Caractéristiques
- Titre : Carol
- Réalisateur(s) : Todd Haynes
- Scénariste(s) : Phyllis Nagy d'après le roman de Patricia Highsmith
- Avec : Cate Blanchett, Rooney Mara, Kyle Chandler, Sarah Paulson...
- Distributeur : UGC Distribution
- Genre : Drame, Romance
- Pays : Etats-Unis
- Durée : 118 minutes
- Date de sortie : 16 janvier 2016
- Note du critique : 8/10 par 1 critique
Une liaison au féminin dans l’Amérique des années 50
Unanimement salué par la critique à sa sortie, Carol de Todd Haynes se présente comme le double inversé le Loin du paradis, en un sens : là où une épouse modèle découvrait par hasard l’homosexualité de son époux, une femme en instance de divorce doit affronter le courroux de son futur ex-mari auquel elle préfère les bras d’une jeune femme.
Sorti chez nous un mois avant Free Love avec Julianne Moore et Ellen Page, le nouveau film de Todd Haynes traite également de la liberté d’aimer entre deux femmes issues de milieux sociaux différents et séparées par une importante différence d’âge. La spécificité du film, qui en fait tout le sel, étant que l’histoire est située à une époque où l’homosexualité, qu’elle soit féminine ou masculine, était encore considérée comme la conséquence d’un trouble mental.
Carol se déroule en effet en 1952, qui est précisément l’année où l’American Psychiatric Association publia son premier guide de diagnostic et statistiques des désordres mentaux, où l’homosexualité était classée comme une maladie mentale, donc. Aimer une personne du même sexe dans ces conditions-là, c’était donc courir le risque d’être considéré comme une personne perturbée portant atteinte aux bonnes mœurs. Et, bien évidemment, les liaisons homosexuelles adultérines étaient particulièrement condamnées.
Un traitement tout en nuances
S’il y avait là matière à tirer un mélo hollywoodien rempli de bons sentiments, au propos appuyé pour mieux dénoncer l’injustice de la situation (un peu à la manière des Sufragettes par rapport au féminisme l’an dernier), Todd Haynes est un réalisateur bien trop subtil pour tomber dans les pièges inhérents aux films de studio qui se veulent engagés. Ainsi, dans Carol, le mari du personnage incarné par Cate Blanchett n’est pas un salaud, malgré son comportement à certains moments du film. Produit de son temps, on comprend qu’il avait accepté la liaison de son épouse avec une amie d’enfance tant que cela ne compromettait pas son mariage. Mais, confronté au départ de Carol, qui refuse de se réconcilier avec lui, et au regard de ses parents, il réagira de manière vicieuse. L’interprétation de Kyle Chandler, entre force et vulnérabilité, permet au spectateur d’éprouver une certaine sympathie à l’égard de ce personnage assez ingrat, qui n’est jamais désigné comme le grand méchant de l’histoire.
De même, si le poids des conventions de l’époque se fait sentir, cette critique apparaît toujours de manière assez subtile, ne forçant jamais le trait. Certains personnages émettent des opinions qui font ressortir les préjugés sur l’homosexualité qui avaient court à l’époque (« cela vient de ce qu’ils ont vécu dans leur enfance », dira ainsi le petit-ami de Therese) et la procédure de divorce de Carol s’en trouvera compliquée, mais le cinéaste montre également la manière dont les gens parvenaient malgré tout à mener leur vie. En cela, le film de Todd Haynes est une oeuvre plutôt optimiste, loin de l’environnement étouffant de Loin du paradis, qui se déroulait à la même époque dans l’Amérique profonde et non à New York. Si la notion d’enfermement, de confinement est bel et bien présente, notamment par le biais d’une réalisation jouant volontiers sur un certain symbolisme, le réalisateur évite toute lourdeur, préférant peindre le monde dans lequel évoluent les héroïnes par petites touches.
Un duo d’actrices au diapason
La réalisation, simple, épurée, mais ne manquant jamais de force, rappelle que Todd Haynes n’est définitivement pas de la même trempe que tous ces honnêtes artisans proposant chaque année des films d’époque beaux mais bien trop lisses. Qu’il s’agisse de scènes de dialogues dans des intérieurs feutrés laissant sourdre une tension muette, ou de la scène d’amour, brute et belle à la fois, Todd Haynes maîtrise en tous points son film au niveau technique, sans jamais oublier de lui insuffler de la vie, pour un résultat réaliste qui nous fait rapidement oublier le travail de reconstitution d’époque, admirable mais qui n’est en rien décoratif ou figé comme c’est trop souvent le cas.
Le face à face de Cate Blanchett, grande interprète n’ayant plus rien à prouver et Rooney Mara, actrice discrète en pleine conquête d’Hollywood, fonctionne parfaitement, selon une alchimie subtile. Si au départ, nous serions un peu tentés de donner raison au petit-ami de Therese, qui pense que la jeune femme se pâme d’admiration devant la flamboyante Carol, qui penserait surtout à se divertir et à tromper son ennui dans une relation où elle aurait le contrôle, la relation dépasse rapidement ce stade et devient plus forte, plus profonde.
Carol est aussi un beau film d’actrices, servant d’écrin à leur interprétation. Cate Blanchett, tout en étant toujours excellente, est finalement assez égale à elle-même, interprétant encore une fois un rôle de femme bourgeoise forte et fragile à la fois, qui lui sied fort bien. La surprise vient davantage de Rooney Mara, qui dévoile ici une belle palette de jeu, de la maladresse et vulnérabilité touchantes de son personnage à la détermination de la femme amoureuse ou à la dureté feinte de l’amante blessée. Méconnaissable chez Fincher (Millenium), éthérée et quasi-fantomatique chez Spike Jonze (Her), elle irradie ici et s’impose avec un naturel confondant face à une Cate Blanchett dans ses petits souliers. De la même manière que Carol, en un sens, révèle Therese à elle-même, la poussant à s’affirmer, Todd Haynes révèle à la vue de tous un potentiel chez l’actrice qui dépasse celui de la simple jeune première en vogue. Une surprise qui justifie amplement son prix d’interprétation féminine à Cannes en 2015.