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[Critique] Les Huit Salopards : Tarantino est de retour, alléluia !

Caractéristiques

  • Titre : Les Huit Salopards
  • Titre original : The Hateful Eight
  • Réalisateur(s) : Quentin Tarantino
  • Avec : Samuel L. Jackson, Kurt Russiel, Jennifer Jason Leigh, Michael Madsen, Tim Roth
  • Distributeur : SND
  • Genre : Western
  • Pays : Etats-Unis
  • Durée : 168 minutes
  • Date de sortie : 6 janvier 2016
  • Note du critique : 8/10

Alors le voilà enfin, Les Huit Salopards, huitième film du père Tarantino. Voilà un film qui aura connu bien des péripéties de production, liées au monde du piratage. Vous connaissez certainement l’histoire, le premier jet du scénario s’est retrouvé sur Internet, portant un premier gros coup dur à Quentin Tarantino, plongé dans une forte déprime. Après une lecture publique, le réalisateur de Pulp Fiction déclare, meurtri, qu’il ne réalisera pas le film. Mais qui a déjà écrit un scénario sait qu’il est difficile de passer à autre chose. On apprend alors qu’un deuxième, puis un troisième jet sont en cours mais, petite information très importante sur la suite, que le metteur en scène hésite à en faire une pièce de théâtre. Finalement, c’est bien au cinéma que se retrouve Les Huit Salopards… et sur Internet. Scandaleusement, l’œuvre est balancée sur tous les sites illégaux, ce qui porte un deuxième coup de poignard au film. En espérant que ça n’ait découragé personne de se rendre dans les salles obscures pour voir ce nouvel effort de Tarantino. Car, disons-le dès ce paragraphe d’exposition : on est en présence d’un sacré bon film.

Donc, Quentin Tarantino revient avec Les Huit Salopards, vendu par le marketing comme son deuxième western. Il faut rapidement éclaircir la situation, le film est autant ancré dans le genre cher à John Ford que Cowboys et Envahisseurs. Si l’image n’est absolument pas à prendre en compte d’un point de vue qualitatif (avouez que vous êtes rassurés), elle l’est plus du côté du traitement. L’ambiance visuelle, les rapports entre les personnages, voir même certains conflits, tout ça se rapporte au western, inutile de le nier. Mais rapidement, on se rend compte qu’il ne faut pas attendre des Huit Salopards qu’il récite les codes du genre comme a pu le faire Django Unchained. Non, l’on se rend compte que Tarantino n’est plus dans un trip purement cinéphile, mais revient à son métier de réalisateur. Oui, le père Quentin est de retour, pour mieux utiliser le genre et non lui déclarer son amour. Le film n’est jamais pris en otage par la boulimie passionnée de son réalisateur qui, si elle restait sympathique d’un point de vue « pote cinéphile », pouvait aussi grandement gonfler à la longue. Ici, le récit s’affranchit de toute « tarantinerie », ou du moins les utilise à bon escient, pour vivre sa propre destinée qui en fait, bien vite, autant un huis clos, voire un thriller, qu’un western.

Le meilleur film de Tarantino depuis…

image samuel l. jacskon les huit salopards

Comme tout le monde aime les phrases lourdes de sens, lisez donc celle-ci : Les Huit Salopards est le meilleur film de Quentin Tarantino depuis Jackie Brown. C’est bon de lire autant d’enthousiasme, mais le justifier est encore meilleur. Encore une accroche, quelque peu facile et sur-usitée : et si nous faisions face au film de la maturité pour le réalisateur récompensé à Cannes 1994 ? Tout nous en donne l’impression, tant la trajectoire de Tarantino épouse une courbe limpide. Ses trois premiers films, Reservoir Dogs, Pulp Fiction et Jackie Brown, c’est la jeunesse, le talent brut. Puis intervient l’adolescence, de Kill Bill à Django Unchained, le potentiel est encore là, au détour de certaines séquences (l’ouverture d’Inglourious Basterds, l’accident de Boulevard de la Mort, le massacre des 88 fous de Kill Bill Volume 1 etc), mais le résultat complet donnait cette impression de parasitage, par des hormones cinéphiles bien trop envahissantes. Avec Les Huit Salopards, nous avons droit à un retour au talent brut, sans la citation balourde et vulgos mais, et c’est nouveau chez le réalisateur, avec une envie, avant tout, d’utiliser son amour du cinoche uniquement pour nous conter une histoire.

Et quelle histoire ! Ce serait une grave erreur de résumer Les Huit Salopards à un récit proche du western des années 60, dont nous avons une certaine passion à la rédac’. Oui, on passe par la diligence, le conflit du Nord contre le Sud, la prise d’otage, tout ça rappelle follement ce que les États-Unis ont pu instaurer niveau codes. Mais il est indiscutable que Quentin Tarantino utilise ces situations pour mieux les utiliser dans un but de développement. Prenons l’exemple de la diligence, dans la première partie du film. La situation du voyage, dans ce moyen de locomotion, ne donne pas lieu à une récitation de codes, comme on pouvait le redouter, du genre à calquer un classique comme La Diligence Vers L’Ouest. Non, le réalisateur profite de cette situation pour mieux nous exposer ses personnages, et instaurer les prémices de ce que va devenir Les Huit Salopards, un huis-clos sous tension. C’est finement géré, bien aidé par des dialogues enfin au niveau de ce que Tarantino peut écrire. On prend son pied sans, nous appuyons beaucoup sur cet élément, prendre le spectateur pour un réceptacle à jouissance cinéphile.

