Caractéristiques
- Titre : Les figures de l'ombre
- Titre original : Hidden Figures
- Réalisateur(s) : Theodore Melfi
- Avec : Taraji P. Henson, Octavia Spencer, Janelle Monáe, Kevin Costner, Kirsten Dunst, Jim Parsons, Mahershala Ali...
- Distributeur : Twentieth Century Fox France
- Genre : Biopic, Drame
- Pays : Etats-Unis
- Durée : 127 minutes
- Date de sortie : 8 Mars 2017
- Note du critique : 7/10 par 1 critique
Adapté de l’essai du même nom de la journaliste et romancière américaine Margot Lee Shetterly, paru aux États-Unis il y a tout juste quelques mois, Les figures de l’ombre a donc la particularité d’avoir été tourné avant même que le livre ne se retrouve sur les rayons des librairies, les producteurs ayant décidé d’acquérir les droits d’adaptation sur la seule foi de la note d’intention envoyée par l’auteure à sa maison d’édition ! Au vu du sujet, on peut comprendre l’enthousiasme d’Hollywood : trois mathématiciennes afro-américaines ayant oeuvré dans l’ombre pour la NASA dès la fin des années 50, travaillant notamment sur le projet spatial américain qui aboutit, en 1969, aux premiers pas de l’homme sur la lune, en voilà une idée de biopic historique édifiant !
Passionnant, le sujet l’était d’autant plus que, non content de s’intéresser à la condition des femmes afro-américaines à une époque où la ségrégation raciale avait toujours lieu aux États-Unis, le livre plongeait dans les coulisses méconnues de la NASA. Il y avait donc là matière à réaliser aussi bien un film enthousiasmant qu’un biopic à Oscars au discours appuyé et aux violons assumés. Theodore Melfi (St. Vincent) parvient ici à accomplir les deux en même temps : un film plaisant et bien joué, rempli de détails passionnants, mais un peu amoindri par une réalisation trop académique et des ficelles narratives ne reculant jamais devant l’opportunité de forcer une émotion déjà palpable par le jeu très juste des trois actrices principales, en osmose, qui lui insufflent une belle énergie.
Une adaptation classique mais pertinente
Les figures de l’ombre effectue quelques coupes dans l’essai de Margot Lee Shetterly et part de la période-clé de la course à l’espace — que les Américains perdirent, comme chacun sait — pour s’achever en 1962, à l’issue du vol en orbite autour de la Terre de l’astronaute John Glenn, qui fut le premier Américain envoyé dans l’espace. Un condensé nécessaire puisque l’histoire de ces trois figures féminines au sein de la NASA s’est en réalité étendue sur près de trente ans, jusqu’au milieu des années 80 pour Katherine Johnson (incarnée par Taraji P. Henson, la flamboyante Cookie de la série Empire) et Mary Jackson (la chanteuse Janelle Monáe, impressionnante d’aplomb et de fraîcheur), et jusqu’en 1971 pour Dorothy Vaughan (Octavia Spencer), qui était rentrée au Centre de recherche de Langley en 1943. Le choix de la période retenue apparaît pertinent puisqu’il permet au réalisateur de mettre en avant les changements en cours dans la société américaine, qui n’avait pas encore aboli la ségrégation ni atteint les étoiles, mais était définitivement en marche vers le progrès.
Malgré une mise en place un peu trop plan-plan, ponctuée de séquences dispensables autour de la vie personnelle des héroïnes, où Melfi n’hésite pas à sortir les violons sans s’embarrasser de finesse (cela vaut surtout pour le personnage de Katherine Johnson, qui est, des trois, la figure la plus centrale), le film parvient assez facilement à retenir l’attention du spectateur, que ce soit grâce à l’abattage des actrices, l’humour bien présent qui évite de tomber dans un ton lourd et pesant dès qu’il est question de racisme, sans pour autant amoindrir le sujet, ou encore les coulisses de la NASA, où règne un Kevin Costner fichtrement sympathique en responsable (fictif) du service chargé de calculer la trajectoire de la fusée.
La marche vers le progrès de l’Amérique, vue par Hollywood
La place de ces femmes au sein de l’agence, au départ reléguées au sous-sol dans un bâtiment à part, où apparaît une pancarte « ordinateurs de couleur », interpelle tant il est clair qu’elles sont de brillantes mathématiciennes, et pas uniquement des calculatrices sur pattes dont la tâche serait anecdotique. Après, bien sûr, pour des raisons d’ordre dramatique, les scénaristes ont quelque peu déformé la vérité historique, notamment dans la dernière partie, où on a l’impression que Katherine Johnson réalise des calculs ultra-complexes en moins d’une heure, chose qui aurait été impossible, comme l’explique la NASA elle-même sur cette page dédiée au film. De même, la scène où la jeune femme craque devant son patron n’a jamais eu lieu, et l’élément récurrent des toilettes est basé sur un incident vécu par Mary Jackson, qui a été exagéré afin de le rendre plus percutant à l’écran.
Il n’empêche que, derrière ses quelques poncifs hollywoodiens, Les figures de l’ombre touche souvent juste en ce qui concerne les préjugés tenaces, et parfois inconscients, qui avaient encore lieu à l’époque (représentés par le personnage de manager « poliment » condescendant interprété par Kirsten Dunst), mais aussi lorsqu’il s’agit de décrire le climat ambiant, celui d’une irrésistible marche vers un progrès d’ordre aussi bien scientifique que social. On ressent à travers le film cette ébullition et cette prise de conscience collective qui commençait à émerger aux États-Unis, ce qui le rend assez pertinent. Par ailleurs, la NASA fut l’un des premiers organismes à ne plus pratiquer la ségrégation, avant même que la loi ne soit abolie.
Des femmes qui ont marqué l’Histoire
Et, bien entendu, l’histoire de ces trois femmes, qui entrèrent chacune à leur manière dans l’Histoire des États-Unis, bien que de manière discrète, en fait une leçon de détermination et de persévérance à l’américaine forte et émouvante. Mary Jackson fut ainsi la première femme afro-américaine ingénieure, Dorothy Vaughan la première femme de couleur manager au sein de la NASA, tandis qu’un bâtiment de recherche informatique de la NASA fut baptisé du nom de Katherine G. Johnson, qui participa au calcul de nombreux vols spatiaux, dont celui de la Terre à la Lune.
Porté par le charisme de ses actrices, toutes très convaincantes, Les figures de l’ombre se révèle alors un divertissement plutôt recommandable, et le spectateur peut alors pardonner l’enrobage hollywoodien de l’ensemble et la sagesse de la mise en scène, qui se repose davantage sur l’élégance de la photographie de la chef op’ Mandy Walker (Jane Got a Gun, Australia…) que sur une quelconque audace formelle.