[Entretien] Rencontre avec Christophe Gans pour la ressortie du Pacte des Loups

Pour le 20ème anniversaire du long-métrage, Le Pacte des Loups de Christophe Gans (avec Samuel Le Bihan, Mark Dacascos, Vincent Cassel, Monica Bellucci, Emilie Dequenne, Jérémie Renier et Jacques Perrin) a fait peau neuve en ayant été restauré en 4K. C’est la version longue que vous (re) découvrirez en salles le 10 juin. A cette occasion, nous avons pu nous entretenir avec le réalisateur Christophe Gans. On y parle de la restauration du film, de l’étalonnage, du mixage en Dolby Atmos mais aussi de cinéma en général. Une rencontre passionnante avec un passionné.

Culturellement Votre: Déjà merci pour cet entretien. Ce qui nous intéresse, c’est le processus de restauration de votre film Le Pacte des Loups. Comment s’est-il déroulé ?

Christophe Gans : Le processus de restauration a été très long et très coûteux sur ce film pour une simple raison : c’est que le film était à l’origine l’un des premiers étalonnages numériques faits en France – si ce n’est le premier, d’ailleurs. Aujourd’hui, c’est très commun mais, à l’époque, c’était une nouvelle technique, assez lourde à manipuler. On était un peu pressés par le temps. Le film avait connu des dépassements, des vicissitudes et on avait raté une première date de sortie. Une autre date avait donc été fixée. On ne pouvait pas se permettre de la rater à nouveau, donc je te dirais que j’ai un mauvais souvenir de l’étalonnage du film. C’était lourd, c’était long et en même temps c’était rushé. On n’était pas complètement satisfaits. D’ailleurs depuis ce temps, j’avais gardé un mauvais souvenir, en fait, de cette expérience.

En plus le film comporte beaucoup de plans. Il y a 3004 cut de montage, donc c’était compliqué. En fait, je n’étais jamais retourné au film et c’est aussi pour ça, en grande partie, que le film n’a jamais connu de versions HD. C’est-à-dire que quand le film est sorti en Blu Ray, c’était simplement un gonflage (d’ailleurs assez médiocre), de la version SD. Ce qui explique, aujourd’hui, le choc que vont avoir les gens, à mon avis, par rapport à la version qu’ils ont vue sur DVD, qui est tout à fait correcte. Il faut dire que le film est très bien photographié par Dan Laustsen, qui est un très grand chef opérateur, et là on passe directement  sur un film en Ultra HD et en Dolby Atmos. Alors attention, je tiens à préciser les choses : le film n’a pas été changé, il n’a pas été modifié, il n’a pas été révisé. C’est le film tel qu’il est sorti à l’époque, dans son intégrité d’ailleurs.

C.V: Donc, la version longue.

C.G: Oui, c’est la version longue parce qu’à l’époque, on ne pouvait pas excéder 2h17 à cause de la taille des plateaux  dans les salles de cinéma. Sinon, si on excédait les 2h17, on avait le droit à un entracte. Donc là, c’est la director’s cut qui était sortie en vidéo. Le film n’est pas un nouveau montage ou une version refaite, un redux comme on dit, ce n’est pas ça. C’est simplement le film transposé sur un support 4K, d’après le négatif original, et en Dolby Atmos, mais fait par les mêmes mixeurs. C’est l’équipe d’origine, le monteur et mixeur de l’équipe d’origine qui ont travaillé le film à partir des éléments qu’on avait.

On n’a pas cherché à créer de nouveaux éléments. Il n’y a pas de nouveaux sons dans la bande sonore. D’ailleurs, avant qu’on ne démarre la restauration, j’ai projeté une copie standard du film, à peu près correcte, et j’ai réuni tous les gens qui allaient travailler sur le film.  J’ai dit : « Voilà, on fait ça. On ne bouge pas de ça. » C’est le film que les gens ont aimé même si moi, aujourd’hui, je le ferais différemment. On n’y touche pas.

