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[Critique] La nuit du 12 : Au cœur d’une enquête irrésolue

Caractéristiques

  • Titre : La nuit du 12
  • Réalisateur(s) : Dominik Moll
  • Scénariste(s) : Dominik Moll & Gilles Marchand, d'après le livre de Pauline Guéna
  • Avec : Bastien Bouillon, Bouli Lanners, Théo Cholbi, Johann Dionnet, Lula Cotton-Frapier...
  • Distributeur : Haut et Court
  • Genre : Policier, Thriller
  • Pays : France
  • Durée : 1h54
  • Date de sortie : 13 juillet 2022
  • Acheter ou réserver des places : Cliquez ici
  • Note du critique : 8/10

Mystère au sein d’une petite communauté montagnarde

Septième long-métrage de Dominik Moll, présenté cette année en compétition officielle au Festival de Cannes et nouvelle incursion dans le thriller après le remarqué Seules les Bêtes en 2019, La Nuit du 12, co-écrit avec l’acolyte de toujours Gilles Marchand, adapte librement le livre de Pauline Guéna, 18.3, une année à la PJ et se concentre sur une affaire de féminicide jamais résolu. Le carton d’ouverture nous avertit d’ailleurs dès le départ qu’il n’y aura aucune résolution, comme pour désamorcer les attentes des spectateurs abreuvés aux murder mysteries et polars classiques avec leurs suspects archétypaux où le coupable est parfois le moins probable.

Ici, tous les suspects, des hommes absolument ordinaires, y compris dans leur médiocrité, pourraient être l’auteur du crime, aucun indice substantiel ne permettant de les départager ni d’incriminer quiconque. Quant à l’avancée la plus spectaculaire du récit au cours du dernier acte, elle se révèlera être une fausse piste de bout en bout. Le film se concentre alors sur le travail de fourmi des enquêteurs au sein de cette petite commune montagneuse du col des Alves dans la région de Grenoble, cadre à partir duquel le cinéaste parvient à instaurer une ambiance à la Twin Peaks en mode résolument réaliste et anti-spectaculaire, y compris dans la longue scène de l’annonce du décès de Clara à ses parents.

On retrouve une atmosphère de petite ville perdue au milieu de nulle part, où tout le monde se connaît et où tout (ou presque) finit par se savoir, ainsi qu’une représentation des différentes tranches de la population, du marginal instable qui vit dans sa cabane au patron de bar, en passant par la petite bourgeoisie de la ville, la classe moyenne et, évidemment, les policiers, aux personnalités différentes, mais tous très loin des clichés de Robocop dans leur attitude et leurs méthodes. Nous suivons de bout en bout cette équipe disposant de peu de moyens, se heurtant aux lourdeurs et aux lenteurs de l’administration pour obtenir l’autorisation de placer une caméra cachée, de poursuivre l’enquête ou d’interpeller un suspect qui pourrait s’échapper, etc. La pression du métier, la frustration, l’investissement émotionnel face à la violence du crime et à la douleur des proches de la victime qui pèse et motive à la fois, pousse à ne pas abandonner… On retrouve tout cela dans La Nuit du 12, et il s’agit sans doute de l’un de ses aspects les plus marquants.

Le féminicide en question

Dominik Moll reste toujours mesuré sur la symbolique à l’écran, et cela fait aussi la force du film, qui raconte des faits suffisamment violents en eux-mêmes. Son image et sa mise en scène sont travaillées de manière rigoureuse, mais misent sur la retenue, si bien qu’au final, c’est l’écriture des dialogues qui apparaît davantage stylisée par contraste, appuyant par les mots un sens sous-jacent pourtant déjà perceptible… au risque de donner l’impression de trop appuyer sur la symbolique. Cela se ressent surtout sur la thématique du féminicide et du sens profond de ce type de crime de haine. Même si la réflexion que les dialogues entendent ainsi amener est juste, certaines phrases peu naturelles, trop écrites, peuvent donner l’impression d’être de trop, notamment lorsque l’un des policiers s’interroge sur la raison pour laquelle les hommes tuent les femmes par le feu… image qui convoque bien entendu le souvenir des procès en sorcellerie.

Ce qui est plus intéressant en revanche, au-delà de la violence du crime et du sens à lui attribuer, c’est les réactions variées des policiers, mais aussi des proches et des témoins ou suspects face à la vie et à la personnalité de la victime. L’a-t-elle « cherché » en attisant le désir et la colère d’hommes de toute évidence violents ou instables ? Son comportement a-t-il seulement de l’importance face au crime et à sa violence inouïe ? Le face à face avec la meilleure amie de Clara, qui souffre de voir l’intimité de sa défunte amie jugée et mise à sac est en cela bouleversante. Et au final, on comprend bien que cela ne change et ne doit rien changer à l’enquête et à la rigueur qu’elle exige, en plus du respect dû aux proches, même si ce processus exige de fouiller, y compris dans les zones d’ombre et des éléments délicats. Le film ne se montre d’ailleurs jamais voyeuriste grâce à une juste distance et à une véritable empathie pour ses protagonistes.

bastien bouillon à vélo à la fin du film la nuit du 12Une enquête construite comme une route sans fin

L’enquête en elle-même est bien construite et, de manière générale, le film prend son temps sans jamais nous faire sombrer dans l’ennui. Au contraire, de par son sujet même, le temps fait office de personnage à part entière, qui pèse sur les personnages et joue souvent contre les enquêteurs. Tout juste pourra-t-on regretter une ellipse de trois ans qui occulte la mise à pied de l’un des personnages phares (pour ne pas trop rallonger la durée du film ?) et qui pourra donner une impression étrange à certains spectateurs, même si elle symbolise bien, en réalité, le véritable tunnel que constitue la mise en sommeil de cette enquête. Enquête qui, même si elle sera bien relancée, n’aboutira jamais, faisant de la victime, Clara, une belle au bois dormant qui conservera à jamais son mystère. Ce qui représente aussi une réalité du terrain, assez peu traitée au cinéma, où le genre apprécie les fins fermées, à quelques exceptions remarquables près comme Memories of Murder ou Zodiac.

Que peut faire, alors, l’enquêteur, confronté à un sentiment d’impuissance ? D’un point de vue cinématographique, l’image qui ouvre le film (l’enquêteur interprété par Bastien Bouillon tournant en rond à vélo sur un circuit) et l’image finale (le même personnage grimpant inlassablement un lacet sur une route de montagne) constitue sans doute le motif qui permet de penser la construction du film et la drôle de mission de ses protagonistes, souvent confrontés au découragement face à ce qui semble être une entreprise sans fin, mais qui continuent d’avancer coûte que coûte grâce à une détermination sans faille.

Pour sa manière de retranscrire avec force cette réalité, tout en faisant preuve d’une certaine dose d’humour au sein des échanges de la brigade (ce qui apporte une respiration nécessaire à un récit souvent étouffant), La nuit du 12 est un excellent film de genre, porté par un casting convaincant, en même temps qu’un bel et rare hommage au travail de la police judiciaire.

Article écrit par

Cécile Desbrun est une auteure spécialisée dans la culture et plus particulièrement le cinéma, la musique, la littérature et les figures féminines au sein des œuvres de fiction. Elle crée Culturellement Vôtre en 2009 et participe à plusieurs publications en ligne au fil des ans. Elle achève actuellement l'écriture d'un livre sur la femme fatale dans l'œuvre de David Lynch. Elle est également la créatrice du site Tori's Maze, dédié à l'artiste américaine Tori Amos, sur laquelle elle mène un travail de recherche approfondi.

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