille gênante comme des beaufs que l’on peut croiser en certaines occasions, à l’image du collègue des parents qui veut se faire appeler tonton et profite d’une fausse complicité pour tripoter les fesses de Bridget.
Comme la promo du film l’avait lourdement souligné, Renée Zellweger a pris de nombreux kilos pour le rôle (la comédienne étant particulièrement mince à cette époque) et donne véritablement chair (sans mauvais jeu de mots) au personnage. Elle fume d’une manière qui n’a rien de glamour et incarne une femme somme toute « normale », imparfaite, spontanée, socialement maladroite et ce d’une manière souvent moins politiquement correcte que ses consœurs américaines comme, à la télé, Susan des Desperate Housewives une poignée d’années plus tard, autre grande maladroite… qui ne perd jamais son élégance et son glamour dans les pires situations.
Le film prône cette idée que l’imperfection peut être sexy et que mieux vaut être spontanée et maladroite mais authentique et en phase avec soi-même que de se conformer à un certain modèle ou à certaines attentes par opportunisme ou simple soucis des conventions.
Alors certes, la première résolution du personnage lorsqu’elle écrit dans son journal est de perdre du poids (quelque chose qui serait clairement décrié aujourd’hui)… Mais cela n’en demeure pas moins réaliste quoi qu’on veuille bien en dire, et ce point est abordé avec beaucoup d’humour. Des scènes cultes comme la scène de déshabillage où Daniel Cleaver découvre la culotte de grand-mère amincissante de Bridget permettent d’ailleurs clairement de décomplexer sur ce point (Daniel n’est pas du tout gêné par celle-ci) et sont à la fois bien écrites et bien jouées.
Bridget, un personnage aux prises avec les paradoxes de son temps
En ce qui concerne le néo-féminisme et ses paradoxes, le film de Sharon Maguire réserve quelques scènes cultes, comme la préparation à la soirée professionnelle (le lancement mondain d’un livre) qui doit déboucher sur son premier rendez-vous avec son patron, Daniel Cleaver, avec lequel elle a flirté par messages interposés au bureau. Le but de la jeune femme : l’éblouir par son élégance et son érudition devant tous pour mieux finir dans son lit et le conquérir. Elle rejoint son groupe d’amis dans un bar pour une « réunion d’urgence » et chacun y va de son couplet, chaque conseil étant une injonction censée perrmettre à Bridget de renvoyer l’image désirée : elle doit rire aux blagues, connaître le nom de chaque invité et pouvoir présenter tout le monde, briller par son intelligence lors des conversations mondaines, même au milieu de la foule, etc. Evidemment, comme on s’y attend, rien ne va se passer comme prévu, la situation lui échappant à chaque fois qu’elle essaie d’appliquer méthodiquement lesdits conseils. Elle n’en atteint pas moins son but : apparaître sexy et désirable aux yeux de Daniel Cleaver, avec lequel elle couche dans la foulée comme prévu.
Le montage parallèle entre la discussion avec ses amis et la préparation physique à la soirée (choix des sous-vêtements et de la tenue, épilation…) permet de présenter celle-ci comme une mission commando, demandant à la jeune femme une discipline militaire, ce qui se retrouve même dans la musique.
Dès le début, le film s’attache à nous montrer le fossé existant entre cet idéal féminin – qui correspond aussi à certaines des résolutions que Bridget tente de respecter – notamment d’un point de vue physique et hygiénique, et ce que le personnage fait réellement, c’est-à-dire sortir la bouteille chez elle lorsqu’elle est déprimée, fumer sous le coup du stress, ne pas changer de culotte systématiquement tous les jours… Une connivence (renforcée par la voix-off, son humour et son ton direct) s’installe dès les premières minutes avec le spectateur, qui, bien avant Mark Darcy, en vient à apprécier Bridget « telle qu’elle est » face à des personnages bien plus policés qui semblent bien fades voire faux à côté…
Dans ce premier opus, il s’agit de la rivale de Bridget, l’avocate Natasha, fiancée de Mark, et qui permet d’introduire (toutes proportions gardées, après tout nous sommes dans une comédie romantique) une dimension sociale dans la saga, ou plutôt un paradigme entre l’image d’une Anglaise supposément « vulgaire » (bien que d’un milieu assez privilégié) et une autre appartenant à la haute société et en respectant les codes en tous points. Avec Bridget (mais aussi le discret et, en apparence, guindé, Mark Darcy), c’est aussi une certaine idée de l’esprit de rébellion anglaise, directe ou parfois bien cachée derrière les apparences, qui est mise en avant et idéalisée. Cette contradiction apparente entre le fait de vouloir respecter, parfois à outrance, les convenances (notamment dans un cadre professionnel) et de remuer ciel et terre pour une cause à laquelle on croit sans le laisser paraître (Mark Darcy, là encore), ou, de manière plus quotidienne, perdre toute réserve face à une bagarre de rue comme l’illustre de manière comique l’affrontement dans la neige entre Darcy et Cleaver à la fin, qui soulève l’excitation immédiate des clients d’un restaurant, qui se précipitent dehors.
