Nous poursuivons notre exploration politique de la saga Bridget Jones avec Le bébé de Bridget Jones, sorti 12 ans après Bridget Jones : L’âge de raison.
Entré en production dans un climat politique tendu et sorti en salles au Royaume-Uni et aux Etats-Unis en septembre 2016, quelques mois après le référendum au cours duquel les Anglais se prononcèrent en faveur du Brexit, Le bébé de Bridget Jones est, avant la sortie de Folle de lui, l’opus le plus abouti de la saga. C’est également dans ce troisième volet que la réalisatrice Sharon Maguire fait son retour derrière la caméra, 15 ans après Le journal de Bridget Jones.
Evolution du journalisme et du traitement médiatique de l’actualité
Ainsi, bien que la trame principale du film se concentre sur le nouvel imbroglio amoureux de l’héroïne (qui est le père de son enfant à naître ? Mark Darcy ou bien le milliardaire de la tech Jack Quant ?), cette nouvelle suite apparaît comme résolument ancrée dans le contexte socio-politique de l’époque, avec des références à l’actualité parfaitement claires. Bridget Jones étant passée d’animatrice à productrice télé pour Choc-Actu, le film en profite pour rendre compte de l’évolution des médias et du journalisme télé, notamment dans ses travers contemporains.
Le film critique ainsi la tendance d’un journalisme TV qui vise le sensationnalisme à tout crin. Certes, dans les deux premiers films de la saga, la chaîne d’actualités pour laquelle travaille Bridget ne fait pas toujours dans la finesse mais il n’en était pas moins perceptible que, derrière l’humour et l’excentricité so British, se trouvait également une équipe investie et intègre prenant à cœur chaque sujet et ne prenant pas son public (populaire) de haut. Or, ici, Richard annonce très tôt à Bridget que la nouvelle direction vient de débarquer et que celle-ci trouve l’approche de l’équipe trop sérieuse et « vieillotte ». Le personnage féminin secondaire de la nouvelle cheffe de la chaîne semble ainsi avoir une piètre image du journalisme, part du principe que le public ne peut pas s’intéresser à des sujets sérieux plus de quelques secondes s’il n’y a pas d’approche un peu « choc » et semble ne chercher qu’argent et renommée. Un conflit larvé ne tarde pas à apparaître entre les deux femmes, mais Bridget, intelligente, expérimentée, et qui sait également ce qui marche auprès du public, trouve les moyens de la séduire tout en conservant son intégrité.
Sous l’impulsion de cette nouvelle direction, la chaîne inaugure également un nouveau concept : celui de diffuser les flux des smartphones des spectateurs volontaires en direct comme s’il s’agissait d’un réseau de chaînes d’informations, brisant ainsi la hiérarchie entre les journalistes et le public… Ce qui exposera la chaîne à quelques déconvenues lorsque un groupe d’Ecossais en kilt choisit ce moyen de diffusion pour montrer leurs fesses. Cette scène permet de rendre compte, sur un mode humoristique, de l’évolution des médias et du traitement de l’actualité puisque des vidéos prises par des citoyens avec leur téléphone sont de plus en plus fréquemment diffusées sur les chaînes d’information pour couvrir des faits divers ou encore des attentats. Chaque personne munie d’un smartphone peut ainsi devenir une source d’information.
Un monde d’algorithmes et de chats nazis
La place de plus en plus grande des suggestions et conseils à base d’algorithmes via des sites et plateformes est également présente au sein du film à travers le personnage du milliardaire et génie de la tech Jack Quant (incarné par Patrick Dempsey), sorte de pendant plus policé d’Elon Musk, à moins qu’il ne soit un mélange de Musk et de Mark Zuckerberg.
