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[Critique] Florence + the Machine – How Big, How Blue, How Beautiful : une odyssée sonore et visuelle

image pochette florence and the machine how big how blue how beautiful barclaySorti le 1er juin dernier, le troisième album studio de l’Anglaise Florence Welch et de sa « machine » n’a pas beaucoup fait parler du côté de chez nous. Pourtant, How Big, How Blue, How Beautiful corrige les erreurs de Ceremonials et, sans se départir d’une certaine emphase, fait preuve de plus de retenue. On y retrouve également un son plus rock, qui pourra évoquer Fleetwood Mac par moments. Plongée au cœur d’un projet aussi bien sonore que visuel, l’artiste ayant fait appel au réalisateur Vincent Haycock pour mettre en image ses chansons. Cinq clips ont déjà été dévoilés.

Se confronter à soi-même

C’est encore une fois une rupture amoureuse qui a d’abord inspiré à Florence Welch ces nouvelles chansons. « What Kind of Man », « St Jude », « Various Storms and Saints »… Tous ces morceaux traitent des affres de la séparation, un sujet auquel l’artiste est habituée puisqu’elle sortait d’une rupture amoureuse lorsqu’elle a enregistré son premier album Lungs en 2008. Mais alors que d’habitude ses chansons sont imprégnées de métaphores très oniriques, rendant les paroles assez cryptiques, ici, elle a baissé la garde et abordé le sujet plus clairement. Cela donne de très belles choses, surtout sur la cinquième piste, « Various Storms & Saints », un petit bijou tout en retenue qui est sans doute le meilleur de l’album. Mais sous la douleur et le manque, on sent quelque chose poindre, comme si la rupture et la période de création qui a suivi avaient permis à l’artiste de se confronter à elle-même. Ce que Florence Welch confirme en interview. « Ce disque est très personnel, peut-être le plus personnel à ce jour. J’ai d’abord pensé que je parlais d’une relation. Mais après coup, après l’avoir réécouté, j’ai réalisé qu’il était plutôt question d’une relation que j’entretenais avec moi-même et tous mes conflits intérieurs », a-t-elle ainsi expliqué.

Cela se traduit de manière assez littérale dans certaines des vidéos du projet, à commencer par l’intro flamboyante « How Big, How Blue, How Beautiful » qui présente une version instrumentale du titre. Dans le clip, Florence rencontre son double et fait connaissance avec lui. Dans les chapitres 4&5 de cette “odyssée”, presentés cette semaine sous la forme d’un court-métrage de 10 minutes, elle est représentée adulte et enfant. Et puis il y a « Ship to Wreck », où elle semble en lutte perpétuelle avec elle-même… La cohérence du projet, sa dimension personnelle, se révèle et prend tout son sens avec ces vidéos belles et très travaillées, d’où se dégage paradoxalement un aspect assez brut. Il reste cinq chansons à traiter avant que le projet, on peut le supposer, soit complet, mais déjà, cette série de clips promet de se classer parmi ce que l’artiste a pu proposer de plus intéressant à ce jour.

Des sonorités plus rock

Commençons par nous pencher sur l’album : How Big, How Blue, How Beautiful commence tambours battants par « Ship to Wreck », un titre pop-rock au riff accrocheur reposant sur l’alliance de la guitare et la batterie. Florence a trop bu pour oublier ses malheurs et se demande si elle ne va pas faire naufrage. Le morceau, parmi les plus efficaces de l’album, impose un style plus rock, plus brut et se classe parmi les titres les plus accrocheurs de sa carrière. Une belle entrée en matière, suivie du non moins efficace « What Kind of Man », premier single officiel, qui durcit encore plus le ton. Le titre commence tout en retenue, sur un ton très intimiste, avant que la guitare électrique ne surgisse avec son riff rageur et que la chanteuse ne crie son incompréhension avec toute la fougue qu’on lui connaît. Les cuivres surgissent et la chanson prend alors toute son ampleur, ne faiblissant jamais. Là encore, l’artiste réussit un sans faute : accrocheur et plutôt radio-friendly, « What Kind of Man » fait aussi partie de ce qu’elle a pu composer de plus remarquable au cours de sa carrière. Il laisse également entrevoir qu’elle peut sans problème se tourner vers un répertoire plus rock, plus brut de coffre, même si le reste de l’album n’ira pas plus loin dans cette direction.