Une licence plus « crédible » que Sex & the City
En cela, le film et le personnage se distinguent clairement de Sex & the City et son héroïne Carrie Bradshaw. Rappelons ainsi que dans la série créée par Darren Star (Beverly Hills 90210) et dirigée par Michael Patrick King, Carrie, censée venir d’un Etat rural et d’un milieu plus « populaire » avant de partir pour New York, semble en vérité avoir toujours appartenu à l’élite mondaine et branchée de Manhattan, même quand le récit tente de nous faire croire qu’elle est financièrement plus « précaire » que ses amies aux postes plus prestigieux et stables (l’avocate Miranda, la directrice d’agence de pub Samantha et la directrice de galerie d’art Charlotte) et ne « survit » que grâce au loyer bloqué de son « petit » appartement donnant sur Central Park. Bridget s’avère en ce sens plus « crédible » que Carrie lorsqu’elle critique les hypocrisies et us et coutumes des proches de Mark Darcy, qui la prennent parfois de haut ou semblent déconnectés d’un monde et d’une population dont ils sont censés défendre les intérêts…
Evidemment, le personnage, devenu star de la télévision, occupera une place de plus en plus privilégiée dès le second opus. Les films lui permettront cependant d’avoir une distance critique à ce sujet que n’aura jamais Carrie Bradshaw et la licence Sex & the City en général, la série (brillante pour beaucoup de choses) et les films se prenant les pieds dans le tapis à chaque fois qu’ils font des tentatives en ce sens, comme l’illustre un baiser féérique ridicule filmé derrière la baie vitrée d’un McDonald’s dans la saison 5 ou encore Sex & the City 2, que nous passerons sous silence. Bien sûr, dans un cas comme dans l’autre, on peut parler de cliché, mais tout l’art ou presque des comédies romantiques réside dans le fait de jouer habilement avec ces derniers pour mieux en retourner habilement une partie tout en respectant un certain nombre de tropes, ces motifs que l’on retrouve dans une grande partie de ces œuvres.
Bridget et les fantasmes féminins
L’un des principaux clichés (et fantasmes féminins, à une époque du moins) avec lequel ce premier film joue est bien évidemment le fait de coucher avec son patron. Daniel Cleaver, incarné par Hugh Grant, qui s’écartait ici de son image d’éternel romantique qui lui collait à la peau depuis Quatre mariages et un enterrement (1993) avant d’être entérinée par Coup de foudre à Notting Hill (1999), y incarne le type même du patron dragueur et arrogant à la limite de la plainte pour harcèlement (voire au-delà) mais auquel la gente féminine pardonne tout ou presque grâce à son charme irrésistible. Soyons clairs : aujourd’hui, cette trame ne passerait sans doute plus de cette manière, voire serait prise au pied de la lettre pour dénoncer des violences systémiques… Bien que les comédies romantiques (comme les œuvres de chick-lit) ne soient pas censées être prises au pied de la lettre.
Le scénario, la réalisation et le jeu des acteurs rendent d’ailleurs cette dimension fantasmatique, clairement assumée, évidente. Par l’humour salace du personnage, ses répliques, et ses échanges de messages avec Bridget, la trame autour de Daniel Cleaver est présentée comme un pur fantasme féminin, d’autant plus acceptable que Bridget, tout en ayant un certain recul sur le personnage (qui disparaîtra momentanément par la suite) est explicitement attirée par lui dès le départ. On la voit rapidement émoustillée par ces messages, sans se laisser intimider par ce flirt éhonté, sur lequel elle prend spontanément la main. La dimension « harcèlement au travail » fait rapidement l’objet d’humour des deux côtés, ce qui vient confirmer que la relation est consensuelle.
Le film enfonce d’ailleurs le clou après que Bridget, ayant démissionné (de son plein gré) de son travail après que Daniel lui ait brisé le cœur, se fait embaucher comme journaliste télé pour une petite chaîne locale. Exposant à son futur employeur la raison de son départ, celui-ci lui répond avec enthousiasme : « Chez nous, personne ne se fait virer pour avoir couché avec son boss. Question de principe. » Un trait d’humour britannique typique de la saga.
Surtout, même si cela n’est pas encore vraiment apparent à la seule vision de ce premier film, dans les différents opus de la saga, il n’y a pas le gentil mec discret d’un côté et le séduisant salaud de l’autre, même si Le journal de Bridget Jones joue évidemment avec ces archétypes. Il y a de la tendresse dans l’écriture des personnages et le jeu des acteurs. Les deux personnages masculins évoluent d’un film à l’autre, celui de Daniel Cleaver étant au final le plus surprenant, son côté dragueur et indépendant cachant une vraie solitude à l’origine d’une grande souffrance qui se fera pleinement sentir dans Folle de lui, le dernier film sorti en début d’année.