Je déteste les versions révisées de certains films, à commencer par, évidemment, le fameux premier Star Wars, dont l’Édition Spéciale est un blasphème pour les gens qui ont aimé ce film à l’origine. On ne touche pas ce film (Le Pacte des Loups). Il est ce que les gens ont aimé. Avec ses défauts, ses qualités. On va le garder. On va simplement le transposer sur un support qui va nous permettre de restituer au mieux les éléments de base, à commencer par le négatif. Le négatif dans tous ses détails parce que j’avais peur, en fait, de m’attaquer à une restauration. Et puis, quand j’ai vu un premier étalonnage simple, basique, d’après le négatif original, je me suis rendu compte que ça allait être une partie de plaisir. C’est-à-dire que le négatif de Dan Laustsen était tellement beau, tellement bien équilibré, sans pousser de grain (ndlr : argentique) sans rien, vraiment nickel. Je me suis dit : en fait, ça va être super. Et donc, on a refait la post-production du film. On a remonté le négatif original. On est parti donc, non pas d’un élément intermédiaire, comme ça avait été le cas pour l’étalonnage numérique. On est repartis de l’élément de base. C’est pour ça que ça a coûté cher.

C.V: Est-ce qu’il a fallu « gommer » des défauts de pellicule (craquelures, cheveux, etc.) pour cette restauration ?

Non, les seuls trucs qu’on a eu à faire, c’est qu’on a pu enfin équilibrer les effets spéciaux – c’est-à-dire, les effets spéciaux de la bête. A l’époque, par exemple, l’étalonnage numérique ne nous permettait que de faire des caches et des contre caches qui permettaient, plus ou moins, d’étalonner la bête contre le fond qui avait été tourné en vrai.

Notamment dans la scène de la maison où tout s’écroule, éclairée par des torches. Cette scène, pour moi, elle n’avait jamais été satisfaisante parce que des fois la bête virait au magenta, des fois la bête virait au vert. Et là, grâce au nouveau procédé technique qui nous permet instantanément d’avoir un repérage de la bête dans le décor, on a pu l’étalonner finement. Ce qui explique, d’ailleurs, que beaucoup de gens sont venus me voir en disant : « les effets sont vachement mieux ». Mais on ne les a pas refaits. En fait, ils sont faits correctement. Ce que je n’avais pas pu faire à l’époque. Simplement, on a pu faire l’étalonnage correctement parce que aujourd’hui, grâce au repérage par ordinateur, ça nous a permis d’obtenir une vraie finesse pour l’étalonnage de la bête, et je pense que ça se voit.

C.V: En revoyant le film en restauré, nous avions l’impression que la bête était mieux intégrée, mais du coup, c’est juste avec l’étalonnage que vous avez réussi à faire ça ?

C.G : Absolument, je n’ai rien changé.

C.V:  Nous pensions qu’il y avait juste un petit détourage numérique qui avait été fait…

C.G: J’aurais refusé. D’ailleurs, il y a quelques plans où ça aurait pu être mieux, mais je n’ai pas voulu les changer. Comme je le dis, l’histoire du cinéma, elle est comme ça. Elle avance. Il y a parfois des effets un peu artisanaux, comme dans le King Kong de 1933. Ça ne l’empêche pas d’être l’un des plus grands films du monde. Donc voilà, ma bête, elle est comme elle est. Simplement, j’ai pu un peu mieux l’étalonner et je pense que ça se voit.

Là aussi, je tiens à le dire parce que souvent, il y a une espèce de truc : tout le monde a peur du révisionnisme. Et je comprends pourquoi. Moi, je suis anti révisionnisme. Et les gens m’ont dit : « la bête, vous avez refait les effets spéciaux ». Non, je n’ai pas du tout refait les effets spéciaux. J’ai simplement mieux étalonné, comme j’aurais pu les étalonner à l’époque si le film s’était fait 2 ans après. Simplement, je l’ai fait et j’ai essuyé les plâtres de l’étalonnage numérique à l’époque.

image samuel le bihan le pacte des loups
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C.V : Sur beaucoup de restaurations d’anciens films qui sortent en salles ou en Blu-ray 4K, on voit que l’étalonnage est refait pour rendre le long-métrage plus moderne. Et là, en revoyant votre film en version restaurée, je m’attendais à voir un nouvel étalonnage. Or non, c’est bien l’étalonnage de 2001.