« How Big, How Blue, How Beautiful », le titre éponyme, en fait de prime abord un peu trop dans les vocalises over the top, surtout lorsqu’on a tout d’abord découvert la version instrumentale du clip, beaucoup plus planante. Mais ce sont ici les cuivres, très présents sur l’album, qui donnent tout son caractère au morceau et l’amènent à un autre niveau. La conclusion est en ce sens parfaite : il s’agit probablement du meilleur passage instrumental que l’artiste nous ait livré à ce jour.

« Queen of Peace » renoue avec les paroles métaphoriques dont l’artiste ne se départit jamais totalement ici, malgré un aspect plus direct. Rejetée par l’homme qu’elle aime qui s’enfonce dans sa souffrance, la jeune femme tente de maintenir la paix à tout prix et, là encore, cela se traduit musicalement par une chanson très énergique, mêlant guitare-batterie et de beaux cuivres. Les vocalises sont toujours très emphatiques et à ce niveau, ceux qui espéraient que Florence Welch se calme un peu seront sans doute déçus. Si How Big, How Blue, How Beautiful fait preuve de davantage de retenue que ses prédécesseurs (surtout comparé à Ceremonials, parfois un peu pompeux dans ses arrangements), la chanteuse en fait toujours beaucoup. On aime ou pas. Cela a toujours fait partie de ses caractéristiques et correspond à son personnage, qui semble ressentir chaque émotion de manière extrême et tient à les exprimer telles quelles, comme si c’était la toute première fois qu’elle faisait l’expérience de ces sentiments universels.

Une deuxième partie plus contrastée

image florence welch alternate shot how big how blue how beautiful« Various Storms & Saints », petit chef-d’oeuvre de sa carrière, intéressera davantage les déçus de Ceremonials et ceux qui apprécient Florence + the Machine à petite dose. Elle y fait preuve de retenue d’un bout à l’autre, ce qui ne fait que décupler l’intensité remarquable de la chanson, l’une des plus fortes et émouvantes qu’elle ait jamais composées. La chanteuse semble s’y addresser à elle-même, en s’encourageant à tenir bon dans l’épreuve qu’elle traverse et dont elle finira bien par se remettre. Cas à part de ce troisième album, « Various Storms & Saints » montre à quel point Florence Welch peut viser juste et se révéler une interprète bouleversante lorsqu’elle ne cède pas à la tentation d’en faire trop. Voix et arrangements sont ici au diapason et le titre marque un passage tout en douceur à la deuxième partie du disque.

« Delilah », optimiste et énergique, est peut-être en revanche celui où elle aurait mieux fait de faire preuve d’un peu plus de retenue. Loin d’être déplaisant, il ne se révèle pas assez distinctif par rapport à un titre somme toute assez similaire comme « Queen of Peace » et s’avère un peu répétitif. Néanmoins, il y a quelque chose – cette volonté de ne pas se laisser abattre – qui transparaît et emporte malgré tout l’adhésion au fil des écoutes. Un morceau secondaire mais tout à fait acceptable en somme.

« Long & Lost », lui, beaucoup plus calme, prend toute sa dimension en clip mais a un peu de mal à retenir l’attention sur le CD. La retenue dans la voix et les arrangements est là et il y a quelque chose d’intriguant, mais il manque un petit je ne sais quoi pour que la mayonnaise prenne tout à fait. Cependant, dans la vidéo de Vincent Haycock, la chanson (qui forme un dyptique avec « Queen of Peace ») prend toute son intensité. La chanteuse erre dans une petite ville en bord de mer et passe de bras en bras, tandis qu’on voit toute la gamme des emotions humaines se succéder sur son visage.

« Caught » est probablement le titre le plus dispensable de l’album. Parcouru par des « ouh ouh ouh » qui ne sont pas du meilleur effet, il se révèle répétitif, assez banal et ennuie plus qu’autre chose. A zapper.

