[Édito] Wes Craven : la mort vous va si bien

image wes craven freddy les griffes de la nuit

Disparu le 30 août 2015, Wes Craven se retrouve de nouveau sur le devant de la scène en France, avec une rétrospective-événement, la ressortie d’un vieux long-métrage plus ou moins oublié et la publication d’un essai éclairant l’oeuvre de ce cinéaste souvent très critiqué. La reconnaissance cinéphile, au-delà du genre ? 

De Wes Craven, les jeunes générations connaissent principalement les sagas Scream et Freddy, ceux qui ont découvert le remake de La colline a des yeux par Alexandre Aja en 2006 ont pu pousser la curiosité jusqu’à visionner l’original de 1977, mais, mis à part les amateurs de films de genre, la filmographie plus ancienne de Wes Craven n’est pas forcément très connue du grand public actuel. Et, pourrions-nous ajouter, le papa de Freddy Krueger, malgré le statut culte de plusieurs de ses oeuvres, n’avait jusque-là jamais été véritablement en odeur de sainteté parmi les institutions et les cinéphiles au sens plus traditionnel du terme, contrairement aux maîtres John Carpenter ou Dario Argento.

Cependant, la mort a quelque chose de bénéfique : elle peut être l’occasion de réévaluer l’oeuvre d’un artiste, permettant à un plus large public de la découvrir sous ses différentes facettes. C’est de toute évidence ce qui se produit actuellement avec Wes Craven, pas toujours très bien considéré, y compris parmi les fans de films d’horreur, qui ont parfois estimé qu’il avait porté un coup mortel aux slashers avec la série des Scream dans les années 90, en tournant en dérision les codes du genre qui l’a rendu célèbre. Cynique pour les uns, auteur post-moderne à l’approche gentiment subversive pour les autres, l’immense succès rencontré par les films ne l’avait pas empêché, là encore, de profondément diviser la critique.

Souvent raillé pour son incursion dans le mélodrame (La musique de mon coeur avec Meryl Streep, en 1999) et ses derniers longs-métrages, pas forcément mémorables (Cursed ou My Soul to Take ont rencontré des avis allant de bien tièdes à très mitigés), Wes Craven n’avait pas tourné depuis Scream 4 en 2011. Le dernier volet de la saga, qui a réalisé le plus faible score de la franchise au box-office, avec des chiffres, convenables dans l’absolu pour le genre, mais clairement décevants compte tenu du budget de 40 millions de dollars et des attentes placées, avait été salué par les uns pour son humour et sa vision quasi-sociologique de la jeunesse ultra-connectée, accusé par les autres d’avoir pris un sérieux coup de vieux. The song remains the same… Le réalisateur, rattrapé par la maladie, se fit discret les dernières années de sa vie, tout en poursuivant son activité de producteur, au cinéma comme à la télévision.

Rétrospective-événement et réévaluation de l’oeuvre

image affiche rétrospective wes craven à la cinémathèque française juillet 2016Le 29 juin dernier, soit un peu moins d’un an après sa disparition, la Cinémathèque française inaugurait sa rétrospective-événement Wes Craven, alors que ressortait en salles le long-métrage The Serpent and the Rainbow (1987) avec Bill Pullman et que Capricci, qui distribue le film pour cette reprise, s’apprête à publier, le 18 août prochain, un essai sur le cinéaste par l’auteur et réalisateur Emmanuel Levaufre. Au programme : projection durant l’été de tous ses longs-métrages et diverses œuvres, à l’exception de quelques vieux téléfilms dont les bandes n’étaient pas en état (ou qui étaient simplement trop mauvais, répliqueront les esprits chagrins qui ne manqueront pas de souligner que ces films sont disponibles en téléchargement de bonne qualité sur le Web), une nuit Scream le 9 juillet…

