Caractéristiques
- Titre : Thelma
- Réalisateur(s) : Joachim Trier
- Avec : Eili Harboe, Kaya Wilkins, Henrik Rafaelsen, Ellen Dorrit Petersen, Anders Mossling...
- Distributeur : Le Pacte
- Genre : Fantastique
- Pays : Norvège
- Durée : 1h56
- Date de sortie : 22 novembre 2017
- Note du critique : 7/10 par 1 critique
Cet obscur objet du désir…
Premier essai de cinéma de genre pour le cinéaste Joachim Trier, Thelma est une allégorie sur fond d’émancipation aussi troublante que touchante sur la force du désir et ses effets dévastateurs sur le corps et la psyché lorsqu’il est refoulé. L’héroïne est une jeune étudiante timide en fac de biologie qui quitte pour la première fois le domicile familial et cherche à s’intégrer. Pas facile lorsqu’on a grandie auprès de parents religieux ultra-conservateurs et surtout surprotecteurs ! D’ailleurs, ils ont appris son emploi du temps par coeur, suivent ses relations sur Facebook et lui posent des questions si elle ne décroche pas de suite son téléphone. Quand elle commence à faire des crises spectaculaires qui ressemblent à de l’épilepsie, Thelma fait la connaissance d’Anja, une étudiante de la même fac avec laquelle elle sympathise. Le désir arrive vite, telle une bombe à retardement, et ses crises s’aggravent à mesure qu’elle tente de le refouler. Lorsque des souvenirs d’enfance remontent à la surface, la question se pose : et si ces attaques cachaient quelque chose de plus inquiétant que de spectaculaires crises d’angoisses ?
La grande force du film de Trier, présenté pour la première fois en France dans le cadre de L’Étrange Festival avant sa sortie en salles en novembre dernier, est de commencer comme un film initiatique tout ce qu’il y a de plus réaliste avant de glisser progressivement vers le fantastique. Les crises psychogènes de Thelma — des crises d’angoisses qui provoquent des malaises ressemblant à de l’épilepsie — sont évidemment hautement cinématographiques, comme l’étaient les crises de somnanbulisme du personnage incarné par Ludivine Sagnier dans Une aventure de Xavier Giannoli (2005). Après tout, comme l’hypnose, cet état implique une altération de la conscience, entre rêve et éveil, qui n’est, dans une certaine mesure, pas si éloigné de l’espace psychique qu’ouvre le cinéma, avec son défilement à 24 images par secondes dans une salle obscure. Si Joachim Trier s’appuie de manière assez poussée sur cette pathologie et l’imagerie qui lui est associée, c’est aussi parce-qu’elle contient dans son fonctionnement et sa manifestation même quelque chose de fortement onirique et donc, évocateur.
Un film fantastique psychologique et troublant
Et grand bien lui en a pris, car il réussit un film à la fois juste et troublant, qui instille le trouble et suscite l’empathie sans jamais tomber dans la psychologisation à outrance — et ce même si certains critiques ont regretté cette approche dans le fond. Mais le fantastique ne repose-t-il pas justement sur un sentiment d’inquiétante étrangeté, où ce qui nous était jadis familier prend soudain des allures étranges ? De fait, il s’agit du véhicule idéal pour traiter du refoulé et du traumatisme, qui est ici abordé avec une belle justesse. Thelma est une jeune fille qui n’aspire qu’à vivre et à voler de ses propres ailes, mais elle ploie sous le poids de la culpabilité : ne va-t-elle pas faire du mal (voire détruire) ses parents en prenant son indépendance ? Et ce désir si intense, si beau qu’elle ressent, ne fait-il pas d’elle une mauvaise personne, elle à qui son père a toujours répété de ne pas perdre le contrôle ? Et, d’un coup d’un seul, le principe de réalité selon lequel les pensées ne sont pas des actes ne s’applique plus, et voilà qu’en refoulant ses désirs et émotions, elle fait disparaître des gens pour de vrai !
Sans aller plus loin dans les révélations, disons tout de suite que, si Thelma ne se départit jamais d’une certaine distance glacée, il ne manque pas pour autant d’intensité. En clair, le film est à l’image de son héroïne : le feu sous la glace ! Pour ceux qui s’attendraient à voir Joachim Trier prendre la même voie que Brian DePalma avec Carrie, il y a fort à parier que la frustration, voire la déception, pointeront le bout de leur nez. Mais ceux qui apprécient les thrillers psychologiques élégants et vénéneux devraient largement y trouver leur compte. En dehors des prestations lumineuses de ses deux actrices principales, Eili Harboe et Kaya Wilkins, Thelma peut compter sur la maîtrise de Trier pour installer des situations quotidiennes plongeant dans l’onirisme le temps de moments suspendus, rempli de désir et d’angoisse mêlés. La scène de l’opéra, hitchcockienne en diable par sa mise en scène comme sa musique, en est un bel exemple : la tension est bel et bien présente et ne demande qu’à exploser.
Un scénario d’une belle justesse
Si cette explosion n’aura en fin de compte jamais lieu (c’est un peu le propre du refoulé), l’évolution de l’intrigue et du personnage sont cohérents d’un bout à l’autre. De même, si l’on pourrait trouver de prime abord l’idée des parents ultra-religieux et flippants assez facile voire redondante vis-à-vis du genre (Carrie, encore une fois), le traitement apporté par Joachim Trier vient nuancer ce sentiment au fil des séquences. Par exemple, le père de Thelma la rassure lorsqu’elle lui avoue avoir bu de l’alcool, en lui assurant qu’elle « est adulte » et a besoin « d’expérimenter » sans abuser, ce qui est à peu près ce que tout bon père de famille dirait à sa fille de 18 ou 20 ans. Ils se montrent aussi aimants, quoique envahissants. Et si le spectateur ne peut pas approuver leur réaction face à cette jeune femme qu’ils ne comprennent pas, Trier ne fait pas pour autant d’eux des tortionnaires et montre comment le traumatisme familial, devenu tabou au sein du foyer au point d’avoir été quasiment effacé, a participé à faire d’eux ce qu’ils sont.
Au final, Thelma s’affirme comme une belle histoire d’émancipation féminine, tout aussi impressionnante dans la forme que puissante dans le fond, où le fantastique est utilisé par petites touches pour appuyer la puissance de ce désir qui ne saurait être muselé. Et Joachim Trier de s’attaquer aux peurs liées au désir féminin avec une élégance rare, sans jamais verser dans le sensationalisme ou la démonstration pompeuse. Une très belle leçon en la matière !
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