C.G : Oui, simplement les détails, les textures et tout apparaissent. Et je pense que c’est le choc que vont avoir les gens. C’est de voir tous les détails. Dans les toilettes par exemple. Monica Bellucci, c’est l’un des personnages qui tire le mieux son épingle du jeu du 4K. Quand elle apparaît dans l’église avec son espèce de toilette noire avec la voilette, par exemple. A regarder, c’est juste incroyable.

C.V: Et, de notre point de vue, après avoir revu le film en version restaurée, nous avons trouvé qu’il reste très moderne dans la réalisation, les décors, les costumes pour un film qui a 20 ans. Alors qu’il y a des films de cet âge qui ont mal vieilli.

C.G : Alors oui, c’est vrai, je pense que le film est moderne pour deux raisons. D’abord parce qu’il avait des points de référence qui étaient des points de référence souvent très exotiques alors qu’aujourd’hui l’hybridation est communément acceptée. Le film était un peu en avance sur ce métissage à la fois technique et culturel qui est le sien. D’autre part, je crois qu’il contient des thèmes qui, aujourd’hui, sont devenus très prégnants. Ils existaient déjà à l’époque, notamment les thèmes sur le radicalisme, le racisme, la préservation de la nature, la cause animale etc. Et c’était mon intention à l’époque de les intégrer. Mais on avait préféré parler du côté événementiel du film au moment de sa sortie, de son côté outrancier, de ses dépassements, de son côté industriel gargantuesque, etc.

Et on avait un peu passé sur, finalement, ce qui fait la personnalité du film et aujourd’hui, ça apparaît beaucoup plus clairement parce que l’aspect événementiel est loin derrière nous. Aujourd’hui, ce qui m’a plu, c’est que les gens, quand ils me parlent du film maintenant, ils me parlent des choses qui me tiennent à cœur. Par exemple, le fait que le film prend très nettement, à travers le personnage de l’indien, un certain nombre de partis pris idéologiques qui sont les miens, donc ça me fait plaisir que les gens le remarquent. Parce que entre-temps, le problème de la préservation de la nature ou de la cause animale est devenu de plus en plus à vif. Aussi, le fait que le film dénonce le radicalisme de certains groupes… Et ça aussi, c’est devenu quelque chose qui est beaucoup plus présent aujourd’hui dans notre environnement. Je dirais que ça a toujours été là, mais simplement, à l’époque, on avait préféré voir autre chose. Quand au métissage, je pense que c’est largement quelque chose qui était anticipé par le film et qui est aujourd’hui monnaie courante.

C.V : C’est ça, quand on visionne Le Pacte des Loups, on y découvre un mélange, un melting-pot, de beaucoup de genres : western, horreur, film d’époque, d’arts martiaux et ça marche toujours. Et c’est pour ça que le film reste culte et moderne.

C.G : Pour rendre à César ce qui appartient à César, le film n’est pas la première tentative de cet ordre là dans le cinéma français. Quand on m’a envoyé le script, que je l’ai lu… D’une part, j’ai vu tout de suite l’intérêt de porter à l’écran l’affaire de la bête du Gévaudan. Je veux dire l’affaire, parce que ce n’était pas une légende. C’était bien « l’affaire de la bête du Gévaudan ».