Lors de l’ouverture, Jean-François Rauger, directeur de la programmation de la Cinémathèque, a rendu hommage à un auteur qui n’était pas aussi reconnu que les maîtres de l’horreur plus formalistes que sont John Carpenter ou George Romero, mais dont les films possédaient un fond véritable, subversif, n’hésitant pas à dire que Wes Craven était sans doute « le plus profond » des cinéastes du cinéma d’horreur. Des propos qui nous ont laissés quelque peu perplexes, surtout venant de la part de Rauger qui est également, faut-il le rappeler, un critique de cinéma spécialisé dans le cinéma de genre, et tout particulièrement le cinéma fantastique, d’horreur et bis. Il faut en effet avoir la mémoire courte pour oublier que le génie des deux maîtres cités, Carpenter et Romero, ne se limite pas à leur sens de l’image, mais s’est également maintes fois illustré par une analyse grinçante de la société, et notamment de la société de consommation, comme en attestent Zombie (1978) et Invasion Los Angeles (1988), qui n’ont rien à envier à Craven sur le fond. En faisant ce genre de déclarations définitives, Rauger va un peu vite en besogne et tombe quelque peu dans la facilité de vouloir produire son effet parmi les spectateurs en les surprenant : « Quoi, l’homme derrière les Scream serait plus profond qu’un Carpenter ? »

Si les films de Wes Craven ont en effet un fond qui a souvent été ignoré, y compris parmi ses films les moins réussis, l’élever de cette manière au-dessus de la fine fleur du genre n’est pas forcément pertinent. Tout d’abord parce-que, quoi qu’on en dise, la réalisation, le cadrage, sont primordiaux dans le cinéma de genre et l’horreur en particulier et, sur ce plan-là, le réalisateur de Freddy, même s’il est loin d’être un vil tâcheron, n’est clairement pas au même niveau que les maîtres. Ensuite, si la critique de la société est bien présente dans son oeuvre, notamment la critique et démolition en règle de l’image idyllique de la famille nichée au creux de la culture américaine, considérer Wes Craven comme étant « plus profond » que ses collègues est assez discutable et très subjectif, au regard de la forte propension du genre, dès les années 60-70, à présenter des intrigues à l’évidente dimension métaphorique, subversive et engagée.

Ceci étant dit, on ne peut que saluer la Cinémathèque française pour proposer ainsi des rétrospectives de genre et permettre, dans le cas présent, de redécouvrir et réévaluer l’art d’un cinéaste dont on avait finalement fait assez peu cas chez nous, malgré son empreinte évidente, à la fois sur le genre et dans la pop culture. Car oui, il y a évidemment pas mal de choses à dire sur le cinéma de Craven, volontiers onirique et cauchemardesque (The Serpent and the Rainbow n’en est que l’un des nombreux exemples, aux côtés des Freddy), posant un regard affûté sur la famille (Dernière maison sur la gauche), les médias ou la jeunesse, dans une approche post-moderne qui, si elle a été l’objet de nombreuses critiques, n’en a pas moins marqué les esprits.

Wes Craven a-t-il tué le slasher ?

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Scream 4, 2011. © SND

De manière révélatrice, la profonde division de la critique face à l’oeuvre de Wes Craven se retrouve également à la rédaction de Culturellement Vôtre, entre les défenseurs d’une certaine « pureté » de l’horreur, qui tiennent le réalisateur de Scream responsable de la dérive d’une partie du genre vers le cynisme, n’hésitant pas à l’accuser de cracher dans la soupe en vomissant sur un genre qui lui a apporté le succès, mais qu’au fond il n’aimerait pas, et ceux qui trouvent que cette vision post-moderne, audacieuse, n’est pas incompatible avec un amour sincère de l’horreur, l’impertinence n’empêchant pas le grand frisson.

Bien sûr, tous genres confondus, le côté méta-réflexif caractéristique du cinéma post-moderne (que le cinéaste n’a pas inventé), a pu donner naissance à certaines oeuvres prétentieuses ou superficielles, qu’il s’agisse du poseur La jeune fille de l’eau de M. Night Shyamalan (2006) ou bien de certaines productions EuropaCorp de Besson, qui jouent volontiers avec ce principe de récit reconfiguré en série sur le mode d’une base de données regroupant divers éléments comme autant d’ingrédients à associer entre eux.  L’horreur n’a pas été exempt de ce genre de dérives, et une idée très populaire ces dernières années consiste à dire que le slasher est mort de sa belle mort à force de recycler ad nauseum les classiques et leurs scènes-clés, allant toujours plus loin dans la citation sans pour autant apporter quoi que ce soit d’innovant, ni même de véritables enjeux. Les suites s’enchaînent, certaines diluant de plus en plus la surprise et la peur à chaque nouveau chapitre, conséquence d’une époque où producteurs et artisans ne prennent plus forcément le genre (et le public) au sérieux.

