[Critique] Captives : Mélanie Thierry au Bal des Folles

Caractéristiques

  • Titre : Captives
  • Réalisateur(s) : Arnaud des Pallières
  • Scénariste(s) : Arnaud des Pallières & Christelle Berthevas
  • Avec : Mélanie Thierry, Josiane Balasko, Marina Foïs, Yolande Moreau, Carole Bouquet, Dominique Frot...
  • Distributeur : Wild Bunch Distribution
  • Genre : Drame, Historique
  • Pays : France
  • Durée : 1h50
  • Date de sortie : 24 janvier 2024
  • Acheter ou réserver des places : Cliquez ici
  • Note du critique : 6/10

La Pitié-Salpêtrière et les hystériques à la fin du XIXème siècle

En 2019, le producteur Jonathan Blumental proposait à Arnaud Des Pallières (Michael Kohlhaas) et à la scénariste Christelle Berthevas (A la belle étoile, Michael Kohlhaas) de réfléchir à un scénario se déroulant au « Bal des Folles » donné à la fin du XIXème siècle à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière à Paris. Une sorte de « foire aux monstres » où les femmes internées au sein du service psychiatrie (souvent pour « hystérie ») étaient exhibées face aux médecins et à l’élite parisienne le temps d’une grande fête où les patientes, vêtues pour l’occasion, côtoyaient le commun des mortels, dansaient, chantaient, afin de glorifier le traitement qui leur était réservé au sein de l’hôpital… Alors même que les raisons d’internement pour les femmes à l’époque pouvaient être quelque peu subjectives et que même celles véritablement malades ou en souffrance ne bénéficiaient pas d’un traitement adapté.

Avec des services surchargés réunissant plusieurs centaines de patientes, il s’agissait bel et bien d’un environnement carcéral où le but était de maintenir l’ordre et de mettre les internées au pas plutôt que de les soigner. Ainsi, comme on le voit dans le film et comme cela est mentionné, souvent, les médecins en charge du service ne rencontraient même pas directement les patientes. Les infirmières consignaient les renseignements ou événements particuliers dans les dossiers et appliquaient ensuite les recommandations des médecins.

C’est ainsi qu’est sorti Captives en ce début d’année, un an et demi après son tournage en région parisienne alors, que, parallèlement, Mélanie Laurent réalisait son adaptation du roman Le Bal des Folles de Victoria Mas (sorti sur Amazon Prime en 2023) sur le même sujet.

marina foïs et mélanie thierry dans le film captives d'arnaud des pallières

Une immersion brute de décoffrage à la réalisation élégante

Le traitement du sujet des « hystériques » (ici, tout simplement toutes les femmes internées) et du bal des folles par Arnaud des Pallières est radicalement différent de celui du film de Mélanie Laurent, qui était plus lisse et feutré – avec un scénario qui versait dans le fantastique, qui plus est. Le ton ici est plus brut de décoffrage, parfois en partie excessif dans certains partis pris dramaturgiques pour renforcer la fibre romanesque, plus dur également, tout en étant hautement cinématographique, avec des partis pris esthétiques tranchés qui contribuent à créer une atmosphère particulière.

On découvre le service des patientes « tranquilles et semi-tranquilles » de la Pitié-Salpêtrière à travers le regard de Fanni (Mélanie Thierry, impliquée et convaincante d’un bout à l’autre), une épouse et mère de famille bourgeoise qui décide d’infiltrer le service en se faisant internet sous une fausse identité afin de retrouver sa mère, qu’elle croyait décédée, et dont une lettre lui a appris l’internement abusif 30 ans plus tôt. Elle pense pouvoir enquêter quelques jours sur place et pouvoir sortir facilement dès lors qu’elle révélerait la vérité et que le personnel se rendrait compte de sa parfaite santé mentale. Les choses ne vont évidemment pas se dérouler de cette manière…

Dès le départ, Arnaud des Pallières privilégie les gros plans et très gros plans et s’attarde sur les visages, les mains, corps et costumes avec une attention méticuleuse, ne s’éloignant jamais ou si peu du visage de ses actrices. Dès les premiers plans, notre attention est fixée sur les mains nouées, tendues de Fanni en route pour l’hôpital dans son épaisse robe d’époque, sur les rides autour de ses yeux et la sueur qui perle à son front en cet été où il faisait souvent très chaud dans les services hospitaliers. La photographie de toute beauté de David Chizallet permet de retranscrire la lumière de manière très vivante tout en magnifiant, par ses contrastes, les costumes et les visages, y compris ceux des patientes les plus marquées par la vie.

Cette hyper focalisation donne une atmosphère particulière à Captives et permet très vite de nous immerger dans cet univers que nous découvrons de manière fragmentée.

le bal des folles dans le film captives d'arnaud des pallières avec mélanie thierry

Une belle galerie de personnages féminins

Au-delà de la quête de Fanni, le métrage prend alors des allures de film choral : on découvre des bribes des histoires de ces femmes, enfermées pour différentes raisons et souvent victimes de violences : inceste, violences sexuelles, enfermées par leur famille car considérées comme « gênantes »… Le film réunit une galerie de personnages assez variés, ce qui en fait la force, bien que le scénario ne s’intéresse pas à toutes de manière égale faute de temps.

Parmi les passages les plus marquants, la séquence où l’ancienne vieille prostituée s’approche de Fanni et répète, en s’adressant à elle, des paroles que ses proxénètes devaient lui asséner, est à la fois poignante et glaçante, le passé semblant tourner en boucle pour cette femme qui passe constamment de la folie à la lucidité et reproduit des comportements dont elle a été victime. On retiendra également une scène où les patientes doivent aider une jeune femme enceinte à accoucher en pleine nuit alors qu’infirmières et médecins sont absents.