Rival de Mark Darcy dans ce troisième volet, il se retrouve interviewé de manière indirecte sur son rapport au couple et à la paternité par Bridget, qui souffle les questions à l’animatrice en direct depuis la régie. Rétrospectivement, de manière quelque peu ironique, cette scène passerait presque pour involontairement visionnaire ou prémonitoire puisque, lorsque le personnage se met à parler de sa passion dévorante pour les algorithmes, la nouvelle directrice de la chaîne ordonne à Bridget de diffuser sur l’écran derrière lui un meme de chaton à moustache faisant le salut nazi.
La considération (ou manque de considération) pour le grand public est également perceptible à travers une blague de la gynécologue de Bridget (incarnée par Emma Thompson, également co-scénariste du film), sur le modèle de The Voice autour de faux suspense « avec qui Bridget va-t-elle finir et élever son bébé ? » Cette blague repose sur le fait que, dans des sagas populaires, c’est souvent le choix/le vœu du public qui est récompensé. Ici, celui-ci ne fait aucun doute… mais représente aussi le meilleur choix narratif. Une manière pour la saga de lutter contre un certain mépris (élitiste et donc, en partie, de classe) à l’égard des œuvres récompensant ainsi le public, comme s’il s’agissait forcément de quelque chose de mauvais ou purement « commercial ».
Un troisième film ancré dans les tensions politiques de son époque
Au-delà de ça, Le bébé de Bridget Jones fait également référence de manière à peine détournée à la politique russe à travers l’affaire internationale plaidée par Mark Darcy (Colin Firth), qui défend un groupe de jeunes musiciennes aussi bruyantes qu’engagées faisant face à la censure au sein de leur pays. Lorsque Bridget entre dans le tribunal en plein milieu de sa plaidoirie, on l’entend ainsi prononcer ces mots : « Utiliser les lois d’un pays pour détruire la liberté d’expression d’un autre. Cynique manœuvre politique pour priver ces courageuses femmes du droit de dire la vérité sur le pays qu’elles aiment » avant de se fendre auprès d’un collègue : « J’ai hâte de retrouver un bon vieux génocide ! »
Lorsqu’il rejoint Bridget à l’extérieur et qu’elle le félicite, il lance une blague typique de l’humour provocateur et nonchalant du personnage : « Au bout d’un mois avec elles, j’ai presque de l’empathie pour le dictateur qui essaie de les réduire au silence. Personne ne peut supporter d’entendre en boucle ‘Castration, menstruation, libération’ ». Un humour britannique qui permet une mise à distance pour faire face aux tensions du monde et de la société sans les nier, et qui n’empêche ni la révolte, ni la protestation… et encore moins l’espoir comme le symbolise très joliment le voile de mariée de Bridget libéré au vent dans le plan quasi-final. Le côté imperturbable du personnage de Mark Darcy est également mis en avant de manière comique vers la fin lorsqu’on l’aperçoit impassible à la télé face à un groupe de Femen aux poitrines dénudées soutenant et saluant son engagement.
Le film semblait porter l’espoir que, malgré les fractures sociales et politiques au sein du monde et plus particulièrement au sein du Royaume-Uni donc, la société parviendrait à choisir la voie de l’apaisement…
Le plan final, lui, entérine d’ailleurs ce sentiment d’espoir envers et contre tout, de foi aveugle proche de la pensée magique qui est notamment celle de l’enfance : un gros plan sur la une d’un journal posé sur un banc, et qui annonce que l’avion de Daniel Cleaver (Hugh Grant), que l’on pensait mort lors de l’ouverture du film (qui commence par ses funérailles et l’oraison funèbre de ses proches), a été retrouvé dans la jungle et que celui-ci a été retrouvé sain et sauf.
La suite IRL (dans la vie), on la connaît : les Anglais se prononcent en faveur du Brexit le 23 juin 2016 et, durant les 9 années séparant Le bébé de Bridget Jones de Folle de lui, les tensions sociales et politiques enflent partout dans le monde, jusqu’à l’emballement que l’on connaît aujourd’hui. Le ton du dernier opus de la saga s’en ressentira…