Une structure justifiée

image kurt russel les huit salopards

Nous avons parlé de première partie du film. En effet, Les Huit Salopards fait le choix, tout comme Kill Bill, de se diviser en deux. Si l’on pouvait regretter la justification mercantile pour le récit de La Mariée, ici c’est purement utile pour le film, qui se donne ainsi l’occasion de faire avancer le récit via une voix-off surprenante mais justifiée, justement, par cette coupure. L’on est chamboulé par cette intelligence, ce choix bien pesé et uniquement dans l’optique de servir le récit. Deux parties donc, et l’on sait que ce genre de cassure peut aussi être un piège pour la structure de l’ensemble, on pense notamment au pourtant sympathique Martyrs. Encore une fois, Tarantino sait ce qu’il fait avec Les Huit Salopards, et se montre bien trop malin, et certainement averti par sa cinéphilie bien digérée, pour tomber dans le piège. La première moitié est un grand moment pour tous ceux qui regrettaient l’enfance de la carrière du réalisateur. C’est dialogué autrement qu’avec les pieds (n’est-ce pas, Boulevard de la Mort ?), en l’occurrence ça l’est avec tout le génie du bonhomme. Si l’on peut s’attendre à ce que certains s’ennuient durant cette longue exposition, très théâtrale (on l’avait dit dans l’introduction, le film aurait pu faire l’objet d’une pièce) il est de notre devoir d’avertir les premiers fans de Tarantino : la bête est de retour.

Pour soutenir cette première partie du film, purement dialoguée, et qu’elle ne tombe pas dans l’ennui poli, il fallait que Les Huit Salopards soient incarnés par un casting sans fautes. Ça tombe bien, c’est le cas ! Dans la diligence, observer Samuel L. Jackson, que l’on n’avait plus vu aussi en forme depuis Pulp Fiction, et l’immense Kurt Russell jouer à une sorte de ping pong, entrecoupé d’un running gag plein de sens avec Jennifer Jason Leigh, parfaite dans le rôle du punching ball d’un univers purement masculin… Il faut le voir pour le croire, et au cinéma, que ce soit clair. Si vous avez la chance (et nous regrettons que ça soit un privilège, c’est même honteux) d’habiter Paris et sa région, optez pour une sortie au Gaumont Marignan, où Les Huit Salopards est projeté dans le fameux format Ultra Panavision, inutilisé depuis des années (1966, pour être précis). Pour être tout à fait complet, nous devons vous faire savoir que nous ne l’avons pas encore vu dans ces conditions à l’heure de l’écriture de cet article. Mais un œil roublard se rendra vite compte de tout le potentiel incroyable que l’œuvre contient, l’utilisation de ce format, notamment dans la Mercerie, est clairement pensée, pesée…

The Thing comme référence

image michael madsen les huit salopards

La deuxième parties des Huit Salopards, elle, fait basculer le film dans le quasi-thriller, voir l’horreur à certains moments. Une fois qu’il nous a bien caractérisé ses personnages, Tarantino s’amuse comme un petit fou avec leur destinée, s’accorde le droit de mettre en place un massacre sanglant et jubilatoire. Si certaines plumes regrettent que le film « en fasse trop », nous ne tenons absolument pas le même discours, quelque peu pisse-froid et hors de propos. Rappelons que les critiques avaient utilisé cet argument pour descendre The Thing par exemple, sans comprendre que l’excès sert avant tout à donner à l’amateur de cinéma de genre ce qu’il est venu chercher. Preuve, s’il en fallait encore une, que le cinéma populaire est toujours incompris, voire méprisé, par certains. Il est à noter que, contrairement à Django Unchained, la violence graphique, bien plus poussée dans Les Huit Salopards, n’est pas justifiée par l’envie stylistique du réalisateur. Encore une fois, seul le récit pousse le recours au style dans cette œuvre, et non l’inverse. Aussi, la réalisation épouse cette envie de se placer derrière le scénario, avec une justification de chaque mouvement de caméra. Tarantino utilise même la double focale avec, encore une fois, le seul soucis de donner des informations aux spectateurs. On n’est plus dans l’étalage, le récital, voire même la masturbation. L’adolescence est terminée.

Pour vous laisser toute la surprise de ce deuxième acte des Huit Salopards, nous n’irons pas plus en profondeur côté récit. Sachez juste que tout s’emballe assez pour donner au spectateur de quoi sortir de la salle en étant conquis. Peut-être avec un petit regret dans le manque de surprises scénaristiques, encore qu’il est très bon de sortir, enfin, de ces films à twist qui pullulent depuis des années. Les Huit Salopards, ce n’est pas Usual Suspects ou Seven, et c’est tant mieux. Impossible, alors que nous quittons le film avec l’envie de le revoir de suite, de ne pas repenser à toute une foule de grandes réussites. Photographie démentielle, direction artistique au même niveau, casting que l’on voudrait voir récompensé d’une… non, deux, aller trois statuettes pour chacun, partition d’Ennio Morricone au sommet. D’ailleurs, précisons à ce sujet que l’on est ravi de l’utilisation de « Bestiality », issu de l’OST de The Thing. Ce dernier étant, par ailleurs, cité dans l’œuvre assez finement. Sous-utilisé par l’immense Carpenter, le travail de la légende italienne sert ici à habiter certaines des séquences les plus marquantes du film. L’amateur de bandes originales, pour le coup, ne peut que remercier Quentin Tarantino, et se jeter sur la BO des Huit Salopards, un film décidément mémorable à plus d’un titre.

Article écrit par

Mickaël Barbato est un journaliste culturel spécialisé dans le cinéma (cursus de scénariste au CLCF) et plus particulièrement le cinéma de genre, jeux vidéos, littérature. Il rejoint Culturellement Vôtre en décembre 2015 et quitte la rédaction en 2021. Il lance Jeux Vidéo Plus. Manque clairement de sommeil.

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