[Analyse] Bridget Jones : L’Age de raison (2004) : Rapports de classes, capitalisme et hypocrisie

Après Le journal de Bridget Jones (2001), continuons notre exploration de la saga sous un prisme politique…

Sorti 3 ans après le premier film, Bridget Jones : L’Age de raison de la réalisatrice Beeban Kidron est un film assez sous-estimé, reçu de manière réservée voire assez sévère par la critique au moment de sa sortie. Néanmoins, le temps a parfois ses vertus et cette suite, sans être un chef-d’œuvre du genre, révèle des qualités en la revoyant aujourd’hui.

Mépris de classe, éducation et tensions dans le couple

Bridget Jones et Mark Darcy sont en couple depuis plusieurs mois lorsque le film commence et tout semble aller pour le mieux dans le meilleur des mondes… Néanmoins, des tensions, déjà présentes dans le premier film, ne vont pas tarder à ressurgir à l’occasion d’un gala de charité auquel Bridget assiste en compagnie de Mark et de ses associés et collègues de travail. En effet, Mark Darcy, grand avocat spécialisé dans les affaires internationales en droits de l’homme, a été élevé au sein de l’élite britannique et son entourage, tant personnel (ses parents) que professionnel a tendance à prendre Bridget de haut. Celle-ci est également choquée que des personnes qui prétendent se soucier de la situation des différents peuples, de la pauvreté et des injustices et n’hésitent pas à se faire bien voir pour leurs actions en ce sens, affichent, dans la vie ou des situations mondaines, une condescendance qui ressemble fort à de l’hypocrisie. « Toi aussi tu penses que les pauvres méritent d’être pauvres ? » lui lance-t-elle alors qu’ils sortent du dîner. Une pique qui permet de prendre un certain recul sur ce qu’est supposé être le « mauvais goût » populaire anglais dans les clichés que l’on peut en avoir… même si, comme nous le disions au sujet du premier film, le personnage de Bridget Jones appartient plutôt à la classe moyenne supérieure avant de s’élever socialement.

Après avoir été apaisées, les tensions entre eux ressurgissent lorsque Bridget pense être enceinte et que le couple, en apparence uni, évoque l’éducation de leur possible enfant à naître. Mark rêve que son fils entre à Eton (prestigieux pensionnat privé londonien fréquenté par toute l’élite anglaise, dont les hommes de la famille royale), comme lui et les hommes de sa famille avant lui, ce qui choque Bridget. « Je n’enverrai pas mon fils en pension dans une institution fasciste où on vous colle un tisonnier dans le cul pour le restant de vos jours ! » Mark, vexé, a lui-même des préjugés sur le genre d’éducation que Bridget voudrait donner à leur enfant et réplique en conséquence. « Quel choix aurait-il ? Dormir avec papa-maman et aller à l’Ecole Moderne où il chantera Yellow Submarine et se masturbera en séance collective ? » Ces tensions, accentuées par les soupçons d’infidélité de Mark d’une Bridget profondément complexée, aboutiront à leur rupture peu de temps après.

renée zellwegger en pleine chorégraphie de madonna en prison dans bridget jones l'âge de raison

Aborder les préjugés culturels par l’humour

Mais la dimension politique (et plus particulièrement les biais et clichés culturels), sont également mis en avant dans la suite du film, où l’on voit Bridget et Daniel Cleaver collaborer ensemble pour Choc-Actu sur une émission télévisée proposant de découvrir différentes cultures en mode guides touristiques. Les sujets de reportages de Bridget et Daniel (notamment en Inde et en Asie), permettent une exploration humoristique des préjugés culturels tout en proposant de trouver le moyen d’en rire et d’aller au-delà pour s’ouvrir au monde et à de nouveaux horizons – souvent entre le rire et la gêne.

L’exemple le plus représentatif de ce ton entre gêne et humour est la scène de la prison dans laquelle Bridget se retrouve enfermée à Taïwan suite à un malentendu (de la drogue a été glissée dans ses bagages à son insu suite à un imbroglio où elle a de nouveau fait preuve de naïveté). En tentant de se rapprocher de ses compagnes d’infortune, elle se rend compte qu’elle n’a pas de quoi se plaindre. Quand elle se met à leur raconter ses mésaventures avec les hommes, celles-ci, pour la soutenir, en font de même, et elle se rend compte que beaucoup sont battues par leur conjoint, exploitées, voire prostituées.

La chute de cette trame narrative ? Elle est libérée car Mark Darcy est intervenu auprès de l’ambassade, des ministres et des services de renseignement, faisant jouer ses contacts pour la faire libérer alors qu’elle risque de 15 à 20 ans d’emprisonnement. Au moment de partir, elle distribue à toutes des cadeaux, dont des push up en satin et des exemplaires du best-seller Les hommes viennent de Mars et les femmes de Venus sur fond du « Material Girl » de Madonna. Des scènes qui pourraient sembler condescendantes si on les prenait au premier degré, mais sont en réalité assez bien gérées, car tenant pleinement compte de la position de supériorité des occidentaux.

Très clairement, le film comporte sa propre critique et celle du système qu’il met en valeur à travers les films, et le personnage de Bridget assume sa posture d’occidentale privilégiée, dont elle ne peut qu’avoir conscience, elle qui pensait être différente des amis et collègues de Mark, même si le procédé est quelque peu facile puisque les femmes qu’elle rencontre à l’autre bout du monde se trouvent dans des conditions extrêmes. Ce parti pris s’explique sans doute en partie par le fait que toutes les spectatrices (y compris celles issues d’un milieu populaire/ayant de faibles revenus) sont supposées se reconnaître dans le personnage de Bridget, comme c’est toujours le cas dans les comédies romantiques. La confronter à des Anglaises dans une situation moins favorable n’était donc, en ce sens, pas un choix envisageable. Toujours est-il qu’elle réalise que l’argent et ses relations lui donnent une liberté que les autres n’ont pas et elle se trouve un brin désarçonnée en cherchant à aider ces femmes. Au final, elle ne peut que leur apporter des livres et des produits qui peuvent toujours constituer une forme d’évasion face à leur situation, même si le symbole que le livre choisi véhicule peut sembler critiquable au vu du drame de la situation sociale et humaine dans laquelle elles se trouvent. Mais la « légèreté » n’est-elle pas une forme de luxe, de liberté en soi ?

La maladresse apparente de la scène est ainsi pleinement assumée, ainsi que la gêne qu’elle provoque malgré ce qu’une première vision pourrait laisser penser. Revu 20 ans plus tard, le film apparaît ainsi plus intelligent et plus fin que l’image que l’on pouvait en avoir à l’époque et s’apprécie mieux au sein des 4 films, qui forment un tout thématiquement cohérent. Il permet d’aborder plus particulièrement les paradoxes d’une société occidentale capitaliste érigée en modèle culturel mais n’assumant pas toujours sa part d’hypocrisie. 

Article écrit par

Cécile Desbrun est une auteure spécialisée dans la culture et plus particulièrement le cinéma, la musique, la littérature et les figures féminines au sein des œuvres de fiction. Elle crée Culturellement Vôtre en 2009 et participe à plusieurs publications en ligne au fil des ans. Spécialiste de la femme fatale dans l'œuvre de David Lynch, elle effectue également un travail de recherche approfondi sur les artistes américaines Tori Amos et Taylor Swift. Directrice de publication du site, elle en corrige également les articles, au-delà de leur validation.

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