RILEY (en costume de cadre sup, dans les locaux de l’Initiative) : Nous élaborons un plan pour dominer le monde. L’élément-clé ? Les producteurs de café intelligents.
BUFFY : Dominer le monde ? Tu trouves ça bien ?
RILEY : Chérie, on est le gouvernement. C’est notre boulot.
ADAM (en costume, visage humain) : Certains concepts la dérangent. C’est compréhensible. (à Buffy) L’agressivité fait partie de la nature humaine, bien que toi et mois l’exprimions différemment.
BUFFY : Nous ne sommes pas des démons.
ADAM : En est-tu sûre ?
RILEY : Buffy, nous avons du pain sur la planche. On doit faire du classement, donner des noms aux choses.
BUFFY (à Adam) : Quel était le tien ?
ADAM : Avant Adam ? Nul ne s’en souvient.
VOIX A TRAVERS LE SYSTEME DE SECURITE : Les démons se sont échappés. Sauve qui peut !
Les lumières s’éteignent. Riley et Adam se lèvent.
ADAM : Il pourrait y avoir du grabuge.
RILEY : Construisons un fort !
ADAM : Je vais aller chercher des oreillers.
— Le rêve de Buffy dans « Cauchemar » (Restless), épisode 22, saison 4.
Ce dialogue extrait d’une partie du rêve de Buffy dans le dernier épisode de la saison 4, « Cauchemar », constitue une parfaite introduction à la thématique du pouvoir telle qu’elle est explorée dans la série de Joss Whedon car on y trouve deux éléments essentiels : une dimension clairement politique, puisque c’est une véritable satire du pouvoir américain qui se déroule sous nos yeux, mais aussi une dimension plus profonde, archaïque, où la question de la violence et sa nature (maléfique, donc « démoniaque », ou humaine ?) est posée. De manière révélatrice, au moment où Buffy prononce la réplique « Nous ne sommes pas des démons », la Première Tueuse, qui traque alors le groupe dans leurs rêves respectifs, se trouve juste derrière elle, son visage aux contours flous apparaissant en arrière-plan, dans une disposition telle que l’on peut sans mal dire qu’elle représente, à ce moment-là, pas uniquement l’origine du pouvoir de la Tueuse, mais aussi sa part d’Ombre. Nous ne serons donc pas surpris lorsque l’héroïne, suite à ce dialogue, trouve de la boue dans le sac où elle transporte ses armes et s’en enduit le visage, lui permettant de se reconnecter à cette partie archaïque de sa psyché et, par-là même, à sa nature sauvage.
Cet épisode introduit la plongée du personnage aux origines de son pouvoir de Tueuse, qu’elle cherchera à comprendre tout au long de la saison 5, avant de se sacrifier pour sauver le monde et sa petite soeur. Ressuscitée dans la saison 6, elle s’interrogera, non plus sur la nature de son pouvoir, mais sur sa nature tout court (les deux étant indissociables), tandis que le saison 7, condensé de l’ensemble des problématiques de la série, est entièrement centrée sur cette notion de pouvoir, mise en exergue par cette réplique qui ouvre et ferme le premier épisode, « Rédemption » (« Lessons » en V.O.) : « It’s about power », « C’est une question de pouvoir ». Mais, avant d’en arriver à la cristallisation de ce thème dans la dernière saison, qui viendra mettre l’accent sur le message d’émancipation de la série, cette scène de « Cauchemar » propose une habile déconstruction du pouvoir hiérarchique, ici représenté par le projet militaire l’Initiative, symbole de la puissance américaine, mais également incarné — dans les saisons 3 et 5 — par le Conseil des Observateurs, dont dépend (en principe) la Tueuse.
Déconstruire la notion de pouvoir : une thématique-clé de Buffy
Cette déconstruction, au coeur de Buffy contre les vampires, est essentielle à la série et son message, pas uniquement pour la visée féministe qui la sous-tend, mais également au regard de la visée politique qui se dessine peu à peu, et que Joss Whedon poursuivra dans la suite en comics des aventures de la Tueuse, mais aussi, de manière plus poussée, dans la dernière saison d’Angel, puis Firefly et Dollhouse. Le créateur et showrunner y interroge la notion même de pouvoir : qui le détient et pourquoi ? Et quel est-il ce fameux pouvoir ? Quelle est sa nature, à quoi renvoie-t-il ? De la fin de la saison 4 à la saison 7 de Buffy, ce thème devient donc central et Whedon n’aura de cesse de confronter son héroïne à son statut de Tueuse et à la nature sombre et archaïque de ce pouvoir, condition sinequanone pour ne pas se laisser annihiler par lui et pouvoir décider de quelle manière l’utiliser avant, éventuellement, de le partager, ce qu’elle fera à la fin de la série.