Mais d’autre part, j’ai vu quelque chose qui résonnait en moi. J’ai vu la possibilité de donner un descendant à Angélique, marquise des Anges. Une série qui était pour moi d’autant plus étonnante qu’elle mélangeait tout à la fois. C’est-à-dire qu’ il y avait des conspirations, des passages secrets, des messes noires, des scènes de cul, des scènes aux limites du fantastique, des matchs de catch etc. On y allait. On met tout là-dedans et on fait du cinéma populaire feuilletonesque à la française. Et j’ai toujours adoré ça. Et quand j’ai reçu le script du Pacte des loups, je me suis dit : « Je vais faire Angélique, marquise des anges aujourd’hui, en fonction des goûts du public d’aujourd’hui, exactement comme Angélique l’avait fait en fonction des goûts du public des années 60. »

Par exemple, le personnage de Monica Bellucci dans le film, c’est un personnage qui fait délibérément référence à Angélique. C’est un personnage qui, là aussi, est l’un des personnages sur lequel j’ai le plus travaillé pour lui donner précisément cette attache avec la saga de Borderie. C’est un personnage qui aurait pu être dans Angélique. Une espèce d’espionne du pape qui se fait passer pour une prostituée. On ne sait pas trop dans quel camp elle est. Elle tue avec un espèce d’éventail. Un personnage complètement baroque, délirant, mais c’est un personnage tel que le concevaient les auteurs d’Angélique, marquise des anges. Et pour moi, Le Pacte des Loups, c’est un descendant de ça et je sais qu’ il vaut mieux, en France, toujours descendre des 400 coups de Truffaut que de descendre d’Angélique, marquise des anges de Bernard Borderie, mais il se trouve que j’aime autant Les 400 coups que j’aime Angélique, marquise des Anges, c’est comme ça. Par ma sensibilité, je préfère descendre de Bernard Borderie que de François Truffaut. Je sais que c’est très transgressif de dire ça mais c’est la stricte vérité. Je n’y peux rien.

Donc, Le Pacte des Loups, je pense qu’il a marché comme a marché la série des Angélique parce qu’il donne, à un certain public, l’idée exacte du gros divertissement français du samedi soir. Moi, j’ai découvert Angélique à la télé, évidemment, comme ma génération était trop jeune pour aller le voir au cinéma. Mais mes parents m’ont raconté que quand ils l’ont vu en salle, c’était l’événement. Les gens se ruaient pour voir ça et c’est exactement ce qu’à fait Le Pacte des Loups. C’est-à-dire, on donne aux gens une espèce de vision délurée, iconoclaste, baroque de l’histoire française, de l’histoire de France. C’est exactement ce qu’est ce film.

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C.V : Pour en revenir à la restauration, avez vous utilisé un DNR, réducteur de bruit (ndlr : un procédé par lequel le grain de la pellicule est réduit ou supprimé), comme certains le font sur certaines restaurations de films qui ont plus de 20 ans ?

C.G : Non, rien, Dan Laustsen, c’est pas la moitié d’un chef-op. Il a encore eu l’Oscar récemment avec La Forme de l’Eau. Dan, c’est un immense chef opérateur. J’ai fait deux films avec lui. Je suis un fan de son travail pour Guillermo del Toro. En particulier, Crimson Peak. Évidemment, Le Pacte des loups a été fait avant Crimson Peak, mais j’avais vu Mimic, qui m’avait soufflé. D’ailleurs, j’ai réutilisé la chef déco, Carole Spier, qui a fait Silent Hill. J’ai pris aussi la costumière. J’ai pris le chef opérateur.

Mimic, c’est un film dont peu de gens parlent aujourd’hui. Mais moi, je sais que dans mon panthéon, c’est exactement le genre de film que je vois en me disant : « Tous les mecs qui ont fait ce film, je note leur nom ». Parce que tout est impeccable dans ce film. Non seulement impeccable, mais imaginatif et fait avec un goût absolu. La séquence dans la vieille station de métro abandonnée où ils sont assaillis par les cafards à l’intérieur des wagons, c’est sublime. Récemment, ils ont sorti une version restaurée en Blu-Ray que j’ai revue et c’est juste un plaisir incroyable à revoir. Je suis allé voir ce film à l’UGC Ciné Cité Les Halles. Je me souviens m’être assis avec les potes et regarder ça en me disant : « Un jour, je travaillerai avec les mecs qui ont fait ça ». J’avais déjà fait Crying Freeman, mais quand j’ai vu ça et j’ai dit, je vais travailler avec les mecs qui ont fait ça. Ils sont vraiment très très bons et c’est des films dont on ne parle pas.

