[Critique] La Vengeance aux deux visages, le mélodrame réinvente le western

Caractéristiques

  • Titre : La Vengeance aux deux visages
  • Titre original : One-Eyed Jacks
  • Réalisateur(s) : Marlon Brando
  • Avec : Marlon Brando, Rio Karl Malden, Katy Jurado, Pina Pellicer...
  • Distributeur : Paramount Pictures
  • Genre : Western, mélodrame
  • Pays : Etats-Unis
  • Durée : 2h21
  • Date de sortie : 1962
  • Note du critique : 8/10

Un western ne semble pas pouvoir relever du mélodrame si l’on s’en tient à la conception «classique» de ces genre. Réalisé d’après un scénario de Sam Peckinpah que devait réaliser initialement Stanley Kubrick, le film La Vengeance aux deux visages (One Eyed Jack, 1961) parvient à mêler brillamment les deux genres. C’est ce que nous allons voir dans notre critique de l’unique film de Marlon Brando.

L’intrigue du film La Vengeance aux deux visages de Marlon Brando relève sans aucun doute du western : Rio (Marlon Brando), hors-la-loi évadé de prison, retrouve la trace de Dad Longworth (Karl Malden), qui s’est enfui avec l’argent qu’ils avaient dévalisé en le laissant dans le désert. Dad, grâce au butin mal acquis, est devenu le shériff d’une petite ville sur la côte californienne, représentation du rêve américain en marche. Rio arrive avec l’intention d’attaquer la banque de la ville et de se venger, aidé par trois complices.

Marlon Brando dans le western qu'il a réalisé, La Vengeance aux deux visages.
Marlon Brando dans le western qu’il a réalisé, La Vengeance aux deux visages.

Une histoire de famille

On pourrait s’agir ici d’un récit de vengeance classique du western, mais le film le recoupe avec l’un des thèmes du mélodrame, le retour de « celui par qui le scandale arrive », pour reprendre le titre d’un mélodrame de Vincente Minnelli (1960). Dans la continuité des films « psychanalytiques » des années cinquante, le conflit de La Vengeance aux deux visages a avant tout pour centre la famille : Comme un torrent, du même Minnelli (1957), possède ainsi un thème identique à La Vengeance aux deux visages, le paria mis au bans injustement affronte celui qui l’a trompé, devenu riche puissant, son frère aîné (Dad chez Brando).

Comme dans nombre de mélodrames, le symbole d’une autorité injustement acquise est défiée au sein d’une même famille (Dad est le père spirituel de Rio) qui n’est autre qu’une société en miniature. Le western La Vengeance aux deux visages, au lieu d’exalter la construction de celle-ci, dénonce les mensonges qui l’ont bâti, et par cet affrontement œdipien père/fils, le film rejoint un thème mélodramatique des tragi-comédies du XVIIème siècle, celui des amants ennemis. Comme dans Le Cid de Corneille (1637), Rio est amoureux de la belle-fille de Dad, Louisa (Pina Pellicer). Celle-ci attend un enfant de Rio et le cache à Dad, situation mélodramatique classique. Rio refusera finalement de se venger, mais sera contraint d’affronter Dad suite à un quiproquo (autre topos du mélodrame) crée par ses complices devenus traîtres. Rio sera une nouvelle fois victime d’une injustice.

Rio (Marlon Brando) et Louisa (Pina Pellicer) dans La Vengeance aux deux visages
Rio (Marlon Brando) et Louisa (Pina Pellicer) dans La Vengeance aux deux visages.

Deux conceptions opposées de l’héroïsme

Rio est un héros trahi, battu, victime, qui n’agit que par contrainte, sans pouvoir contrôler les événements : le mélodrame vient ainsi mettre en danger le western qui donne au film son cadre et son imagerie, y compris dans la notion d’héroïsme si chère au western. Western et mélodrame sont deux genres qui s’opposent, notamment, par leurs conceptions de l’héroïsme. Dans le premier genre en effet, le héros est classiquement défini par sa capacité à surmonter toutes les épreuves, à l’image des héros épiques, afin que triomphe le rêve américain, progrès, justice et démocratie, sans jamais montrer signe de faiblesse. Celle-ci est incompatible avec l’héroïsme du western classique dans la mesure où la moindre faille est synonyme d’impuissance, de maladie témoignant de la décomposition de ce rêve, et à terme, de mort. Un héros de western ne peut être une victime, à la différence du mélodrame, sans que cela affecte la société qui tente de se construire. Il est action, ou bien il est mort.

Dad Longworth (Karl Malden) et Rio dit The Kid (Marlon Brando), La Vengeance aux deux visages
Dad Longworth (Karl Malden) et Rio dit The Kid (Marlon Brando), La Vengeance aux deux visages.

Le mélodrame crée ses héros, ou le plus souvent, ses héroïnes (autre point d’opposition avec le western, principalement masculin) grâce aux faiblesses de ceux-ci, leur statut de victime engendrant chez le spectateur un sentiment de pitié qui les transfigure. C’est leur capacité à subir les événements qui les transforme en héros. De plus, le héros de mélodrame ne sert pas une société en construction, mais est victime de la décomposition de celle-ci, privée d’action et de rêve.

Le film La Vengeance aux deux visages de Marlon Brando recoupe ainsi thèmes du western et thèmes mélodramatiques afin de rendre au héros de western les failles et les dilemmes qui lui manquaient. Le héros nous apparaît ainsi tel qu’il est, et non tel qu’il devrait être. Le western, grâce à l’apport du mélodrame, devient tragique.

Le personnage de Marlon Brando face à son destin, dans La Vengeance aux deux visages.
Le personnage de Marlon Brando face à son destin : un plan d’inspiration Romantique de La Vengeance aux deux visages.

Version mise à jour et corrigée de l’article paru le 12 juin 2009 sur le blog de l’auteur, puis le 21 janvier 2014 sur Ouvre les Yeux.

Article écrit par

Jérémy Zucchi est auteur et réalisateur. Il publie des articles et essais (voir sur son site web), sur le cinéma et les arts visuels. Il s'intéresse aux représentations, ainsi qu'à la science-fiction, en particulier aux œuvres de Philip K. Dick et à leur influence au cinéma. Il a participé à des tables rondes à Rennes et Caen, à une journée d’étude sur le son à l’ENS Louis Lumière (Paris), à un séminaire Addiction et créativité à l’hôpital Tarnier (Paris) et fait des conférences (théâtre de Vénissieux). Il a contribué à Psychiatrie et Neurosciences (revue) et à Décentrement et images de la culture (dir. Sylvie Camet, L’Harmattan). Contact : jeremy.zucchi [@] culturellementvotre.fr

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