La femme de 30 ans et le célibat
Evidemment, ce premier film traite principalement de la question du célibat et de la difficulté à s’accepter malgré les injonctions sociétales et ses propres complexes. Lorsque Daniel Cleaver la plaque de manière particulièrement lâche et sournoise après avoir fait double jeu, on voit Bridget jeter sa collection de livres pseudo-féministes de séduction… pour mieux les remplacer par leur contrepartie de type La vie sans les hommes, appuyant comiquement la dépendance de Bridget dans son rapport aux hommes (ou plutôt son obsession au sujet de sa vie sentimentale) alors même qu’elle prétend chercher à s’en défaire.
Confrontée à la vision de la société (et à ses propres cauchemars) autour du célibat des femmes trentenaires, on la voit ensuite déprimer et comater chez elle devant Liaison Fatale, où elle assiste avec choc à la mort par balle du personnage (de psychopathe) de Glenn Close, qui suit sa confession à celui incarné par Michael Douglas : « J’ai 35 ans, c’est ma dernière chance d’avoir un enfant » avant de zapper sur un documentaire animalier parlant du lion qui s’éloigne de la lionne après le coït. Pour comique qu’elle soit, cette scène illustre aussi la situation floue et socialement compliquée (aujourd’hui encore) de la célibataire sans enfant qui n’est que l’amante et pas « l’officielle ».
Pour le reste, le film passe pas mal en revue beaucoup de tropes mais aussi idées reçues autour des relations homme-femme en ce début des années 2000, période mouvante où les dynamiques sont en pleine redéfinition, comme nous l’avons dit en préambule, où les rôles évoluent, même si certaines choses et attentes mutuelles ne changent pas forcément.
La première impression n’est pas toujours la bonne
Le film va en tout cas à l’encontre de l’idée répandue voulant que les premières impressions déterminent les relations et que, pour un couple, l’attirance doit être là de suite – ce qui n’est pas une vérité ni une règle, mais un autre diktat, finalement, de ce qu’est supposée être une relation amoureuse « normale » ou « classique » puisque, initialement, Mark Darcy n’a pas forcément une très bonne image de Bridget et réciproquement. Le célèbre monologue de Mark qui lui déclare maladroitement sa flamme en lui disant qu’il l’apprécie vraiment « telle qu’elle est » apparaît ainsi comme une ode à l’imperfection alors que Bridget voudrait devenir la « meilleure version d’elle-même » comme cela était le message-diktat de ce début des années 2000 en termes de néo-féminisme. La scène « cauchemar en cuisine » avec la fameuse soupe bleue va dans le même sens puisque, au final, c’est le moment de partage entre amis qui compte ici, le ratage culinaire n’en rendant la soirée que plus mémorable et permettant à chacun de rigoler et aux amis de Bridget de briser plus facilement la glace avec Mark.
Les dernières répliques du film, après que Mark ait lu les horreurs que Bridget avaient écrit sur lui dans son journal intime (« Tout le monde sait que les journaux intimes sont remplis de conneries », lui dit-elle), entérinent d’ailleurs cette idée que l’on peut aussi se tromper sur les gens et qu’il faut parfois savoir dépasser les apparences. Un conseil d’autant plus judicieux quand on parle des Britanniques, où il faut aussi savoir voir derrière le vernis des apparences, tout aussi policées soient-elles, que ce soit en bien ou en mal.
Une dimension sociale encore discrète
Si la dimension sociale devient un fil rouge (secondaire mais néanmoins parlant) de la saga dès le deuxième opus, Bridget Jones : L’Age de raison (2004), celle-ci est davantage présente dans ce premier film à travers la relation Mark/Natasha. On comprend à la fin que, de son côté à lui, il s’agit davantage d’une manière de plaire à son milieu et à ses parents, de se conformer à ce qu’on attend de lui. Elle, de son côté, semble vouloir le transformer et envisager cette union comme un investissement pour compléter son parcours/son pedigree, ni plus ni moins.
Quant au premier sujet politique/géopolitique traité par Bridget en tant que journaliste au sein de la saga, celui-ci est montré de manière romantique et un brin humoristique au départ car cela semble en décalage avec le personnage. Néanmoins, cette interview, qui lui apporte une certaine crédibilité pour la première fois, permettra par la suite de développer le personnage et sa carrière/sa personnalité de journaliste TV, le personnage étant de plus en plus affirmé, engagé et politiquement incorrect tout en gardant sa spontanéité, en faisant l’alter ego parfait de Mark Darcy, avocat en droit international spécialisé dans les affaires de droits civiques.
Film résolument de son temps, sorti en France tout juste un mois après le 11 septembre, Le journal de Bridget Jones résume l’optimisme du girl power et du néo-féminisme qui avait émergé dans la seconde moitié des années 90, et clôture en un sens la grande vague des comédies romantiques britanniques et américaines des années 90. Une période qui continuera de nourrir la saga, mais qu’elle saura aussi dépasser sans jamais la renier, les suites interrogeant finalement en creux ce que cette génération et cet esprit sont devenus dans le contexte de plus en plus pessimiste et chaotique d’un point de vue tant social/sociétal que géopolitique qui a suivi.