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[Critique] Pelat, de Joan Català : le meilleur du cirque avec un mât

Caractéristiques

  • Titre : Pelat
  • Genre : Cirque
  • Mise en scène : Joan Català, avec le regard et les conseils de Roser Tutusaus, Melina Pereyra, Jordi Casanovas, David Climent i Pablo Molinero (Los Corderos)
  • Avec : Joan Català
  • Durée : 1h
  • Dates : Voir sur le site de l'artiste
  • Récompenses : Prix du public SEBASTIÀ GASCH, Barcelona, 2014. Miramiko du meilleur spectacle de rue au festival MIRAMIKO, Belgique, 2014. Prix du meilleur spectacle de rue ZIRKOLIKA, 2013
  • Note : 10/10

Nous avons eu la chance de voir Pelat au cours de la très belle Fête de l’Iris d’Oullins (Rhône) qui se déroule au début du mois de mai au parc Chabrières. Une édition particulièrement réussie, avec village médiéval, démonstration de combats historiques à l’épée par la compagnie oullinoise Excalibur, initiation au hip-hop, clown, jeux en bois et plantes à rempoter chez soi ! Et Pelat, donc. Surgit un homme portant sur une épaule un mât de bois de 5 mètres de long, d’un poids de 20 kilos environ, avec à une de ses extrémités un panier rempli d’accessoires. Cet homme, cet artiste Espagnol, se nomme Joan Català. Dans Pelat, il ressemble à un artisan venu d’un village reculé, à la maîtrise technique oubliée.

Tout Pelat est organisé autour de ce poteau de bois guère différent de ceux des lignes téléphoniques : le mât est tenu en équilibre sur l’épaule, passe d’une partie du corps à une autre, frôle les têtes du public à la fois ébahi et tendu… Joan Català le fait même tournoyer en une épreuve de force époustouflante et, clou final du spectacle, l’artiste se tient debout à son sommet pour faire craquer un dérisoire pétard. Mais la force et la beauté de ce spectacle n’est pas là, même si cela suffit à décrocher la mâchoire… Non, Pelat est une reconnexion.

Tout est là, dans ce dérisoire magnifique : quoi de plus ridicule qu’un énorme mât de bois pour un seul homme ? Pourtant, au cours de l’heure que dure Pelat, l’incroyable pouvoir des circassiens éclate en un seul homme, un poteau de bois et le public. Son créateur et interprète travaille depuis 2005 avec les compagnies Daraomai, Cirucs Klezmer, Fura del Baus, ou encore la compagnie Mudances – Angels Margarit. Né à Barcelone en 1978, Joan Català fait tout d’abord des études d’arts plastiques, avant de suivre des cours dans les écoles de cirque d’Espagne et à Moscou, qui l’amènent à se spécialiser dans le porté acrobatique. Poursuivant ses recherches artistiques au travers de la danse contemporaine, le théâtre gestuel et le clown, il travaille particulièrement les relations entre le corps et les objets, qu’il aime faire communiquer, à l’image de l’homme « berger » qu’il incarne dans Pelat et son mât.

Le cirque de rue comme art du lien social

Tout au long de Pelat, on est interloqué, fasciné, impressionné, on frissonne à toutes les fois où le mât pourrait tomber sur quelqu’un du public, on rit beaucoup et, au final, on en ressort profondément touché et ému. Grâce à un vulgaire poteau, Joan Català vient de recréer une communauté. D’abord par la fascination devant ses portées de ce foutu mât, ensuite par sa formation de l’espace du spectacle en réordonnant le « troupeau » des spectateurs, puis par la peur de se faire percuter par le poteau, avant que ce dernier ne soit apprivoisé à son tour par des gens du public sélectionné. Parce que Pelat, au travers de ses tours de force et de ses jeux d’équilibres époustouflants, c’est avant tout un spectacle de transmission.

Joan Català et son mât de 5 mètres en équilibre, au début de Pelat.
Joan Català et son mât de 5 mètres en équilibre, au début de Pelat. Capture du clip de l’artiste.

Tout ceci sans mots, mais avec des gestes très évocateurs pour organiser l’espace nécessaire au spectacle, marqué à la craie sans même poser le foutu mat. Joan Català communique par des sons avec le public comme un berger avec ses moutons, d’ailleurs, la métaphore animale se poursuivra tout au long du spectacle, avec une voix humaine prenant de plus en plus de place, notamment au cours de vocalises que l’artiste produit et fait répéter à son public. D’ailleurs, l’imprévu merveilleux du spectacle vivant a fait qu’un chien a aboyé plusieurs fois comme s’il imitait les sons de l’artiste. Le rituel savant organisé par Joan Català est finalement un révélateur d’humanité, qui joue pleinement de l’absence de clôture entre la scène et le public : Pelat est du cirque de rue, pensé comme tel et affirmant les pouvoirs de cet art de la rue de la plus belle des manières.

