Caractéristiques
- Titre : Mommy
- Réalisateur(s) : Xavier Dolan
- Avec : Anne Dorval, Antoine-Olivier Pilon, Suzanne Clément, Alexandre Goyette, Patrick Huard, Viviane Pacal
- Distributeur : MK2 / Diaphana
- Genre : Drame
- Pays : Canada
- Durée : 134 minutes
- Date de sortie : 8 octobre 2014
- Note du critique : 8/10 par 1 critique
Plébiscité sur la Croisette cette année d’où il est reparti avec le Grand Prix du Jury quand certains lui prédisaient la Palme, Mommy de Xavier Dolan a débarqué le 8 octobre sur nos écrans. Autant le dire tout de suite : si le réalisateur avait déjà fait beaucoup parler de lui et couler de l’encre (5 films à 25 ans tout de même), je n’avais jamais vu aucun de ses films ni lu aucune interview, à l’exception de quelques phrases choc extirpées ici ou là par la presse. Je savais quelle image on se faisait de lui : brillant, prétentieux, provocateur, mais ne m’attachait pas nécessairement à celle-ci. C’est donc avec l’esprit ouvert et m’attendant, par le peu que j’en avais lu, à un film coup de poing, que je me suis rendue à la projection.
Et j’ai été emportée. Pas comme je l’aurais pensé (le film est bien plus léger que ce à quoi je m’attendais), mais l’émotion était belle et bien présente pour un beau moment de cinéma, qui restera comme l’un des plus marquants de l’année.
Résumé
Le film raconte l’histoire de Diane et son fils hyperactif Steve. Atteint de troubles du comportement qui le rendent imprévisible, excessif et souvent violent, Steve a été renvoyé une fois de plus d’un institut spécialisé qui le prenait en charge après avoir déclenché un incendie au cours duquel un autre pensionnaire a été grièvement blessé. Sa mère doit de nouveau l’héberger et le prendre en charge, mais l’infirmière lui parle d’une loi (fictive) qui permet aux parents déboussolés par leurs rejetons ingérables de les abandonner à l’hôpital. Diane refuse : femme forte au langage fleuri, un peu vulgaire mais attendrissante, elle est de celles qui aiment leurs enfants plus que tout sans pour autant s’oublier.
Elle fera tout pour lui faire remonter la pente tout en joignant les deux bouts. Les choses ne s’annoncent pas très bien tant la relation, fusionnelle au point d’en être un peu effrayante et surtout le comportement de Steve menace de faire dérailler leur vie déjà bien fragile. C’est à ce moment que Kyla, leur voisine institutrice, fait irruption dans leur vie. Atteinte d’un bégaiement handicapant suite à ce qui semble être un choc émotionnel, elle est en congé sabbatique et est aussi timide et inhibée que Steve et Diane sont dans l’exubérance. A trois, un nouvel équilibre apparaît, une « famille » se forme. Cela pourrait-il être le début d’une nouvelle vie, remplie d’espoir, pour chacun d’entre eux ?
Un parti pris formel fort
Pour raconter cette histoire intense, Côté formel Xavier Dolan interpelle sur le côté formel tout d’abord et fait le choix du format 1:1, soit un cadre carré, qui apparaît bien étroit sur le grand écran du cinéma et conditionne tous ses choix de mise en scène. Beaucoup de choses restent hors cadre, on ne voit souvent pas grand chose du décor, on reste en toutes circonstances au plus près des acteurs, ce qui a souvent pour effet de provoquer une sensation d’étouffement, voire d’asphyxie. C’est évidemment le but recherché et ce choix est en parfaite cohérence avec l’histoire qui nous est contée : les personnages cherchent à échapper à l’enfermement qui les guette, au sens formel tout d’abord et dans leur vie mouvementée. Steve risque l’hospitalisation ou la prison et cette menace pèse au-dessus de lui et sa mère tout du long. Et lorsque la vie permet aux personnages d’envisager la vie avec une lueur d’espoir, Dolan surprend en donnant à l’adolescent le pouvoir d’étirer littéralement le cadre de l’écran pour voir la vie en grand.
Raconter une histoire en 1:1 était aussi le parti pris formel de Gus Van Sant avec Elephant (2003), qui plaçait le concept au coeur même du film. On a en effet coutume de dire que si on demande à des aveugles de décrire un éléphant, chacun d’entre eux en donnera une description différente selon la partie qu’il aura pu toucher de ses mains. Chacune sera exacte et, réunies, elles permettent d’appréhender l’animal dans son entier. En limitant son cadre, le cinéaste nous montrait différentes parties, selon des points de vue multiples, pour nous permettre d’appréhender un problème complexe aux facteurs multiples : les fusillades dans les établissements scolaires américains. Ces parties découpées dans le fait divers sanglant de Columbine, réunies, faisaient la force du film.
