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[Critique] L’immensità : Famille, contraintes et liberté dans l’Italie des années 70

Caractéristiques

  • Titre : L'immensità
  • Réalisateur(s) : Emmanuele Crialese
  • Scénariste(s) : Emanuele Crialese, Francesca Manieri et Vittorio Moroni
  • Avec : Penelope Cruz, Luana Giuliani, Vincenzo Amato, Alvia Reale, Penélope Nieto Conti...
  • Distributeur : Pathé
  • Genre : Drame
  • Pays : Italie
  • Durée : 1h37
  • Date de sortie : 11 janvier 2023
  • Acheter ou réserver des places : Cliquez ici
  • Note du critique : 7/10

Un nouveau portrait de mère libre prisonnière du carcan des années 70

Cinquième long-métrage de fiction du réalisateur italien Emmanuele Crialese, 11 ans après Terraferma, L’immensità est un nouveau portrait de femme, faisant écho à celui du personnage de femme et mère libre de son film Respiro (2002) incarné par Valeria Golino. D’ailleurs, le seul plan aquatique du film, dans lequel nous voyons l’héroïne sous l’eau, a clairement été pensé pour faire écho à celui de ce précédent métrage devenu culte. On y retrouve un personnage de mère courage qui élève quasiment seule ses enfants, avec lesquels elle entretient une relation fusionnelle, tandis que son mari, qui travaille à plein temps, n’est presque jamais là. Le personnage joué avec brio par Penelope Cruz, tout en étant moins « fofolle » que l’héroïne de Respiro, fait preuve d’une vraie liberté d’esprit et de comportement par rapport aux mœurs de son milieu assez bourgeois dans le Rome des années 70, où les hommes bénéficient d’une marge de manœuvre dans ce domaine qui n’est pas celle dont peuvent se prévaloir leurs épouses. Là aussi, elle finira par en payer le prix, même si le film, qui se présente comme une tranche de vie, n’est pas pessimiste dans sa conclusion, assez ouverte.

A ce portrait de femme vient s’ajouter celui de la fille aînée du couple, Adriana, qui reproche à ses parents d’être « mal née » car elle aimerait être un garçon et se présente comme tel, sous le nom d’Adrian, auprès de la jeune fille du camp de travailleurs caché de l’autre côté des buissons, derrière l’immeuble où réside la famille. Les aventures et questionnements de l’ado vont permettre de révéler les failles de cette famille dysfonctionnelle et, en creux, celles de l’époque.

penelope cruz dans le rôle de clara dans l'immensità d'emmanuele crialese

Une tranche de vie familiale portée par une Penelope Cruz magistrale

Ce qui frappe en premier lieu dans L’immensità, 20 ans après le somptueux Respiro, c’est la tendresse évidente qu’Emmanuele Crialese porte à ses personnages. Le film tout entier est porté par eux et c’est toujours eux qui nous attachent au récit et nous transportent. Penelope Cruz trouve là l’un de ses plus beaux rôles de ces dernières années, dans une veine assez proche du Volver d’Almodovar. Elle traduit avec beaucoup d’énergie et de sensibilité la spontanéité de son personnage, Clara, l’amour qu’elle porte à sa famille, mais aussi sa souffrance profonde, qu’elle dissimule pour ne pas craquer devant ses enfants. Elle est pour beaucoup dans notre adhésion à cette histoire centrée sur deux personnages en décalage par rapport à leur temps et à leur milieu, qui n’hésitent pas à pointer les hypocrisies de leur entourage et d’une société où le maintient des apparences et d’une certaine forme de discipline compte plus que la réalité des choses et des sentiments de chacun vis-à-vis de la place qu’il occupe.

Dès la scène d’ouverture, elle impose une présence magnétique qui ne semble jamais travaillée et étudiée – signe des grandes actrices. D’ailleurs, bien qu’elle soit d’une grande beauté dans le film, le réalisateur n’hésite pas à mettre en avant la vulnérabilité de l’actrice espagnole et de son personnage : yeux cernés et gonflés par les larmes, corps à moitié dénudé mais couvert de bleus sous les coups de son mari, rides qui ne font que renforcer la lumière de son sourire… Si Clara est aussi touchante, c’est que ses failles sont visibles, ce qui permet d’oublier un tant soit peu la star et de rendre parfaitement crédible ce personnage de mère romaine partagée entre force, douceur et désespoir.

