[Barbie 2/3] « What Was I Made For ? » : assumer ses choix en renonçant à un idéal de perfection

Pour la deuxième partie de notre dossier autour du film Barbie de Greta Gerwig à travers ses chansons, nous nous intéressons à la chanson ‘What Was I Made For?” de Billie Eilish, que l’on entend à la fin du film et qui permet d’aborder un thème important de l’œuvre, qui peut résonner avec de nombreuses personnes : le fait d’assumer ses choix en renonçant à un idéal de perfection que la société nous impose. Cécile Desbrun nous explique de quelle manière cette thématique et cette chanson ont trouvé un écho en elle… [Introduction du dossier à lire ici]

Vocation et questionnements professionnels : s’avouer ce que l’on souhaite

« I used to float, now I just fall down/I used to know but I’m not sure now/What I was made for/What was I made for? » j’avais l’habitude de flotter, maintenant je ne fais que tomber/avant je savais, mais je ne suis pas sûre à présent/de savoir pourquoi je suis faite/Pour quoi suis-je faite ? »

Ces premières paroles de la chanson de Billie Eilish, puissantes, ouvrent un espace et me ramènent quelques jours en arrière… Préoccupée par des recherches professionnelles sur lesquelles j’ai l’impression de ne pas avancer comme je le souhaiterais depuis des mois malgré un planning perpétuellement surbooké, la machine s’est d’un coup de nouveau grippée : maux de tête, crises de larmes, incapable d’avancer sur ce que je dois faire, tous mes doutes personnels prennent le dessus dans tous les domaines de ma vie, je me retrouve à lutter face à mon ordinateur portable, à enchaîner des tasses de café sucré qui aggravent encore plus la situation. Plus je lutte, moins j’y arrive, plus des pensées obsédantes et mes doutes s’intensifient et me submergent, me paralysent. Les heures de retard s’accumulent, ce qui me fait encore plus paniquer, mais je suis incapable de sortir de cette situation.

Jusqu’à ce que j’accepte de lâcher prise et d’arrêter de lutter, d’arrêter de me conformer à quelque chose qui ne me convient plus et me ronge lentement, qui n’est non seulement pas réaliste, mais aussi mauvais pour moi. Par crainte de la précarité, je m’acharne depuis des mois à vouloir chercher un emploi correspondant à mes compétences, très bien rémunéré, et qui me permettra de continuer aussi à mener à bien tous mes projets d’écriture et autre qui me tiennent à cœur en parallèle puisque je ne compte pas sur ces derniers pour obtenir l’entièreté de ma rémunération mensuelle. Je cherche donc un nouvel emploi salarié à plein temps, qui me permettra d’apprendre de nouvelles choses et d’évoluer dans mes compétences, mais qui me demandera malgré tout un investissement important, en plus de celui que je consacre à mes autres projets.

Or, qu’est-ce que je souhaite vraiment, sans arriver à me l’avouer et à l’assumer face à mon entourage depuis longtemps ? Être pleinement indépendante. Travailler en ce sens pour que ça puisse enfin se produire au lieu d’attendre d’avoir l’énergie pour ça. Plus tous mes autres désirs et besoins personnels, qui sont tout à fait légitimes et naturels. Mais, perdue dans ma quête de perfectionnisme, je m’aveugle en partie, rogne les angles, continue à m’adapter de trop aux exigences et besoins de mon entourage pro et perso et… j’y arrive de moins en moins, malgré toute ma bonne volonté. Je m’en plains régulièrement, en souffre, en pleure… sans en parler directement aux personnes concernées ni entreprendre d’actions suffisamment régulières ou, disons, directes, pour que les choses changent. Et quand j’essaie de le faire, j’ai parfois l’impression que c’est dans le vent car je m’en excuse presque. Je suis trop perfectionniste, j’ai envie de mettre toutes les chances de mon côté et ai peur de décevoir si j’agis avant que tout soit tel que je le souhaite et imagine… c’est-à-dire, même si je n’arrive pas à toujours le reconnaître pleinement… « parfait ». J’attends le fameux “bon moment”.

