[Critique] The Gallery : Un film interactif, une expérience collective

Caractéristiques

  • Titre : The Gallery
  • Réalisateur(s) : Paul Raschid
  • Scénariste(s) : Paul Raschid
  • Avec : Anna Popplewell, George Blagden, Shannon Tarbet, Callum McGowan...
  • Genre : Thriller
  • Pays : Irlande
  • Durée : 2h30
  • Note du critique : 7/10

Une œuvre hybride où le spectateur est partie prenante

Présenté le 25 février dernier au festival Ciné O’Clock à Villeurbanne dans le Rhône, The Gallery est un film interactif irlandais de Paul Raschid avec Anna Popplewell et George Blagden (Les chroniques de Narnia) qui se déroule dans une galerie d’art anglaise à deux époques différentes. Dans chaque segment, le galeriste est pris en otage à la veille du vernissage d’une exposition et le but pour le public, qui devra faire des choix au nom de l’otage, sera de sauver celui-ci et de lui éviter le pire.

Conçu à la fois pour le jeu sur consoles et pour la projection en salles (dans deux versions différentes), ce huis clos entre tension et humour nous a été projeté sur grand écran depuis une PlayStation 4. L’expérience se voulant évidemment immersive, nous allons ici parler de la manière dont nous l’avons vécue et des ressorts auxquels elle fait appel.

anna popplewell et george blagden dans le film interactif the gallery

Un dispositif qui favorise la connivence entre spectateurs

Se rendre en salle voir un film sous-entend bien entendu une expérience collective, même si l’obscurité nous protège. Mais, au-delà des démonstrations les plus bruyantes (rires, cris, pleurs), on ne partage pas nécessairement toutes ses réactions avec les autres spectateurs. On éprouve (généralement) de l’empathie pour les personnages et, dans ces moments-là, c’est comme si le film nous parlait à nous et à nous seul.

Aussi, assister à la projection d’un film interactif conçu à la manière d’un jeu vidéo, où chacun des choix effectués peut potentiellement avoir un impact sur la relation entre les personnages et la suite des événements, est une expérience on ne peut plus intéressante de ce point de vue. En effet, chaque choix qui se poserait au seul gamer devant sa console fait ici l’objet d’un vote à bras levé, ce qui établit directement une relation de connivence avec les autres spectateurs. On s’amuse et s’étonne de la popularité de ses choix, on rit de certaines réactions instinctives face à une situation donnée, on se moque gentiment des quelques braves loups solitaires qui lèvent la main pour une action un peu kamikaze sur les bords…

C’est ce qu’il s’est passé lors de cette projection de The Gallery, rendant ces 2h30 fort ludiques et agréables… et faisant un peu oublier les ressorts finalement assez simples (pouvait-il en être autrement ?) de l’intrigue, d’autant plus facilement repérables que l’histoire est déclinée sur deux périodes (les années Thatcher et la nôtre) dans deux segments d’1h15 chacun. Une apparente simplicité qui n’empêche pas une certaine tension de s’installer puisque la négociation en situation de prise d’otage est au cœur de l’expérience.

george blagden et anna popplewell dans the gallery

Des ressorts psychologiques efficaces

Etant partie prenante dans le sort réservé à notre personnage alter-ego et non simple spectateur passif, on s’implique forcément différemment dans le récit, et c’est là que les ressorts psychologiques se mettent en place. Aller dans le sens du preneur d’otage pour gagner sa confiance peut-il être une stratégie payante ? Ou bien au contraire s’affirmer face à lui ? Bien sûr, rien n’est tout blanc ou tout noir, et il va donc falloir faire preuve de jugeotte et de pas mal d’intuition.

La répétition lors du second segment établit une tension supplémentaire (encore plus si, comme nous, on a perdu lors du 1er) , tandis que le changement de sexe du preneur d’otage pose question : à décision similaire, ses réactions seront-elles différentes ? Ou bien faut-il au contraire changer de stratégie ? Ce point précis peut donner lieu à un certain comique de situation dans la salle. Exemple : entre attaquer ou séduire le preneur d’otage, le public de la projection à laquelle nous avons pris part a majoritairement voté « séduire la preneuse d’otage » lorsque le galeriste prisonnier était un homme, alors qu’il avait voté « attaquer » lorsque l’otage était une femme. Cette réaction aussi majoritaire qu’instinctive a tout de suite provoqué des éclats de rire dans la salle. The Gallery s’avère ainsi souvent instructif par la manière dont il met en lumière toutes ces réactions auxquelles nous ne pensons pas au quotidien.

choix de l'action dans le film interactif the gallery

Un récit simple mais efficace

Le récit en lui-même autour de la valeur de l’art et de la critique du système est plaisant sans être transcendant. On sent que le script a été écrit de manière à pouvoir être décliné (chaque segment possède 18 fins différentes), ce qui nécessitait une certaine épure. Les rôles sont bien campés, de manière simple mais convaincante, par leurs acteurs respectifs, à commencer par les deux acteurs principaux, qui incarnent à tour de rôle le galeriste et l’otage. La réalisation est somme toute assez classique, mais fonctionne bien pour ce type d’expérience. La dimension huit clos est globalement bien gérée, notamment dans la 1ère partie, plus claustrophobique que la seconde, où l’espace et la lumière ne sont pas les mêmes.

Enfin, si nous n’avons donc vu que 2 fins en tout et pour tout, celles-ci semblent assez crédibles au vu des décisions prises. On notera aussi que c’est peut-être les petites réactions aux paroles du preneur d’otage qui peuvent avoir le plus d’influence sur la conclusion, ce qui est assez intéressant, même s’il faudrait vérifier cette impression sur consoles.

Quoi qu’il en soit, The Gallery est une expérience ludique et cinématographique agréable, qui crée un lien de connivence avec les spectateurs dans la salle et joue sur des ressorts psychologiques intéressants, non seulement par son principe même, mais aussi par le contexte de l’intrigue. Nous sommes du coup très curieux de voir comment ce dispositif pourrait être adapté à d’autres récits et par d’autres artistes.

Article écrit par

Cécile Desbrun est une auteure spécialisée dans la culture et plus particulièrement le cinéma, la musique, la littérature et les figures féminines au sein des œuvres de fiction. Elle crée Culturellement Vôtre en 2009 et participe à plusieurs publications en ligne au fil des ans. Elle achève actuellement l'écriture d'un livre sur la femme fatale dans l'œuvre de David Lynch. Elle est également la créatrice du site Tori's Maze, dédié à l'artiste américaine Tori Amos, sur laquelle elle mène un travail de recherche approfondi.

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