les enfants menés par adri jouent dans l'immensità

Un drame qui évite les pièges narratifs attendus

La jeune actrice Luana Giuliani qui interprète Adrian/Adriana est quant à elle assez épatante et son jeu naturel est l’antithèse de la performance cabotine que l’on peut trouver chez certains enfants-stars américains. Du coup, on est véritablement en empathie avec son personnage d’ado troublée en quête de réponses, et cela au-delà de la question sociétale, à propos de laquelle Emmanuele Crialese nous épargne tout grand discours moralisateur. Ce sont, au final, ses personnages qui parlent le mieux pour lui et en disent le plus sur l’aspect normatif de la société italienne des années 70, sans que les dialogues aient besoin de trop appuyer son point de vue de ce côté-là. D’ailleurs, même la dispute la plus explicite entre Clara. et son mari à ce sujet (« c’est toi qui n’est pas normal », lui balance-t-elle après qu’il lui ait reproché d’avoir pourri l’esprit de leur fille) est bien plus juste que bon nombre de productions hollywoodiennes bien intentionnées, mais parfois trop démonstratives. L’immensità est une œuvre qui laisse suffisamment de place à l’imagination et au ressenti du spectateur, et il en est d’autant plus touchant. Et, même si le mari est sans doute le seul personnage envers lequel on peut difficilement ressentir de l’empathie, cela est contrebalancé par une ou deux scènes témoignant malgré tout de la complicité qu’il entretient avec ses enfants – et plus particulièrement son fils, avec lequel il partage une friandise au lit en silence alors que sa femme s’est réfugiée dans la chambre des enfants.

De fait, malgré quelques scènes de violence conjugale, dont une assez dure car vue à travers les yeux des enfants du couple, le film reste dans un ton quotidien et ne verse jamais dans la tragédie vers laquelle il aurait été facile de s’orienter. La critique sociale de l’Italie des années 70, où la femme est toujours enfermée dans un carcan machiste, est bien là mais, en fin de compte, la fin ouverte, ni triste ni joyeuse, évite les pièges narratifs attendus. Une certaine mélancolie persiste, mais la tendresse et la force des personnages demeure. Au spectateur ensuite d’en retirer ce qu’il souhaite…

luana giuliani dans le rôle d'adri dans le film l'immensità

Entre réalisme et touches d’onirisme

L’immensità est partagé entre tranche de vie du quotidien et plongée dans l’intimité et les espoirs de ses personnage,s et cela se ressent également dans les partis pris de réalisation. Emmanuele Crialese reste au plus près de ses acteurs et privilégie souvent les gros plans et plans rapprochés, avec une caméra souvent fluide lors des scènes à l’extérieur – et plus particulièrement lors des séquences mettant en scène Adrian dans le camp de travailleurs avec son amie gitane. Certaines scènes sont vues à travers le regard du personnage de la mère, mais d’autres à travers celui d’Adrian. C’est son personnage qui apporte une dimension onirique au film, elle qui monte sur le toit en quête d’un signe divin ou extraterrestre qui lui permettrait de comprendre qui elle est et pourquoi.

Ce n’est donc pas un hasard si les seules scènes véritablement subjectives du film sont vues à travers son regard, ou plutôt son imagination, sous la forme de numéros musicaux en noir et blanc inspirés des émissions de télévision de l’époque qu’elle regarde et dans lesquelles passent les stars du moment, de la variété italienne kitsch pompée sur les tubes américains (le thème de Love Story adapté en chanson) que les groupes de rock. Il y a un chouïa de Six Feet Under dans ces scènes, mais à hauteur d’ado, ce qui leur confère une naïveté touchante derrière la kitscherie sentimentale – ce qui était essentiel pour que ces passages fonctionnent. Cette tension entre réalisme (avec une photographie privilégiant cependant des teintes automnales/légèrement sépia en écho au décor typiquement 70’s de l’appartement familial) et onirisme présent en petites touches contribue au sentiment d’immersion ressenti dans l’univers de ces personnages qui se sont créé une bulle, un cocon pour se protéger et évoluer librement malgré les contraintes sociales de leur époque.

Au final, sans être un grand film, L’immensità est une œuvre véritablement touchante, un double portrait de femme et d’ado tout en nuances qui permet d’évoquer l’Italie des années 70 et la jeunesse, sur un ton tour à tour grave, drôle et empli d’une certaine nostalgie pour ces instants de tendresse et d’innocence arrachés à un quotidien parfois étouffant. 

Article écrit par

Cécile Desbrun est une auteure spécialisée dans la culture et plus particulièrement le cinéma, la musique, la littérature et les figures féminines au sein des œuvres de fiction. Elle crée Culturellement Vôtre en 2009 et participe à plusieurs publications en ligne au fil des ans. Elle achève actuellement l'écriture d'un livre sur la femme fatale dans l'œuvre de David Lynch. Elle est également la créatrice du site Tori's Maze, dédié à l'artiste américaine Tori Amos, sur laquelle elle mène un travail de recherche approfondi.

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