Accepter de lâcher prise

“Cause I, ’cause I/I don’t know how to feel/But I wanna try/I don’t know how to feel/But someday I might/Someday I might” (“Car je, je ne sais pas comment ressentir/Mais je voudrais essayer/Je ne sais pas comment ressentir/mais un jour cela pourrait être le cas”)

A l’instant où j’arrive à réaliser cela, à ne plus être focalisée sur les réactions et émotions d’autrui et à lâcher prise sur le fait que oui, je vais probablement décevoir les attentes de plusieurs personnes et en déranger d’autres en écoutant mes besoins, et aussi en acceptant tout simplement mes limites actuelles, le soulagement m’envahit, un déclic se produit et je doute un peu moins, j’entreprends un tas de petites démarches successives et concrètes qui me permettent de me motiver, d’avancer et d’y voir plus clair plutôt que de vouloir préparer de gros dossiers, des candidatures et portfolios parfaits et bien trop complexes que de raison à réaliser. Je découvre à ce moment-là que je n’ai plus besoin de « faire le point » sur ce que je dois ou veux faire : je le savais déjà dès le début et même comment procéder dans les grandes lignes, mais j’en avais peur. Et, en faisant des recherches, en cherchant des témoignages, je me rends compte que cela est loin d’être déraisonnable, que j’ai raison, aujourd’hui, d’y aller, de m’écouter. Que j’avais raison dès le départ, peu importe les craintes antérieures de certains de mes proches… Et qui n’a pas de craintes, qui ne s’inquiète jamais pour les gens qu’on aime ? Pas moi, clairement, ni les personnes qui tiennent à moi. Ce qui n’est pas une excuse pour ne rien faire…

Je repense alors au message d’un ami en réponse au mien lui faisant succinctement part de mon « déblocage »  : « se connaître devrait être la base, même si on l’oublie souvent.». Et si, de base, il n’a pas tort, dans ma situation précise (et celle de nombreuses personnes de mon âge), cela n’est pas tout à fait pertinent. On peut se connaître et connaître ses désirs, savoir ce que l’on souhaite vivre et faire de sa vie, mais avoir du mal à se décider d’agir de peur d’échouer en raison de doutes et blocages que l’on ne connaît que trop bien. Quand on est perfectionniste et introspectif, le problème n’est pas forcément de se connaître soi-même… mais de parvenir à sortir de soi pour parvenir à agir concrètement malgré ses doutes.

Faire le point, réfléchir, s’analyser… renforce souvent le problème dans ce cas et devient une manière d’éviter de se confronter de trop à ses peurs, à ses émotions, à éviter le jugement ou le regard des autres ou des réactions qui ne seront peut-être pas celles que nous espérons. Cela limite notre évolution, fatalement et nos possibilités d’explorer différentes choses, et différentes facettes de notre personnalité par l’expérience et non uniquement l’imagination, même si imaginer, visualiser, est la base avant de pouvoir prendre des initiatives et agir pour concrétiser nos rêves, nos projets… En ce sens, oui d’accord, j’admets, freiner des quatre fers ou procrastiner bloque en partie l’accès à une meilleure connaissance de soi. Un demi-point partout.

barbie you can be anything
© Culturellement Vôtre

On peut alors aborder nos ambitions sous le mauvais angle, en se focalisant trop sur le résultat, en visant la perfection, un idéal qui ne peut que paraître inatteignable… à l’image de celui représenté par la Barbie stéréotypée incarnée par Margot Robbie dans le film de Greta Gerwig, cette poupée divinement belle qui a exercé toutes les professions possibles et imaginables depuis sa création en 1959 afin d’inspirer les petites filles du monde entier.

première poupée barbie dans l'introduction du film de Greta Gerwig
L’ouverture du film Barbie de Greta Gerwig : l’apparition de la première poupée Barbie en 1959, qui pousse les petites filles à se projeter autrement que comme des mamans… tout en érigeant un idéal féminin… imposant.

