[Critique] Old : Une fable intimiste et angoissante

Caractéristiques

  • Titre : Old
  • Réalisateur(s) : M. Night Shyamalan
  • Avec : Gael García Bernal, Vicky Krieps, Rufus Sewell, Ken Leung, Nikki Amuka-Bird, Abbey Lee, Aaron Pierre, Alex Wolff et  Thomasin McKenzie.
  • Distributeur : Universal Pictures France
  • Genre : Thriller, Fantastique
  • Pays : Américain
  • Durée : 108 minutes
  • Date de sortie : 21 juillet 2021
  • Note du critique : 7/10

Du neuf avec du vieux

M. Night Shyamalan s’est avéré être avec le temps un cinéaste et un scénariste aux performances inégales, mais qui laisse rarement indifférent le public. D’abord salué pour ses premiers métrages que sont Sixième Sens et Incassable, son aura s’est peu à peu étiolée au fil du temps en raison d’une narration souvent identique, qui pourrait se résumer à des personnages torturés + un mystère + un twist à la fin. Si Signes conservait une certaine qualité narrative, il n’en va pas autant du Village et surtout de Phénomènes, qui démontraient que le style Shyamalan tournait à présent en rond.

Peut-être conscient de ça, il sort de sa zone de confort et s’adonne au grand spectacle avec Le Dernier Maître de l’Air et After Earth. Les deux rencontreront un échec tant critique que public, justifié qui plus est tant le réalisateur semble y avoir perdu son âme au passage.


Après quelques interventions pour des épisodes de séries TV,  M. Night Shyamalan revient en grâce en 2015 avec The Visit, sympathique thriller en found footage et surtout Split deux ans plus tard, où le réalisateur renoue avec son style et l’univers d’Incassable. Hélas, l’accalmie sera de courte durée car sa suite, Glass, décevra le public en raison d’une histoire trop peu épique pour convaincre.

Avec Old, il renoue (à nouveau) avec ses obsessions en adaptant le roman graphique de l’écrivain français Pierre-Oscar Levy intitulé Le Château de sable. Dans cette version sur grand écran, un groupe de touristes en vacances dans une île paradisiaque se rend sur une plage dont ils ne pourront plus ressortir et où le temps s’écoule différemment.

Une parabole sur la vieillesse

image abbey lee old

Night Shyamalan a toujours eu le don d’instaurer d’emblée une atmosphère mystérieuse qui nous captive et Old ne fait pas exception à la règle.

Après une mise en place rapide, nous retrouvons ce groupe de touristes prisonniers d’une plage qui semble avoir sa propre logique. Il est bien sûr difficile de décrire le scénario sans déflorer le suspense, mais nous nous doutons vite que ces gens n’ont pas été choisis au hasard et qu’un complot se trame dans l’ombre (et donc un twist… again).

Cependant, c’est le sous-texte sur la peur de vieillir qui semble avant tout intéresser le réalisateur, ainsi que les inévitables faiblesses que l’âge engendre. Si en cela beaucoup de scènes dégagent de l’émotion, d’autres créent en revanche un profond ennui. La faute à un rythme peut-être trop statique pour pleinement convaincre et des péripéties souvent redondantes, voire prévisibles.

Même le twist de fin tombe un peu comme un cheveu sur la soupe malgré une très intéressante charge contre les dérives médicales, ce qui de nos jours ne manque pas de révéler une audace salvatrice.

Des stéréotypes habités par leurs rôles

image alex wolff old

Bénéficiant d’un casting international avec la luxembourgeoise Vicky Krieps (Phantom Thread), le mexicain Gael Garcia Bernal (It Must Be Heaven), le britannique Rufus Sewell ou la jeune néo-zélandaise Thomasin McKensie, ainsi que l’américain Alex Wolff, frères et sœurs piégés dans des corps d’adultes, on pouvait s’attendre à une interprétation haut de gamme.

Malheureusement, si cela reste globalement vrai, la caractérisation des personnages s’avère beaucoup trop stéréotypée pour que l’ensemble arrive à convaincre totalement. La bimbo blonde, le couple en instance de divorce, le rappeur, le couple interracial, tous les clichés sont au rendez-vous et c’est dommage car le métrage perd en crédibilité car, soyons clairs : il est peu probable de retrouver toutes ces personnalités dans la même situation (y compris avec le twist).