« Third Eye », plus intéressant, fait néanmoins partie de ces titres secondaires qui tendent à banaliser ce troisième album démarré tambours battants et qui s’essouffle un peu dans sa deuxième partie. De nouveau, il y a beaucoup de batterie et de chœurs, de vocalises over the top. Les cuivres, pour une raison inconnue, ressortent très peu dans le mixage, ce qui est dommage car cela aurait donné à la chanson un aspect plus organique. En l’état, le son est trop « studio », trop plat et cela nuit au titre, qui peine à décoller véritablement.

Less is More : des effets mieux dosés

En revanche, rien à redire pour les deux derniers morceaux, « St Jude » et « Mother ». « St Jude », dont le clip a déjà été révélé, est un morceau intimiste et mélancolique où l’artiste cherche le recueillement après sa rupture, en s’adressant à St Jude, la dame patronnesse des causes désespérées. Chant et chœurs tout en retenue et en relief, cuivres et orgue très organiques, tout est réuni pour un titre mémorable qui résume à merveille la quête de l’artiste à ce moment de sa vie.

« Mother », qui contraste fortement avec la piste précédente, clôt admirablement le disque. La chanteuse, toujours en proie au chagrin, s’adresse en dernier recours à Dieu puis à la Nature, la Mère elle-même pour la consoler. Le morceau gère remarquablement bien couplets tout en retenue et refrain plus rythmé mais jamais over the top, avec une montée en puissance finale qui ne tombe jamais dans le too much. Un titre mid-tempo parfait, qui prouve là encore que la chanteuse est capable de grandes choses. Alors certes, elle n’a pu s’empêcher de rajouter un « ouh ouh » final qui sonnera probablement très bien dans un stade, mais Florence Welch montre en effet avec How Big, How Blue, How Beautiful qu’elle est capable de doser ses effets. La fin de l’album fait du coup oublier les quatre morceaux plus moyens qui composent la seconde moitié et c’est tant mieux !

Un projet vidéo sous forme d’odyssée humaine

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Si cette critique ne sera bien entendu pas tout à fait complète étant donné l’absence de vidéos pour près de la moitié des titres de l’album, le projet vidéo réalisé en collaboration avec le réalisateur Vincent Haycock et le chorégraphe Ryan Heffington (à qui l’on doit les chorégraphies de la jeune Maddie Ziegler dans les clips de Sia Chandelier et Elastic Heart) donne une dimension d’odyssée humaine à How Big, How Blue, How Beautiful. Qu’elle se débatte avec son amant, s’ébatte nue, soit baptisée par des femmes dans la mer ou semble se battre contre elle-même, le charisme de Florence Welch, magnifiée, transparaît à chaque plan. La cohérence de l’ensemble, elle, permet d’approfondir la compréhension des titres, voire d’en faire une lecture alternative. Un beau projet, assez rare de nos jours, que nous avons donc hâte de découvrir dans son intégralité.

Après le déjà classique Lungs et un Ceremonials très bon mais légèrement dispersé et boursouflé, Florence + the Machine revient en force avec un disque non dénué de défauts, mais qui possède d’indéniables qualités. Davantage dans la retenue, avec une fibre rock un peu sous-exploitée mais très convaincante et de très beaux cuivres, How Big, How Blue, How Beautiful donne un aperçu de la direction dans laquelle Florence Welch pourrait s’aventurer par la suite et suggère une réinvention en cours. L’artiste donne la pleine mesure de son talent en apprenant à doser ses effets. On lui pardonnera alors quelques titres plus faciles ou tout simplement plus banals, qui ne retirent en rien le plaisir pris à écouter le disque dans son ensemble.

Florence + the Machine se produira au Zénith de Paris le 22 décembre prochain.

Article écrit par

Cécile Desbrun est une auteure spécialisée dans la culture et plus particulièrement le cinéma, la musique, la littérature et les figures féminines au sein des œuvres de fiction. Elle crée Culturellement Vôtre en 2009 et participe à plusieurs publications en ligne au fil des ans. Elle achève actuellement l'écriture d'un livre sur la femme fatale dans l'œuvre de David Lynch. Elle est également la créatrice du site Tori's Maze, dédié à l'artiste américaine Tori Amos, sur laquelle elle mène un travail de recherche approfondi.

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