J’ai fait une revue qui est restée célèbre, à sa façon, qui est Starfix. J’ai toujours essayé de représenter ce qu’on appelle la 3e voie. C’est-à-dire qu’il existe les films qu’aiment le public, les films qu’aiment la critique, et puis il y a une 3e voie, qui est je dirais la nôtre. Une voie plus cinéphile, plus transgressive, plus oblique, une vision différente du cinéma. Mes points de référence, c’est pas ce qu’aime le public. Il aime parfois des choses extrêmement cons. Ce n’est pas ce qu’aime la critique parce qu’elle aime des choses extrêmement bidons. C’est la 3e voie. Mimic, indéniablement, fait partie de ces films, quand on parle à des gens et qu’on leur dit Mimic et que tu vois le mec en face fait un large sourire, tu sais qu’il appartient à la 3e voie. C’est comme une secte. C’est exactement la même chose. On a des points  de reconnaissance et c’est exactement ça. Les gens pensent toujours que  je suis soit dans un camp soit de l’autre, mais ils oublient toujours qu’en fait, il existe une 3e façon de regarder le cinéma, qui est une façon plus sentimentale, plus passionnée.

Et des films comme les films de Guillermo par exemple… Avant qu’il ne soit accepté par la critique, nous on avait le nom de Guillermo qui circulait entre nous. C’est clair que c’était le mec qui avait fait Cronos, qui avait fait Mimic, et que ce mec, c’était un mec important et qu’il fallait le suivre de près maintenant. A partir du Labyrinthe de Pan, Guillermo a été reconnu et tant mieux. Heureusement, mais c’est vrai qu’on a des points de repères comme ça et je travaille beaucoup par rapport à ces points de repère.

C.V : Même son Blade 2 est très bon.

C.G :  Oui, même si j’ai des petits points négatifs,  je préfère nettement le film de Stephen Norrington, que je trouve infiniment beau et, en plus, parfaitement séminal par rapport à Matrix. Je trouve que le  film de Norrington est un film injustement sous-estimé.

C.V : Le 1 et le 2 sont très bons, mais bon, le 3…

C.G : Le 3 est à jeter par la fenêtre.

C.V : On peut même voir une trilogie ou triptyque entre Dark City, Matrix et Blade qui sont sortis à un an d’écart.

C.G. : Proyas [Alex Proyas, réalisateur de Dark City] en fait partie, des réalisateurs talentueux. The Crow, par exemple, est un film qui a largement éclairé mon expérience sur Crying Freeman.  Je racontais à l’époque, quand on me me demandait ce qu’allait être Crying Freeman, je disais, « Ça va être la version blanche de The Crow ». Je me rappelle que c’était la façon dont je définissais le film. J’ai toujours eu ce truc là par rapport à certains films qui sont en fait des films dont je m’empare presque sentimentalement. Ce sont des films que j’aurais aimé faire.

C’est normal d’aller voir des films et d’en être jaloux. C’est quelque chose de parfaitement recevable. Il y a des films comme ça, Mimic, The Crow, qui m’ont ébloui. Il faut que j’en donne ma version à moi et c’est vrai que Crying Freeman, je l’ai beaucoup fait en fonction du choc qu’avait été The Crow. D’ailleurs, le film avait été designé par Alex Mac Dowell, qui était le décorateur de The Crow. Proyas a été pendant un moment vraiment un metteur en scène, très bon. Mais les vicissitudes imposées par l’industrie du cinéma hollywoodien, ont fait que… Et c’est pareil pour Norrington. C’est un très grand cinéaste et aujourd’hui, il ne tourne plus du tout. C’est-à-dire qu’il s’est mis en congé du cinéma américain parce qu’il n’a pas supporté la façon dont ça s’est passé pour ses différents films.

C.V : Surtout sur La Ligue des Gentlemen Extraordinaires.

