Caractéristiques
- Titre : As Bestas
- Réalisateur(s) : Rodrigo Sorogoyen
- Scénariste(s) : Isabel Peña & Rodrigo Sorogoyen
- Avec : Denis Ménochet, Marina Foïs, Luis Zahera...
- Distributeur : Le Pacte
- Genre : Thriller, Drame social
- Pays : France, Espagne
- Durée : 2h17
- Date de sortie : 20 juillet 2022
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- Note du critique : 8/10 par 1 critique
Un contexte socio-culturel réaliste
Etrangement présenté hors compétition cette année au Festival de Cannes alors qu’il aurait eu toute sa place au sein de la compétition officielle, As Bestas, le sixième long-métrage du réalisateur espagnol Rodrigo Sorogoyen, est un thriller franco-ibérique rural aussi lent qu’oppressant, porté par un duo d’acteurs que l’on aura rarement vus aussi convaincants.
L’histoire nous plonge dans le contexte social difficile d’un petit village de Gallice marqué par la pauvreté et la fuite des jeunes, qui partent le plus tôt possible, laissant leurs parents agriculteurs dans une difficulté grandissante. Les rares hommes qui restent, à l’image des deux frères qui vont harceler le couple de Français, n’ont pas de famille ni forcément d’éducation et leur horizon limité. Prisonniers de leur terre, les habitants n’ont du coup aucun mal à accepter, moyennant finances, la présence d’éoliennes qui massacreront le paysage, car leurs conditions de vie sont trop difficiles.
A l’opposé, les deux ex-professeurs parisiens, avec lesquels nous sommes en empathie dès le début et pendant la majeure partie du métrage, ont tout du couple bobo agaçant : s’installer dans ce petit village pour y cultiver des légumes bio représente un rêve pour eux et ils ne comptent pas se laisser faire par les locaux auxquels ils tentent en vain de s’intégrer et auxquels ils s’opposent sur l’installation des éoliennes, bloquant de facto le projet. Butés, poursuivant leur rêve coûte que coûte, ils n’en respectent pas moins la culture locale dans le même temps. Alors, ont-ils raison de s’acharner ?
Un film à l’intensité grandissante, entre thriller et western
Ce contexte réaliste, où chaque partie a de vraies raisons, donne une vraie force au film dès le départ et permet au drame de se nouer, avec une tension montant de manière aussi progressive qu’implacable lorsque deux des villageois commencent à intimider le couple de manière insidieuse, puis de plus en plus menaçante sans que la police intervienne véritablement. Ce qui commence comme une simple guerre de voisinage sur fond socio-culturel va alors prendre un tour de plus en plus inquiétant et engendrer une paranoïa grandissante chez le couple. Même si la violence physique est jusqu’à un certain point absente à l’écran, la tension sourde qui se dégage de chaque scène fait que l’on se prend à s’accrocher au siège et à sursauter à plusieurs reprises.
Le film, divisé en deux parties (avant et après le conflit, dont nous vous laissons découvrir les conséquences), est hautement cinématographique tout en étant anti-démonstratif. Rodrigo Sorogoyen montre la beauté sauvage de ce lieu isolé confronté à la désertification, imprégnant le film d’une atmosphère particulière, qui ne fait que renforcer l’intensité du récit en apportant une dimension de western à l’ensemble, ce qui est perceptible dès le très beau plan d’ouverture où des hommes tentent de maîtriser un cheval sauvage. Au-delà des plans d’ensemble mettant en valeur le paysage, le reste de la mise en scène, au cordeau, privilégie les plans serrés sur les personnages, où ce sont les regards et les silences entre des répliques lourdes de sens qui tuent. Toute cette dimension permet de révéler sans lourdeur la symbolique d’une guerre autour de la conquête et de la maîtrise d’un territoire que certains rêvent de fuir, où le rêve le dispute à l’illusion au nom d’un idéal de vie.
Même si l’on pourra toujours relever, dans la seconde partie, quelques petites choses un peu moins convaincantes (principalement un échange un peu lourd avec la fille du couple), As Bestas se révèle être l’un des thrillers les plus intenses de cette année 2022 et l’un des meilleurs films de ce premier semestre. Porté par un scénario rigoureux, une mise en scène affûtée et un casting franco-ibérique très crédible, cette nouvelle œuvre prouve si besoin était lle talent de Rodrigo Sorogoyen, quelques années après le remarqué Madre.