Caractéristiques
- Titre : L'épine dans le cœur
- Titre original : L’épine dans le cœur
- Réalisateur(s) : Michel Gondry
- Avec : Suzette Gondry, Jean-Yves Gondry, Michel Gondry et les autres membres de sa famille
- Distributeur : Mars Distribution
- Genre : Documentaire
- Pays : France
- Durée : 1h28
- Date de sortie : 2009
- Note du critique : 8/10 par 1 critique
L’épine dans le cœur, c’est l’amour d’une mère et d’un fils, d’un neveu et de sa tante que saisit la caméra de Michel Gondry. Lorsqu’il filme lui-même sa tante qui pleure après s’être disputée avec son fils, elle voudrait que la caméra ne soit plus là, que ce neveu adorable qui la filme arrête tout, tout de suite. Mais elle sait que ce film est nécessaire pour elle, la tante du réalisateur, institutrice des Cévennes à la retraite ; pour son fils dépressif à l’homosexualité trop longtemps refoulée ; et pour le cinéaste lui-même, neveu qui, enfant, venait en vacances chez sa tante. Ce film est la mémoire de leurs souvenirs, l’exutoire à leurs conflits. Par les rires, les larmes et les bricolages de Michel Gondry.
Un voyage pour que le passé réapparaisse
Le fil conducteur du documentaire de Michel Gondry L’épine dans le cœur, c’est la recréation du parcours que la tante du cinéaste, Suzanne Gondry, a effectué au cours de sa carrière d’institutrice, de village en hameau des Cévennes, au gré de ses mutations, de 1952 à 1986. Elle retrouve les lieux où elle a vécu, où elle a enseigné, elle reconnaît certains visages : ainsi, lors d’une scène superbe, elle parle avec d’anciennes élèves devenues jeunes femmes. Tout au long du film, marquant le voyage effectué, un petit train parcourt des paysages miniatures et s’arrête dans les villages. Les panneaux indiquant les noms des villages ponctuent le film avec leurs couleurs caractéristiques : blanc bordé de rouge pour les plus grands, bleu pour les plus petits.
L’épine dans le cœur est avant tout un film haut en couleur, où on rit de bon cœur des anecdotes racontées et des situations, où on retrouve évidemment les bricolages ludiques des films précédents du cinéaste (Eternal Sunshine of the Spotless Mind, Be Kind Rewind…). L’épine dans le cœur est en ce sens proche de La Science des Rêves (2006), où Michel Gondry évoquait par la fiction certains moments où sentiments de sa vie, lorsqu’il avait la vingtaine. La sensation d’être perdu dans le monde, avec de ce fait la nécessité de fabriquer des constructions loufoques qui permettent que le rêve devienne un peu réalité. Les bricolages enfantins ou sophistiqués de Gondry lui sont nécessaires pour vivre dans le réel : il bricole lui-même un moyen d’accepter l’idée d’exister dans ce monde réel où le meilleur comme le pire arrivent, où on vit et meurt.
Michel Gondry, bricoleur et témoin du réel
C’est une erreur, à mon avis, de considérer les bricolages de Michel Gondry comme des moyens de s’évader. Il y a une séquence qui est fabuleuse où le cinéaste et sa tante vont dans une école, discutant avec les élèves et animant un atelier. Michel Gondry propose au enfants d’enfiler une tenue magique qui leur permettra d’être invisibles : elle est bleue, évidemment, et par la magie des trucages l’impossible, le rêve devient réalité. Les enfants disparaissent, on voit comme leur trace qui court, s’amuse et rit dans la cour de récréation. Quel meilleur moyen de représenter l’absence prochaine de ces enfants qui, ayant grandis, ne joueront plus jamais dans cette cour ?
Michel Gondry est un cinéaste du réel, il filme ce qui est proche de lui, ce qu’il peut voir, en caméra portée. L’épine dans le cœur est ancré dans ce réel, ce n’est pas une fiction, ce n’est pas sublimé par le beau Technicolor rutilant des films en Cinémascope, le cinéaste n’a parfois qu’une petite caméra DV qui tient dans la main, à l’image carrée granuleuse. Michel Gondry aime que le film semble se construire sous les yeux des spectateurs, au fur et à mesure, on l’avait bien vu dans ses films précédents, et un tel documentaire ne peut pas faire exception. De même, les souvenirs se déploient au fur à mesure des lieux traversés, d’une vieille grange où est reconstituée la salle de cinéma improvisée du village des Harkis, jusqu’à New-York.
Les souvenirs se déploient et les langues se délient, les secrets s’exposent. On peut avoir peur que le film ne sombre dans le voyeurisme, mais ce n’est jamais le cas. Car la caméra n’est pas anonyme, elle n’est pas cachée, c’est le regard même de Michel Gondry, qui filme et parle en même temps. Bon, ce n’est pas forcément un argument, car après tout, le voyeurisme ne se limite pas à un procédé : c’est une attitude, que le réalisateur n’a pas. L’épine dans le cœur n’est pas un film sur des gens mais avec eux, le cinéaste n’est pas détaché des autres, il vit avec eux, parcourt les Cévennes. Lui-même s’expose, mais il reste le plus souvent hors-champ car ce n’est pas son film : L’épine dans le cœur est un film pour sa tante et son cousin, sur leur vie, leur conflit, leur amour. Elle n’a jamais accepté la mort de son mari, elle n’a jamais vraiment reconnu l’homosexualité de son fils. Ils sont tous les deux accrochés l’un à l’autre, elle l’institutrice, lui son premier et dernier élève.
Le cœur peut être déchiré, il continue pourtant à battre. L’épine reste lorsqu’on tente de l’enlever, lorsque mère et fils tentent de se séparer. L’épine demeure à jamais.
Article paru le 21 avril 2010 sur le blog de l’auteur, puis le 9 janvier 2014 sur Ouvre les Yeux