Le film montre, à la fin de son premier acte, l’impact psychique de cet environnement et ses violences sur l’héroïne – quoique de manière un peu maladroite et artificielle. Sa dégradation psychique passagère laisse bien entendre ce qu’un enfermement de plusieurs années voire plusieurs dizaines d’années dans des conditions de très grande précarité peut faire à un individu, même sain ou relativement sain d’esprit.

josiane balasko dans le rôle de marguerite bottard dans le film captives d'arnaud des pallières

Marguerite Bottard : sainte laïque ou tyran au service de l’ordre établi ?

Certains pourront bien sûr reprocher au film de Des Pallières certains de ses partis pris narratifs, comme la vision des deux infirmières en chef sadiques et tyranniques, interprétées par Marina Foïs et Josiane Balasko, hautement cinématographique, et qui ne laisse qu’assez peu de place à la nuance – même si celui-ci n’est pas gratuit et fait sens par rapport à ce qui est raconté ici sur la stigmatisation et marginalisation par la société (patriarcale) des femmes ne rentrant pas « dans le rang », quelle qu’en soit la raison.

En ce qui concerne ces deux personnages, le point qui peut faire débat est la représentation du personnage joué par Balasko, Marguerite Bottard, qui a réellement existé. Première infirmière laïque à sortir de l’anonymat, érigée en exemple voire en « sainte laïque » à l’époque (elle resta 60 ans en service et continua à résider à l’hôpital au moment de sa retraite), elle était connue pour son abnégation au service du Dr Charcot et de la Pitié-Salpêtrière.

Comme le film critique très ouvertement le sort qui était réservé aux femmes internées à l’époque et les conditions de leur détention, cette abnégation est ici dépeinte de manière négative, comme une manière de se ranger à l’ordre patriarcal et de profiter des bénéfices qui en découlent. L’attitude du personnage envers les patientes est ainsi à géométrie variable : celles qui sont dociles obtiennent ses faveurs, celles qui se rebellent et pourraient remettre en cause l’ordre établi sont punies.

Si l’exemple de Marguerite Bottard a beaucoup été mis en avant, à l’époque, pour appuyer la laïcisation du personnel infirmier, le fait que la véritable « Maman Bottard », comme l’appelaient les médecins de l’hôpital, était entièrement dévouée à son rôle, gérant 400 patientes et ne prenant jamais un jour de congé, laisse cependant à penser qu’elle se rangeait pleinement à l’avis des médecins et jouait ainsi un rôle-clé dans l’application et le maintien de l’ordre imposé. Certains médecins ne rencontraient jamais les patientes, mais elle les connaissait toutes très bien. En ce sens, il serait assez difficile de considérer qu’elle n’avait aucune responsabilité dans ce qu’il pouvait se passer au sein du service.

carole bouquet dans le film captives d'arnaud des pallières

La valse des actrices : un casting 5 étoiles

Au-delà de la question du réalisme, la grande force du film est d’être un véritable film d’actrices, porté par un casting de très haute volée. Si Mélanie Thierry est aussi touchante que convaincante, Marina Foïs, tout en sécheresse et en sadisme (mais avec une part de tendresse inattendue très bien cachée), livre une performance marquante, de même que Dominique Frot en vieille prostituée, Yolande Moreau en douce mamie frappée d’amnésie ou encore Carole Bouquet en bourgeoise écartée par sa famille, déterminée à attirer l’opinion publique sur son sort et celui des autres femmes, et dont le maintien cache un véritable désespoir. Et, bien évidemment, Josiane Balasko, qui oscille entre fermeté quasi-inflexible et ce qui pourrait passer pour de la tendresse ou de la compassion pour certaines patientes si celle-ci n’était pas une réaction entièrement motivée par l’ego face aux internées les plus dociles. Quand bien même la narration possède ses défauts et quelques facilités, ce casting entièrement féminin nous emporte et permet de passer outre.

Si le dernier acte, qui se déroule au dernier Bal des Folles, tourne un peu court (l’événement tenant surtout lieu de prétexte à l’évasion de l’héroïne), il est l’occasion pour Arnaud des Pallières de retranscrire l’atmosphère de foire/cirque ambulant qui y régnait, les femmes internées y étant exhibées comme des attractions – donnant ainsi lieu à une ambiance un peu étrange le temps de quelques scènes et quelques plans, même si le relatif académisme formel de la réalisation fait que l’on n’est pas dans du David Lynch pour autant.

Au final, Captives est un film d’époque intéressant et engagé sur la marginalisation et le contrôle des femmes en France via l’internement à la fin du XIXème siècle. Si, d’un point de vue historique, le film pourrait être critiqué pour sa part assumée de subjectivité au profit de son message et que le scénario ne va pas toujours au bout de certaines idées qu’il lance par manque de temps, la direction artistique, les partis pris de la réalisation, au plus près des actrices et le jeu de ces dernières emporte notre adhésion et distingue cette œuvre d’autres, plus lisses et froides, que nous avons pu voir auparavant. Il se dégage beaucoup de force et de vie du film malgré certaines réserves narratives que nous pourrions avoir à son encontre.

Article écrit par

Cécile Desbrun est une auteure spécialisée dans la culture et plus particulièrement le cinéma, la musique, la littérature et les figures féminines au sein des œuvres de fiction. Elle crée Culturellement Vôtre en 2009 et participe à plusieurs publications en ligne au fil des ans. Elle achève actuellement l'écriture d'un livre sur la femme fatale dans l'œuvre de David Lynch. Elle est également la créatrice du site Tori's Maze, dédié à l'artiste américaine Tori Amos, sur laquelle elle mène un travail de recherche approfondi.

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