Il n’empêche que, lorsqu’elle est habilement utilisée et mise au service d’une vision véritable, cette dimension méta-réflexive donne un bel impact aux oeuvres. Wes Craven a été à l’origine des premiers frissons de l’auteure de cet article devant un film d’horreur, éveillant son intérêt pour le genre, et elle se souvient encore avec nostalgie, 18 ans plus tard, de la vision en salles de Scream 2 alors qu’elle avait tout juste 12 ans et pouvait accéder à ce genre de films pour la première fois. Le premier film, acheté en VHS quelques mois plus tard au nez et à la barbe des parents qui n’avaient pas vu la mention « interdit aux moins de 16 ans » au dos, confirmera cet intérêt pour un genre dont tous les codes sont décomposés dans cette oeuvre qui marquera le grand retour des slashers sur le devant de la scène. Mais, au-delà du plaisir de la peur, c’est aussi le discours sur l’image et les médias qu’elle retiendra, et qui rendra ces deux premiers volets aussi mémorables à ses yeux.

Le boursouflé Scream 3, lui, en atteignant le 10e degré de la désinvolture, échoue à provoquer le moindre sursaut et montre les limites du concept, tout en tombant dans un certain ridicule. On croit alors la saga enterrée, mais 11 ans plus tard, le scénariste Kevin Williamson (qui avait quitté le navire après le 2, probablement occupé par la série Dawson, dont il était le créateur) et Wes Craven reprennent du service et montrent avec Scream 4 qu’ils peuvent encore proposer un bon slasher selon le même principe de distanciation et de citation/autocitation, tout en portant un regard grinçant sur cette jeunesse accro aux réseaux sociaux, maîtrisant les codes de l’image et de l’art délicat de la représentation de soi d’un bout à l’autre.

Freddy et autres cauchemars cinéphiliques

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Les griffes de la nuit, 1984.

Et puis il y a bien entendu Les griffes de la nuit (1984), qui sera suivi de nombreuses suites. Craven ne réalisera que le premier et le septième volet, dix ans plus tard. Le réalisateur donne naissance à un monstre culte, Freddy Krueger, et développe une thématique onirique qui reviendra régulièrement dans son oeuvre, comme dans The Serpent and the Rainbow (1987), qui brouille volontairement la frontière entre rêve, cauchemar et réalité. La peur qui fait advenir le pire, matérialisant ainsi nos pires cauchemars, n’est pas une thématique inédite, mais elle s’incarne avec une telle puissance chez Craven que le genre en sera affecté et que l’affreux vilain aux griffes métalliques deviendra l’une des figures les plus marquantes de la pop culture. On ne compte plus, aujourd’hui, les références et hommages du cinéma de genre à Freddy.

Au-delà de ces deux grands succès, on trouve une oeuvre composée de films devenus cultes (Dernière maison sur la gauche, La colline a des yeux), de longs-métrages moins connus (L’amie mortelle), mésestimés (The Serpent and the Rainbow) ou quelque peu ratés (Un vampire à Brooklyn, Scream 3…). Une oeuvre imparfaite, en somme, qui est parfois tombée dans la redite et la facilité, mais a également su proposer des visions intéressantes, tout en développant des thématiques pertinentes, chose qui mérite d’être reconnue, bien que cela ne le placera jamais devant un Carpenter ou un Romero.

Nous profiterons donc du mois de juillet pour voir ou revoir les films de Wes Craven, dressant les contours d’une oeuvre cohérente, en dépit de la diversité d’une filmographie irrégulière et parfois décriée. Que l’on opte pour les grands succès du cinéaste ou ses films moins connus, il y en aura en tout cas pour tous les goûts.

Rétrospective Wes Craven, du 29 juin au 31 juillet 2016 à la Cinémathèque française, Paris. Sortie de l’essai Wes Craven d’Emmanuel Levaufre le 18 août 2016 aux éditions Capricci. 

Article écrit par

Cécile Desbrun est une auteure spécialisée dans la culture et plus particulièrement le cinéma, la musique, la littérature et les figures féminines au sein des œuvres de fiction. Elle crée Culturellement Vôtre en 2009 et participe à plusieurs publications en ligne au fil des ans. Elle achève actuellement l'écriture d'un livre sur la femme fatale dans l'œuvre de David Lynch. Elle est également la créatrice du site Tori's Maze, dédié à l'artiste américaine Tori Amos, sur laquelle elle mène un travail de recherche approfondi.

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