Extrait du spectacle et interview de Joan Català

Une mémoire des gestes et des fêtes d’antan

Le mat de Pelat permet à Joan Català de recréer dans l’espace de la rue, des fêtes et des festivals, des souvenirs d’enfance en Catalogne. Aux origines de ce spectacle créé en 2013, récompensé à plusieurs reprises, il y a la volonté de l’artiste d’évoquer la traditionnelle montée au mat de Cocagne des fêtes catalanes, avec une attention toute particulière portée à l’artisanat. En témoignent les accessoires utilisés tout au long du spectacle et confiés au membres du public choisis pour le poursuivre avec lui. Pelat est aussi une mémoire vivante des objets traditionnels et de leur utilisation, que Joan Català donne à voir, mais aussi transmet.

On se serre la ceinture (par sécurité) dans Pelat : Joan Català et des spectateurs invités à faire le spectacle avec lui.
On se serre la ceinture (par sécurité) dans Pelat : Joan Català et des spectateurs invités à faire le spectacle avec lui. Capture du clip de l’artiste.

Transmission(s) et responsabilité(s), en riant, frémissant, applaudissant

Joan Català ne se contente pas de se faire applaudir pour ses prouesses physiques, formidables, car il met en valeur son public de la meilleure des manière : en lui confiant des responsabilités. Car si au début l’artiste traite le public comme des moutons récalcitrants, quitte à attraper un enfant comme un agneau pour le mettre hors de la zone du spectacle, mais c’est pour mieux responsabiliser le public. Pour sa sécurité, d’une part, et d’autre part parce que c’est la sécurité de l’artiste qui est ensuite entre ses mains. Et il faut voir comment ce mat de 5 mètres que l’on a craint passe d’une zone du public à une autre, chacun prenant soin de ne pas blesser ses voisins inconnus. Il faut voir aussi comment par tapotements quelqu’un du public parvient aussi à le maintenir en équilibre debout : le mat est transmis et, à travers lui, la responsabilité des actes.

Joan Català monte au sommet de son mât de Cocagne dans son spectacle Pelat.
Joan Català monte au sommet de son mât de Cocagne dans son spectacle Pelat. Capture du clip de l’artiste.

Le mot responsabilité n’est pas vide de sens ici : il a un poids égal à celui du mât, une grandeur de 5 mètres et un potentiel mortel. Quelle confiance Joan Català a en la maîtrise de son art pour oser frôler son public avec ! Ce jour de représentation à la Fête de l’Iris d’Oullins, une employée de la mairie observant à la fenêtre se tenait la tête tellement elle appréhendait un accident. Il n’y a que les circassiens comme Joan Català pour oser endosser une telle responsabilité, avec toute la rigueur nécessaire pour n’avoir aucun blessé à chacune des représentations. Quel autre art engage autant l’artiste et son public ?

Parmi les numéros et spectacles de cirque que j’ai pu voir (à titre personnel), Pelat est celui qui m’a le plus frappé, touché, bouleversé. Il faut voir le sourire béat du public au terme du spectacle pour comprendre que ce que Joan Català réalise relève de la métamorphose : d’individus séparés, inconnus (parfois fortement rapprochés par l’artiste), on devient un ensemble d’humains liés par cette même expérience, unique. On retrouve ici le meilleur des fêtes de village, avec le meilleur du cirque.

Joan Català, un berger qui nous rend plus humains

La participation du public par Joan Català n’a rien des habituels applaudissements pour un rien que les spectacles de rue ont tendance à donner facilement au public participant : non, Pelat ne flatte jamais les spectatrices et les spectateurs, mais il les valorise par un respect partagé. S’il avait été un berger au début de Pelat et nous ses moutons, c’est un homme parmi ses frères et sœurs humains qui s’en va à la fin en emportant son mât. Un homme qui s’assied au milieu du public tandis qu’une personne qu’il a sélectionné se retrouve seul, au milieu de la scène, à maintenir le mât en équilibre. Et au travers de ce public participant, ces inconnus qui apprivoisent le mât, c’est tout le monde qui se sent meilleur. Meilleurs ensemble. Le mât de Cocagne auquel Joan Català nous invite à grimper avec Pelat, c’est le nôtre. Celui de la confiance en soi par soi, par les autres et envers autrui.

Retrouvez Joan Català sur son site et prévoyez de venir à la prochaine Fête de l’Iris d’Oullins, un événement éco-responsable qui rassemble tous les ans plus de 10 000 visiteurs et 250 associations partenaires.

Article écrit par

Jérémy Zucchi est auteur et réalisateur. Il publie des articles et essais (voir sur son site web), sur le cinéma et les arts visuels. Il s'intéresse aux représentations, ainsi qu'à la science-fiction, en particulier aux œuvres de Philip K. Dick et à leur influence au cinéma. Il a participé à des tables rondes à Rennes et Caen, à une journée d’étude sur le son à l’ENS Louis Lumière (Paris), à un séminaire Addiction et créativité à l’hôpital Tarnier (Paris) et fait des conférences (théâtre de Vénissieux). Il a contribué à Psychiatrie et Neurosciences (revue) et à Décentrement et images de la culture (dir. Sylvie Camet, L’Harmattan). Contact : jeremy.zucchi [@] culturellementvotre.fr

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