Toutes proportions gardées (le sujet et l’approche sont très différents), il en est un peu de même dans Mommy : nous avons trois personnages, souvent très proches les uns des autres, mais également séparés par le cadre et leurs propres problèmes et fêlures. Retirez l’un d’eux de l’équation et c’est tout le film qui s’écroule. La partie n’est rien sans le tout, mais ce morcellement de l’image, qui colle au plus près au fond, ne fait que décupler la force émotionnelle du film.
Du drame à la légèreté
Pour le reste, le film surprend également beaucoup par son ton, loin de tout pathos ou presque. Si le film de Xavier Dolan n’est pas exempt de scènes dramatiques et intenses (au contraire), celles-ci n’apparaissent jamais faciles, jamais tire-larmes et il y a, dès les premières minutes, un humour et une certaine forme de joie de vivre qui emporte tout sur son passage. Malgré les difficultés et les galères, mère et fils veulent vivre et croquer la vie à pleines dents et cette soif de liberté se ressens jusque dans les choix musicaux, centraux, du réalisateur, notamment dans cette étonnante séquence où chacun relâche la pression et se libère sur l’ultra-entendue « On ne change pas » de Céline Dion, « trésor national » québécois, comme le dit Steve.
Pour ceux, qui, comme Dolan, ont grandi dans les années 1990, la bande son rappellera des souvenirs. Steve écoute en effet en boucle la compil qu’avait fait son père (décédé) pour leur road-trip à travers les États-Unis des années auparavant et nous entendons tour à tour chacune d’entre elles, toutes issues ou presque de la fin des années 90 et du début des années 2000 : Dido, Céline Dion, Counting Crows, sans oublier un petit retour sur 1996 avec « Vivo per Lei » lors d’une mémorable scène de karaoké. Si le résultat aurait pu être du dernier kitsch, surtout avec des titres aussi entendus à l’époque, il n’en est rien et chaque chanson est utilisée dans un but précis, qu’il s’agisse de faire comprendre le manque affectif ressenti par le jeune homme suite au décès de son père, son enfermement dans un passé « idyllique » révolu, d’apporter une bouffée d’air frais à un moment déterminant ou autre.
Des acteurs sidérants
Les acteurs, quant à eux, sont tous bluffants et nous font rentrer la tête la première dans le film. Il en fallait, du talent, pour arriver à dire ces dialogues extrêmes et à jouer ces situations délicates et casse-gueule sans pour autant verser dans le cabotinage, mais chacun des interprètes de Mommy est d’une justesse stupéfiante. Anne Dorval et Suzanne Clément, habituées des films du cinéaste, forment un beau duo d’amies aussi différentes que complémentaires. Il n’est d’ailleurs pas anodin de remarquer une ressemblance physique assez troublante entre les deux, à tel point que l’ami qui m’accompagnait m’a demandé s’il s’agissait de la même actrice (et donc d’une scène de flash back) ou non. Si Anne Dorval épate en mère de famille courage, cash et excentrique, Suzanne Clément, tout en retenue, sait faire preuve d’une intensité de jeu aussi surprenante que remarquable au détour d’une scène de confrontation avec Steve où elle prend le dessus, au propre comme au figuré, sur l’adolescent ingérable. Le jeune Antoine-Olivier Pilon, justement, devrait exploser si on continue de lui proposer des rôles à sa juste mesure. Il sait en effet rendre Steve aussi attachant qu’effrayant par moments, si bien que l’on ne se pose même pas la question de l’interprète derrière le rôle.
Liberté !
Et puis, il y a cette fin, intense, qui nous prend de court et clôt à merveille le film. Grave certes (en même temps, il était dur d’imaginer quelque chose de léger), mais à l’image des personnages : remplie de vie, qui veut, jusqu’au bout, étreindre celle-ci. Tout au long du film, Steve cherche à échapper au prédéterminisme que les institutions psychiatriques ne manquent pas de lui coller dès le début. Il tente de conquérir sa liberté au gré de ses mouvements d’humeur extrêmes et de ses accalmies bienvenues et c’est sur ce sentiment que Xavier Dolan choisit de terminer son film.
Cette fin pourrait être vue comme noire, mais filmée par Dolan sur du Lana Del Rey, elle manifeste une soif de liberté, d’air frais qui passerait presque pour optimiste, à l’image du monologue final de la mère à sa voisine. C’est ce qui fait toute la force du film : les personnages ont beau trébucher, suffoquer tout du long, ils n’en demeurent pas moins de vaillants combattants, prenant le présent à bras le corps et avançant vers un futur incertain, mais avançant malgré tout. L’émotion peut alors nous gagner sans que nous nous sentions à aucun moment pris en otage.
Surprise de l’année 2014, il est certain que Mommy marque une nouvelle étape dans la carrière de Xavier Dolan, qui met pour la première fois ici tout le monde d’accord, y compris ses détracteurs de la première heure. On attendra beaucoup de lui par la suite, mais, au vu de ce qu’il nous donne ici, on ne peut que lui souhaiter de faire preuve de la même liberté, de la même sincérité désarmante que celle qui transparaissait lors de son discours à Cannes : celle d’un artiste entier, exigeant envers lui-même, qui donne tout et atteint ici une symbiose des plus enthousiasmantes.