Si la série a parfois été attaquée à travers des « analyses » féministes telles que celle-ci, reprochant à son créateur de soumettre la Tueuse à l’autorité patriarcale du Conseil des Observateurs — un groupe d’hommes blancs basé en Angleterre — les implications politiques ne sont pas du tout considérées d’un oeil patriarcal ou paternaliste, bien au contraire : le Conseil des Observateurs, tout comme le projet Initiative de l’armée américaine dans la saison 4, sont montrés comme clairement à côté de la plaque, puisqu’ils ne comprennent pas réellement ce pouvoir et ce qu’il implique, bien qu’ils pensent pouvoir donner des ordres ou contrôler Buffy, ainsi que les nombreux démons de la Bouche de l’Enfer. Car c’est aussi aussi ça, au final, Buffy : la part de monstruosité et d’innommable tapie en nous, que nous devons confronter et comprendre avant de pouvoir agir au nom d’une quelconque idée de greater good. Or, le pouvoir de Buffy est lié directement à la mort (mort dont elle fait l’expérience personnelle à deux reprises) et la mise en parallèle avec la Première Tueuse, à l’époque où l’homme ne marchait pas encore debout, insiste sur la nature archaïque de ce pouvoir et de la lutte, qu’elle soit bonne ou mauvaise.
Pouvoir de vie, pouvoir de mort
Difficile aussi de ne pas penser au parallèle Première Tueuse/Première Femme, d’autant plus que dans le rêve de Buffy de l’épisode « Cauchemar », nous retrouvons le personnage d’Adam, nommé ainsi par l’Initiative en référence au Premier Homme. Dans la série de Whedon, toutes les Tueuses de vampires sont des femmes et les femmes, comme on le sait, donnent la vie. Buffy, par son statut de Tueuse, donne la mort aux méchants afin de sauver des vies, et cet équilibre indissociable vie-mort est mis en avant et porté à son paroxysme à la fin de la saison 5 dans l’épisode « L’apocalypse (« The Gift » en V.O.), lorsqu’elle réalise que son sang est le seul capable d’empêcher celui de Dawn de couler.
Parce-que, comme le lui avait dit la Première Tueuse lorsqu’elle l’avait invoquée de manière chamanique dans le désert (« La quête », saison 5, épisode 18), « la mort est ton cadeau », mais aussi parce-que « le sang, c’est la vie » : dès lors que nous naissons, nous sommes promis à la mort, mais le sang qui coule dans nos veines se transmet également, et est à même de sauver et de donner la vie tout autant qu’il peut signer notre arrêt de mort si nous en sommes vidés ou si celui-ci est infecté. Buffy comprend d’autant mieux les implications de son pouvoir qu’elle sait ce qu’il en coûte de donner la mort, contrairement à ces messieurs confortablement installés dans leurs fauteuils et agissant en stratèges maladroits, condamnés à être dépassés par leur propre créature, qu’il s’agisse du vampire Zachary Kralik dans l’épisode « Sans défense » de la saison 3, ou d’Adam, créature de Frankenstein hybride, mi-homme, mi-démon, mi-machine dans la saison 4.
Cette impuissance de l’armée face à ce dernier (que Buffy finira par vaincre) est symbolisée de manière très ironique au sein du rêve de Buffy dans « Cauchemar », comme nous l’avons vu, non seulement à travers les dialogues, mais également par la réalisation (voir la capture ci-dessus), Joss Whedon en profitant pour s’attaquer de manière sarcastique et assez subversive au pouvoir américain, centré sur la domination, l’exploitation des richesses étrangères, la manipulation et un patriotisme jusqu’au-boutiste sûr de lui, mais n’hésitant pas à se replier sur lui-même dès que les choses lui échappent de manière ô combien prévisible. Il y a donc là une véritable interrogation de fond, qui dépasse la seule visée féministe, laquelle se trouvera transcendée de manière éloquente dans la dernière saison de Buffy contre les vampires, et plus particulièrement son dernier épisode, comme nous allons le voir dans la suite de notre dossier…
Lire la partie 1/4 : Buffy contre les vampires ou l’étoffe des mythes
Lire la partie 3/4 : « It’s about power »
Lire la partie 4/4 : « Prendre place au sein du monde
Cette analyse du personnage de Buffy Summers fait partie du dossier consacré à la série Buffy the Vampire Slayer créée par Joss Whedon.