De l’idéal à l’authenticité

« Takin’ a drive, I was an ideal/Looked so alive, turns out I’m not real/Just something you paid for/What was I made for? », chante Billie Eilish dans la chanson du film. Soit « : « j’étais un idéal/j’avais l’air tellement vivante, mais il se trouve que je ne suis pas réelle/juste une chose pour laquelle tu as payé/pour quoi suis-je faite ? » Cet idéal est au cœur du paradoxe Barbie qu’aborde le film et renvoie aussi au moto de la marque, que je vois inscrit sur mon stylo alors que j’écris depuis quelques jours : « You can be anything ». « Tu peux être tout », littéralement, même si ce qui est sous-entendu en creux, même si cela n’est pas précisé linguistiquement, est « tout ce que tu souhaites ».

Même s’il se veut inspirant, cet état d’esprit peut vite, dans notre société actuelle où les femmes peuvent se permettre d’avoir des ambitions, tenir de l’injonction et se révéler diablement intimidant, engendrant une angoisse de perfection et de performance dans tous les aspects de sa vie.
Car ce tout est bien trop vaste d’une part et que nos envies d’absolu, de l’autre, nous poussent souvent à idéaliser ce que nous souhaitons atteindre plus que de raison (ou, dans certains cas, les manières d’y parvenir), quand bien même nous sommes des êtres résolument imparfaits. Si les deux sexes sont soumis à ces injonctions de la part de la société, parfois sans même le réaliser pleinement, les femmes y sont plus particulièrement confrontées.

Nous devons être tout pour tout le monde, tout le temps, comme le met très bien en avant le monologue d’America Ferrara (cd. vidéo ci-dessous) dans le dernier acte du film : l’employée ou la boss parfaite, travailleuse, douée, performante, pas chiante mais qui sait se faire respecter tout en restant agréable ni jamais perdre le contrôle de ses émotions ; la partenaire attentionnée et aimante, mais aussi indépendante et sexy, qui est toujours auto-suffisante et n’a pas besoin de son ou sa partenaire pour s’épanouir afin de ne pas perdre son affection ni se perdre elle-même ; l’amie dévouée et rigolote, toujours à l’écoute, partante pour des aventures endiablées, qui peut se confier sans trop se plaindre ou en demander non plus ; la mère super présente, équilibrée, qui est un modèle pour ses enfants et sait gérer sa vie pro, sentimentale, familiale et perso sans fléchir, etc. Je ne suis pas mère, mais je reconnais tous ces autres aspects et tendances en moi.

Or, comment, dans ces conditions, parvenir à entendre et faire entendre notre voix, à sentir et prendre en compte nos besoins, à nous autoriser à les exprimer plutôt que d’y subvenir toujours par nous-mêmes… une fois que ceux de notre entourage, ainsi que les besoins liés aux différentes relations que nous entretenons ont été remplis ? Ce travers de ne pas écouter suffisamment ses besoins, de prendre sur soi (ce que l’on exige des hommes et des femmes à différents niveaux aujourd’hui) ne peut d’ailleurs qu’avoir un effet pernicieux voire pervers dans nos relations puisque cela crée automatiquement des déséquilibres au sein des différentes dynamiques dans lesquelles nous nous trouvons et qui ont au final pour conséquence de nous faire souffrir et de nous éloigner de nous, et donc des autres. On ne peut pas être (ou vouloir être) le moteur au sein de toutes nos relations et faire le travail pour les autres sans que cela ne se retourne contre nous… La puissance et l’empowerment ont leurs limites car personne n’est tout-puissant en ce monde. Ce qui nous amène à… « I’m Just Ken » et aux rapports homme-femme.

Article écrit par

Cécile Desbrun est une auteure spécialisée dans la culture et plus particulièrement le cinéma, la musique, la littérature et les figures féminines au sein des œuvres de fiction. Elle crée Culturellement Vôtre en 2009 et participe à plusieurs publications en ligne au fil des ans. Elle achève actuellement l'écriture d'un livre sur la femme fatale dans l'œuvre de David Lynch. Elle est également la créatrice du site Tori's Maze, dédié à l'artiste américaine Tori Amos, sur laquelle elle mène un travail de recherche approfondi.

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