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[Critique] The Tree of Life de Terrence Malick : Entre la terre et le ciel

Caractéristiques

  • Titre : The Tree of Life
  • Réalisateur(s) : Terrence Malick
  • Scénariste(s) : Terrence Malick
  • Avec : Brad Pitt, Jessica Chastain, Sean Penn, Hunter McCracken...
  • Distributeur : EuropaCorp Distribution
  • Genre : Drame
  • Pays : Etats-Unis
  • Durée : 2h19
  • Date de sortie : 17 mai 2011
  • Note du critique : 8/10

Malick suscite la polémique

Un film de Terrence Malick est toujours une expérience particulière, déroutante, qui a le don de ne laisser personne indifférent. Il y a ceux que ses films sensoriels et hypnotiques endorment et ceux qui se laissent happer par la magie et la sensibilité de sa réflexion humaine et profonde sur l’homme et la nature et la quête d’un sens à la vie. Cependant, le cas est un peu particulier avec ce Tree Life, œuvre extrême, mégalo en un sens et sans inhibitions aucune, qui a laissé sur le carreau de nombreux fans du cinéaste, acquis d’avance à sa cause, mais qui n’ont pas compris cet étrange OVNI cinématographique, pourtant auréolé de la Palme d’Or au Festival de Cannes. Trop d’attente et d’espoirs fondés, peut-être ?

Bien que le film développe les thèmes récurrents de Malick (l’homme, son évolution, son rapport contradictoire à la nature, la violence, la spiritualité…), les partis pris habituels du cinéaste (montage sensoriel, hypnotique, lenteur/contemplation) sont ici poussés jusque dans leurs derniers retranchements et l’histoire donne davantage d’importance au rôle du père, symbolisant l’homme et son côté cartésien ainsi que la religion au lieu de se concentrer principalement sur la nature représentée ici par la mère, personnage d’une grande douceur entretenant un rapport privilégié à la terre et à l’enfance, doté d’une spiritualité plus « animiste ».

Au nom du père ?

tree of life malick pitt

Ce parti pris a donné lieu à une interprétation biaisée du film,  que nous considérons comme totalement erronée et, en fin de compte, très européenne, voire très française. On a en effet reproché au cinéaste un ton soi-disant moralisateur quand on ne l’a pas accusé purement et simplement de faire du prosélytisme ! Pourtant, quand on regarde le film attentivement sans tirer de jugement hâtif, on se rend compte que Malick, s’il montre de la compassion envers le père interprété par Brad Pitt, ne l’absous pas complètement ni ne se place de son côté d’un point de vue moral et spirituel. La séquence finale reprend certes une imagerie explicitement chrétienne, mais dire que la religion gagne face à la nature représente une lecture hâtive et superficielle de la séquence et du film lui-même. Il faut d’ailleurs se souvenir qu’un cinéaste subversif tel que Pasolini avait convoqué une imagerie similaire
dans son Évangile selon Saint Mathieu, qui n’a rien de bien provoquant (le film a remporté le Grand Prix de l’Office catholique du cinéma à sa sortie en 1964 !), sans pour autant être accusé de retourner sa veste.

Pour notre part, nous avons plutôt perçu le film de Malick comme le récit poignant d’un homme qui s’est senti déchiré toute sa vie entre son père et sa mère, représentant chacun une vision de la vie totalement différente et qui, arrivé à une crise existentielle, cherche à faire la paix avec son éducation et avec lui-même en se repassant le film de sa vie. Il parvient en fin de compte à pardonner au père, dur et éduqué dans un climat chrétien très strict et qui a reproduit le même schéma avec ses enfants … mais dont on ne perçoit que trop bien la fragilité refoulée, les rêves artistiques abandonnés et la frustration. Autant d’éléments qui, s’ils ne l’absolvent pas complètement du comportement très dur qu’il a pu avoir avec ses fils, permettent de
mieux le comprendre.

Entre ciel et terre

Tree-of-Life.png

Le héros joué par Sean Penn (mais paradoxalement peu présent à l’écran) est composé de tous ces éléments contradictoires et il ne peut pas rejeter en bloc son père sans détruire une part de lui-même. Et ce paradis que l’on entrevoit à la fin n’est en fin de compte que la vision subjective et personnelle du personnage, sa manière à lui de faire la paix avec son enfance et de se reconnecter aux siens. Le père et la mère sont en harmonie à l’issue du film si l’on regarde les choses de plus près et l’imagerie chrétienne n’empêche pas un rapport de fusion avec la nature, idéalisée (mais c’est aussi le cas dans les précédents films du cinéaste), mais bien présente dans ces images de sable et d’eau où la mère étreint ses jeunes fils. Il est question de spiritualité, mais celle-ci n’est pas restreinte à la religion.

On a sans doute trop tendance, en Europe et en France en particulier, à considérer que la spiritualité est du domaine du religieux et s’y limite… Mais ce serait oublier qu’il s’agit surtout du mouvement intérieur qui pousse chacun à donner un sens à sa vie, à s’épanouir et s’accomplir en se « nourrissant de l’intérieur. » Certains le font en récitant des prières ou en allant à la messe, mais d’autres vont également se ressourcer dans la nature, face aux étoiles, en méditant, lisant un livre, en créant… Malick est définitivement spirituel dans sa manière de décrire le lien qui existe entre homme et nature et sa vision animiste de celle-ci dans chacun de ses films. Il en est de même ici, à la différence qu’il confronte plus étroitement deux types de spiritualité qui semblent au départ irréconciliables… mais qui ne le sont pas tant que ça en fin de compte. Et il le fait avec nuance, sans céder au manichéisme primaire qui aurait consisté à faire du père un fou de Dieu autoritaire sans la moindre excuse qui ne serait bon qu’à châtier contrairement à l’idéal d’innocence et de beauté de Mère Nature.

Le cheminement de Tree of Life est certes tortueux, parfois difficile (les 30 premières minutes en particulier, passé ce cap on se laisse prendre avec plaisir ou on est définitivement perdu), mais ce film-monde, qui se refuse tout compromis et lorgne plus d’une fois du côté de 2001 : l’odyssée de l’espace, s’avère magnifique et bouleversant si on s’y laisse prendre. Une ode à la vie, à la terre et à la résilience.

Article écrit par

Cécile Desbrun est une auteure spécialisée dans la culture et plus particulièrement le cinéma, la musique, la littérature et les figures féminines au sein des œuvres de fiction. Elle crée Culturellement Vôtre en 2009 et participe à plusieurs publications en ligne au fil des ans. Elle achève actuellement l'écriture d'un livre sur la femme fatale dans l'œuvre de David Lynch. Elle est également la créatrice du site Tori's Maze, dédié à l'artiste américaine Tori Amos, sur laquelle elle mène un travail de recherche approfondi.

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