C.G : Oui, et ça lui a coûté beaucoup. C’est Dan Laustsen qui en a fait la photo. Et Dan m’a raconté ce qui s’est passé sur le film. La douleur qu’a été la production. D’ailleurs, le fait que Dan passe de Mimic à La ligue des Gentlemen Extraordinaires au Pacte des Loups etc… montre bien que, de toute façon, tous ces films dialoguent entre eux. C’est-à-dire qu’il est clair que pour moi, Norrington, Guillermo, ont plus de poids que plein de gens qui sont là, reconnus officiellement, et dont je n’en ai rien à ****** . D’ailleurs c’est, pour moi, ces gens-là qui font le cinéma qui, moi, m’intéresse.

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C.V : J’en reviens encore à la restauration. Donc, à part l’étalonnage de la bête, vous n’avez rien modifié ?

C.G. : Alors, on a refait l’étalonnage au sens où l’on a refait pareil, mais on a dû le refaire parce qu’on a refait la post-production. Quand tu pars du négatif, tu pars d’un élément brut. L’idée, c’était de refaire le même film, donc on a pris les choix qui étaient ceux qui avaient été faits et qui étaient visibles dans la copie première du film. Mais après, on a été obligés de refaire l’étalonnage. Ça a duré 4 mois.  On voulait le même film. C’est pour ça que j’ai projeté la copie du film avant à tout le monde en disant : « C’est ça qu’on fait ». Je ne veux pas que la scène, là, sous la pluie qui est un peu comme ça, légèrement bleue,  un peu enfoncée, je ne veux pas qu’elle soit brusquement toute claire et tirant sur le jaune.  Quand on était à l’étalonnage, je disais : « Non, ça c’est pas comme dans le premier film ». Même si c’était recevable, mais je ne voulais pas m’amuser avec le film.

J’avais été tellement outré par la façon dont, par exemple, Le Parrain 1 et 2 de Coppola avaient été, pendant un moment, réétalonnés en fonction du 3eme film . La première fois que j’ai vu ça, je me suis tapé la tête contre les murs. Le Parrain 1 et 2 , ce sont mes films américains favoris des années 70 et j’avais l’impression qu’on avait craché sur la statue de la Vierge. J’avais pas pu dépasser 20 min en me disant:  « Mais c’est pas vrai, qu’est-ce qu’ils font là? ». Ou par exemple l’étalonnage bidon qui était sorti en France, de Suspiria de Dario Argento. Heureusement, ça aussi, ça a été résolu entre-temps, mais visiblement, les mecs s’étaient amusés avec les boutons. A un moment donné, je pense que ce n’est pas bon de changer les choses.

Je pense que les films existent d’abord dans l’œil de l’admirateur. C’est dans l’œil de l’admirateur que le film existe. Ce n’est pas dans mon œil à moi. Je suis simplement le mec qui a fait le film et qui  est le dépositaire des intentions originelles du film. Mais un jour, je serai amené à disparaître et le film, lui, restera. C’est le film qui, à ce moment-là, devra être conforme aux intentions premières. Ce n’est plus moi qui serait là en train de dire : « Bah non, ce n’est pas ce que je voulais » ou « Maintenant, j’ai envie de faire ça, etc. ». Ce qu’il faut se dire, c’est que les films ont une durée de vie beaucoup plus longue que la nôtre, donc c’est eux qui doivent rester. D’autre part, les films, une fois qu’on les a faits, ils appartiennent au public. Après, tu te diras quand t’as un film qui sort et qui fait 100 000 entrées, oui le réalisateur peut se dire : « Finalement, peut être que ça serait bien de revoir le montage » ou un machin comme ça.  Mais même ça, il y a plein d’exemples qui prouvent que c’est pas bon.