En outre, on sent bien qu’on a demandé à certains de paraître mystérieux, même si ça ne sert pas l’intrigue et à d’autres de cabotiner à outrance, sans parler de ceux qui réagissent mollement à une situation où ils risquent leur vie.

Néanmoins, le casting est solide et parvient à nous livrer tout de même des interprétations correctes, bien qu’inégales.

Une mise en scène étrange 

Le moins qu’on puisse dire sur Old, c’est que sa narration s’avère souvent atypique. Si l’ambiance visuelle alterne entre angoisse et poésie, la réalisation, elle, alterne entre hors-champ et effets de style. Dans de nombreux cas, ils sont destinés à nous faire partager le point de vue des personnages ou plutôt la dégradation de leurs sens, que ce soit la vue, l’ouïe, voire même leurs mémoires.

C’est visuellement très intéressant, mais c’est hélas contrebalancé par un montage qui privilégie le hors-champ pudique dès que l’horreur visuelle surgit. Sans rechercher un quelconque sadisme à l’écran, il s’avère que cette méthode, utilisée abusivement, nous fait décrocher de l’aspect dramatique de beaucoup de situations, tout en ne nous laissant pour seul repère que les visages hagards (du Nord…) des personnages.

Si beaucoup seraient tentés de voir en Old une démarcation de Sixième sens avec ses personnages en lutte contre une force qui les dépasse, nous préférerons faire un parallèle avec La Jeune fille de l’eau, qui fut en son temps une parenthèse à l’univers angoissant de Night Shyamalan. Si La Jeune fille de l’eau était un conte naïf mais touchant, à la réalisation formatée, Old en est son pendant sombre.

Conservant la morale de la fable, il est en revanche inconstant visuellement, audacieux, maladroit parfois, mais tout aussi sincère dans sa tentative de proposer autre chose. L’ultime preuve vient du réalisateur lui-même, qui comme d’habitude se réserve un rôle dans le film mais, si dans La jeune fille de l’eau il interprétait le personnage principal car il voulait « vivre son expérience », ici au contraire, il en est l’observateur malsain. Une façon de changer de point de vue pour continuer à expérimenter son univers personnel.

Pas la résurrection mais… 

Si Old conserve de nombreux défauts, que ce soit dans son rythme ou la caractérisation des personnages, il s’inscrit en revanche parfaitement dans la filmographie de son auteur. Shyamalan ne tiendra peut-être jamais la promesse de ce que son cinéma laissait pressentir à ses débuts, mais il demeure un réalisateur intéressant car en perpétuelle lutte entre ses fondamentaux et le désir de se renouveler. Parfois il réussit, parfois il échoue, mais il remonte constamment en scelle et continue à soulever des questionnements sur lui et son œuvre.

Old n’est pas son meilleur métrage, mais il conserve un souffle et une ambiance qui lui permet de trouver une place honorable au sein de sa filmographie. Certains l’apprécieront, d’autres moins, mais personne ne sortira de la salle sans s’affranchir de commentaires dessus. La marque Shyamalan.

 

Article écrit par

Depuis toujours, je perçois le cinéma, certes comme un art et un divertissement, mais aussi et surtout comme une porte vers l'imaginaire et la création. On pourrait dire en ce sens que je partage la vision qu'en avait Georges Méliès. Avec le temps, de nombreux genres ont émergé, souvent représentatifs de leurs époques respectives et les bons films comme les mauvais deviennent ainsi les témoins de nos rêves, nos craintes ou nos désirs. J'ai fait des études de lettres et occupé divers emplois qui jamais ne m'ont éloigné de ma passion. Actuellement, sous le pseudonyme de Mark Wayne (en hommage à l'acteur John Wayne et au personnage de fiction Bruce Wayne alias Batman), je rédige des critiques pour le site "Culturellement Vôtre". Très exigeant dans ma notation des films, en particulier concernant le scénario car c'est la base sur lequel aucun bon film ne peut émerger s'il est bancal ou pour le moins en contradiction avec son sujet. Je conserve une certaine nostalgie d'une époque qui me semble (pour l'instant) révolue où le cinéma ne se faisait pas à base de remakes, intrigues photocopiées et bien-pensance. Néanmoins, rien n'entame mon amour du cinéma, et chaque film que je regarde me le rappelle, car bons ou mauvais, ils restent le reflet de notre époque.

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