Caractéristiques
- Titre : Le Règne Animal
- Réalisateur(s) : Thomas Cailley
- Scénariste(s) : Thomas Cailley et Pauline Munier
- Avec : Romain Duris, Paul Kircher, Adèle Exarchopoulos et Tom Mercier.
- Distributeur : StudioCanal
- Genre : Drame, Aventure, Fantastique
- Pays : France
- Durée : 128 minutes
- Date de sortie : 4 octobre 2023
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- Note du critique : 9/10 par 1 critique
Ambitieux et inclassable
Présenté en ouverture d’Un certain regard, le deuxième long-métrage de Thomas Cailley permet au réalisateur de revenir à Cannes, neuf après le succès de son premier film Les Combattants, en compétition pour la Caméra d’or, et qui avait par la suite obtenu trois Césars.
Dans Le Règne animal, le monde est en proie à une vague de mutations qui entraînent la transformation progressive de certains humains en animaux. Quand Lana se retrouve atteinte de ce mal mystérieux, son mari François (Romain Duris) et son fils de seize ans Émile (Paul Kirscher) s’embarquent dans une quête qui bouleversera à jamais leur existence…
Quelle proposition de cinéma que ce film inclassable, aux confins des différents genres ! Dans Le Règne animal, Thomas Cailley fait coexister le drame familial, la comédie, l’action et la contemplation, sans jamais rendre ce mélange indigeste. Le film se construit avant tout autour de ses personnages, alternant les moments de pure horreur lors des scènes de transformation – avec quelques plans d’une grande violence graphique – de teen drama auprès du jeune Émile, et d’humour, souvent insufflé par le personnage de Julia (Adèle Exarchopoulos), gendarmette pleine d’aplomb et toujours en quête d’action.
Bien qu’il s’inspire du contexte d’urgence écologique actuel, le réalisateur ne choisit pas le prisme du récit post-apocalyptique pessimiste, et encore moins l’histoire de mutants traditionnelle : ici, les transformations sont lentes et les créatures ne perdent que progressivement leur humanité. Véritable parabole de la différence et du regard que portent sur elle les individus et la société, le film questionne l’animalité de l’homme, la monstruosité et la peur de l’autre, et s’interroge sur la possibilité de cohabiter, la tolérance et la solidarité.
Entre spectaculaire et intime
En confrontant les personnages à ces transformations impressionnantes, Thomas Cailley permet l’irruption du fantastique dans la vie de tous les jours. Cette friction entre réel et fiction est une source précieuse d’empathie, mais aussi de décalage et de comédie. La scène d’ouverture en est un parfait exemple puisqu’elle place François et Émile dans une situation très quotidienne, un embouteillage, et vient surprendre le spectateur avec l’apparition brutale d’une créature qui sème le chaos autour d’elle. Le commentaire blasé d’un automobiliste – « Quelle époque ! » – vient conclure en beauté cette introduction in medias res absolument percutante.
Le cœur de ce film inclassable réside avant tout dans une relation père-fils particulièrement touchante. François et Émile sont deux figures masculines attachantes, faillibles et qui cherchent à se réinventer. Au début du long-métrage, le père veut imposer au fils sa vision de la vie et du monde, mais ce dernier va progressivement s’émanciper et chercher sa voie, contraignant François à perdre ses certitudes et à faire face à la peur et à l’impuissance. Les deux acteurs livrent une prestation poignante et Paul Kirscher interprète avec subtilité le conflit intérieur du jeune homme, tiraillé entre l’envie d’aider sa mère et l’effroi et le dégoût que sa transformation lui inspire.
D’une manière générale, l’émotion est la clef de voûte du Règne Animal, qui place ses personnages au centre de la mise en scène. Si le duo masculin est brillant, il est également épaulé par quelques rôles secondaires très marquants, incarnés avec une grande justesse. On pense notamment au personnage de Nina (Billie Blain), adolescente sans filtre dont les réactions très spontanées apportent une véritable fraîcheur au film, ou encore à Fix (Tom Mercier), homme-oiseau perdant progressivement la parole et peinant à trouver sa nouvelle place dans le monde.
Une mise en scène vibrante
Pour Le Règne Animal, Thomas Cailley a choisi de tourner au cœur des éléments naturels. Le long-métrage est filmé sans studio ni fonds verts dans les Landes de Gascogne où le réalisateur et son frère David Cailley, chef opérateur, ont passé leur adolescence. Dans ces lieux magiques où la nature reprend ses droits, la lumière est vivante, oblique, et nécessite une grande précision. Le travail du son est également très impressionnant, et Cailley a fait appel à des « chanteurs oiseaux », des spécialistes qui ont développé des techniques pour interpréter et imiter les animaux. Le réalisateur propose un cinéma très immersif et utilise tantôt une shakycam, tantôt des plans de drone pour plonger le spectateur au cœur de ces paysages magnifiques et sauvages. La scène de course-poursuite haletante dans les champs de maïs en est un exemple particulièrement réussi et mémorable.
Le Règne Animal est un film hybride jusque dans ses choix techniques : il utilise aussi bien le maquillage pour la texture des « créatures », que les animatroniques pour le mouvement, les effets plateaux pour les interactions avec le décor ou encore les effets numériques. Ce mélange lui permet d’obtenir un maximum de crédibilité et de surprendre toujours le spectateur. Contrairement à ce que l’on aurait pu craindre, les transformations physiques sont réussies et le film est très généreux en matière d’effets visuels. Le bestiaire est varié et Thomas Cailley choisit de montrer et non de suggérer, ce qui prouve l’audace et l’ambition de son cinéma. La musique est, elle aussi, très mouvante et surprenante, souvent en décalage avec l’action, mais toujours marquante.
Cette mise en scène très particulière s’accompagne d’une excellente direction d’acteurs, le casting répondant parfaitement aux attentes d’un film aussi exigeant. L’investissement des comédiens est total, à la fois physique et psychologique. Paul Kirscher, qui est de quasiment tous les plans, propose une palette particulièrement impressionnante de jeu, alternant les scènes d’action, d’émotion ou d’aventure avec une grande fluidité. Son travail sur le langage corporel est également très impressionnant. Quant à Romain Duris, il apporte à son rôle une précision et une vivacité très appréciables, ainsi qu’une grande justesse émotionnelle.
Le Règne Animal est donc une proposition de cinéma riche, surprenante et ambitieuse. Servi par un casting investi et par une mise en scène inventive, immersive et variée, il ne laissera personne indifférent.