J’adore un film  qui s’appelle Mortelle Randonnée de Claude Miller. Un film qui faisait à peu près 2h10, qui a été un bide noir malgré le fait qu’il y avait Adjani et Serrault. Et Miller a entièrement remonté le film, il en a fait un film de 90 min. Et le film est dénaturé. Pendant des années on n’a plus pu voir la version intégrale et on ne voyait que cette espèce de version raccourcie débile de 90 minutes. Heureusement, maintenant, c’est la version de 2h10 qui est à nouveau montrée. Ça prouve que, même si le film n’a pas marché, même si le réalisateur peut légitimement se dire que les choix n’étaient pas bons, finalement le film qui restera, c’est celui qu’on a découvert en salle et qu’on a aimé en salle. J’ai aimé ce film incroyablement. Pareil pour La Reine Margot, il y a eu une version courte qui a été sortie et finalement à l’arrivée, maintenant, c’est une version plutôt longue qu’on regarde, parce que ce sont des films qui n’ont pas remporté le succès escompté mais néanmoins, c’est comme ça qu’on les a aimés. Les quelques personnes qui se sont pointées pour les voir au cinéma, ils ont aimé ces films là et c’est à eux qu’appartiennent le film. Ce n’est pas à nous. Les cinéastes sont amenés à disparaître, les films non.

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C.V: Pour la sortie en Blu-ray 4K (ndlr : le film sortira dans ce format en septembre), est-ce que le film sera en Dolby Vision ou HDR?

C.G: Pour la sortie en salles, c’est une version HDR.  Maintenant, c’est une question qu’il faudrait voir parce que je n’étais pas là quand ils ont fait toutes les conformités de transfert. Il se peut qu’ils aient fait l’intégrale, sachant que le film continue à être diffusé massivement en France, mais également dans les pays étrangers. Donc, je pense qu’on va avoir droit à tout l’éventail. C’est une bonne source de profit pour Canal Plus. Je pense que, d’une manière ou d’une autre, ils feront en sorte que le film soit disponible dans n’importe quel format. Maintenant, quel est le format qui va être utilisé exactement pour le tirage du disque 4K, ça je ne le sais pas encore… Mais, évidemment, je ferai attention pour que ce soit le meilleur.

C.V: Concernant le nouveau mixage en Dolby Atmos, ce qui frappe c’est le mixage, assez doux pour la musique, tandis que pour les effets (météo, orage, coups durant les combats etc.), on sent que le curseur a été mis à fond. Vous êtes donc parti du mixage original, ou est-ce que cette piste a été complètement repensée pour le Dolby Atmos?

C.G : On a essayé de faire la même chose, simplement, le Dolby Atmos décuple l’impact. Il est clair que le film est encore plus percutant. On va dire les choses comme elles sont. J’aime bien fréquenter la salle du Pathé Beaugrenelle en Dolby Atmos. C’est là où j’ai vu Dune de Denis Villeneuve. On va parler d’un film dont le son est particulièrement bon, mais en même temps particulièrement puissant. D’ailleurs, j’adore l’approche de la musique qui consiste à finalement mélanger les effets sonores et la musique. Je trouve que c’était très bien vu de la part d’Hans Zimmer et de Villeneuve. J’ai vu le film là-bas et j’ai été stupéfait. Notamment la scène d’atterrissage des vaisseaux Atréides sur Dune. On était sous les tuyères. Mais quand j’ai revu le film plus tard, dans une autre salle, parce qu’il n’était plus diffusé, là j’ai été frappé à quel point les effets et la musique ne ressortaient pas de la même façon.

Je l’ai vu, Le Pacte des Loups, dans la salle de mixage et ça marchait comme le film original. Le long-métrage original, je l’ai dans l’oreille, donc ce n’était pas un problème. Maintenant, selon les cinémas où tu le vois, selon l’espace dans lequel tu le vois, selon la puissance à laquelle tout ça est réglé, il est clair que ce n’est pas la même chose. Ce n’est pas la même chose de voir un film au Pathé Beaugrenelle, que de voir un film aux Fauvettes ou à l’UGC Normandie. Et ce sont trois bonnes salles (ndlr : à Paris). Trois salles où j’aime bien aller, mais il est clair que c’est pas la même chose. L’expérience est à chaque fois différente.

Je travaille toujours avec la même personne sur le son, qui est Becker. Il a fait tous mes films, sauf Crying Freeman.  C’est lui, notamment, qui a fait l’extraordinaire travail sonore sur Sunshine de Danny Boyle, qui est un film incroyable en termes de son. Je me souviendrai toujours des scènes dans le vide, où ils sont obligés de se propulser d’un vaisseau à l’autre avec le bruit des grincements du métal qui s’approche… Toujours est-il qu’à l’époque, je voulais que le son soit du même calibre que l’image que m’avait donnée Dan Laustsen. C’est à dire que ça soit un son comme on n’a pas l’habitude d’entendre dans le cinéma français. Avec une qualité immersive et que l’impact des effets atmosphériques du film, c’est à dire la pluie, le vent, le feu etc. soient décuplé. Je pense, par exemple, à la scène d’attaque de la bête dans la petite maison où Fronsac l’attaque avec une fourche : ça arrache la tête !

C.V: Dans la scène d’ouverture du film, quand la femme se fait projeter sur la roche, on sent clairement l’impact grâce au mixage sonore.

C.G : Pour la petite histoire, c’est la scène qui m’a valu une interdiction aux moins de 12 ans. Le film était très attendu, au point que la projection à la commission de contrôle était pleine. Le long-métrage a démarré et le projectionniste avait mis le son un peu trop fort. C’est cette scène qui m’a coûté l’interdiction aux moins de 12 ans. Et pourtant le film, franchement, ne mérite pas une telle interdiction. Cette fille, elle s’appelle Karine, elle était contorsionniste dans la troupe de Starmania : c’est elle-même qui fait ces mouvements. Il n’y a pas de d’effet spécial. C’est elle qui se tort comme ça. C’est un trucage, le plus simple possible puisque c’est une personne qui fait ça avec son corps… Et ça m’a valu l’interdiction aux moins de 12 ans.

C.V : Dès la première scène, on sent que vous avez mis le paquet sur le mixage en Dolby Atmos et qu’on va avoir une bonne expérience ! On adore les restaurations pour ça. 

C.G : Moi aussi, je suis fan ! C’est vrai qu’il y a quelques disques 4K qui sont fabuleux. Quand je regarde Blade Runner en 4K, c’est magnifique. Voilà un film où l’immersion veux dire quelque chose. Dès les premières minutes, les premières notes de Vangelis et le vaisseau qui surplombe. Tu regardes ça et tu te dis « Mon Dieu… ». Tu vois tous les détails des maquettes de Douglas Trumbull et tout. C’est incroyable.

C.V: C’est comme ça qu’on se rend compte qu’il y a des films, quand ils sont restaurés, qui vieillissent bien. On peut les revoir maintenant sans problème.

C.G : C’est l’un des mystères du cinéma. C’est-à-dire comment les films vont vieillir, et parfois comment les films vont resurgir… Parce qu’il y a des films qui vieillissent, qui tombent dans l’oubli et qui surgissent 30 ans après simplement parce que les goûts évoluent. Et brusquement, on se rend compte que le film marche avec l’époque. Donc, il ne faut jamais enterrer un film. Il aura toujours l’occasion de resurgir à un moment ou un autre. C’est pour ça que c’est tellement fascinant pour moi, 20 ans après, de voir des gens qui, soit redécouvrent Le Pacte des Loups, mais surtout ceux qui le découvrent aujourd’hui. C’est fascinant de me dire : « Le film, aujourd’hui, il marche comme ça ». C’est fascinant pour moi, parce qu’il est clair que c’est une partie du processus qui m’échappe totalement. C’est comme si ce que j’ai fait voyageait à travers le temps.

Encore un grand merci à Christophe Gans pour sa disponibilité, sa gentillesse et sa passion. Merci à Metropolitan Film. Et merci à Mensch Agency pour avoir organisé cet entretien.

Article écrit par

Adore le cinéma en général, que ce soit les gros blockbusters ou les plus petits films, les séries TV et les jeux vidéo. Il réalise de nombreux tests de blu-ray et films en UHD 4K et couvre l'actualité cinématographique en salles.

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