conférence-débat

[Point de vue] Le cinéma de John Woo : une alternative au cinéma d’action actuel

film bullet in the head john woo
Une balle dans la tête (1990)

De l’action avec un supplément d’âme

John Woo est assurément l’un des plus grands réalisateurs d’action des années 90. Né en 1946 à Canton, il passe ses premières années comme assistant de Chang Cheh, un grand nom du Wu xia pian. Puis, il réalise plusieurs comédies inégales, avant de se faire repérer par Tsui Hark, qui va produire son plus gros succès, A Better Tomorrow (Le syndicat du crime en français). Vont naître dans la suite de sa carrière plusieurs films considérés comme des chefs d’œuvre du cinéma d’action et auxquels nous nous intéresserons ici : The Killer, Bullet in the Head, A Better Tomorrow 2.

Son style se définit par une action violente et brutale, mais remplie de ralentis qui la rendent très esthétique. Il met également l’accent sur des héros majoritairement masculins qui doivent s’entraider pour parvenir à se venger de traîtres. L’émotion est au service de l’action et vice versa, l’action est au service de l’émotion.

John Woo avec A Better Tomorrow popularise le genre de l’Heroic Bloodshed, qui consiste à mettre en avant des valeurs comme l’honneur ou la rédemption et de styliser un maximum les scènes d’action.

Découlant de ce 1er succès, on pourrait se dire qu’il ne pourrait jamais faire aussi bien et pourtant, il réalisera The Killer en 1989. Ce projet marquera un véritable tournant dans sa carrière. C’est le film qui va être la somme de tout ce qu’il a entrepris auparavant. Il est une inspiration directe du Samouraï de Melville. Il va reprendre l’aspect film noir tout en y incorporant des éléments de pur film d’action.

Il enchaînera avec son film sur la guerre du Vietnam, Bullet In the Head, qui montrera une guerre à échelle humaine psychologiquement dévastatrice. Le but étant de montrer des relations amicales très fortes détruites par la guerre. L’utilisation de la violence est crue, cela nous prend aux tripes. C’est assurément son film le plus personnel et le plus humain.

Ce genre cinématographique va montrer des héros plus fragiles et plus faillibles que d’habitude et cela va les rendre terriblement humains. Ce côté dramatique est présent à travers tout le cinéma de John Woo. Il n’y a pas seulement l’action, c’est avant tout un cinéma de personnages pris dans des situations où la violence est la seule réponse. A aucun moment cette violence n’est glorifiée ou montrée comme quelque chose de positif. Ici les tirs blessent. Les héros saignent, pleurent et meurent. A contrario d’un cinéma américain qui va souvent iconiser le héros, sans pour autant montrer l’impact brutal de ce qu’il fait aussi frontalement que chez John Woo.

Les Américains veulent des icônes sous forme de porte-drapeau, alors que le cinéma hongkongais veut des personnages réels auxquels nous croyons. Revenir à une certaine humanité plutôt que de s’en détacher. Le réalisateur ira s’exporter au pays de l’oncle Sam, grâce ou à cause de Jean-Claude Van Damme, et il y réalisera successivement Hard Target, Broken Arrow et Volte Face. Personnellement, je n’ai pas retrouvé la magie de ses films précédents, notamment à cause de la réalisation moins inventive et de personnages plus “boy scouts”, sans vrai dilemme intérieur fort.

film le syndicat du crime de john woo
Le syndicat du crime (1986)

Des héros faillibles reflétant notre humanité

Le cinéma de Woo est avant tout centré sur des personnages qui vont être pris dans des situations où leur morale et leur vision du monde vont être mise à rude épreuve. Le film A Better Tomorrow, sorti en 1986, est un très bon exemple de cela. On nous raconte comment Mark et Ho, deux gangsters engagés dans un trafic de faux billets pour le compte de la pègre hongkongaise, vont être trahis par leur hiérarchie pendant une transaction. Ho finira en prison et Mark se retrouvera à laver des voitures pour le compte de leur ancien sous-fifre devenu son supérieur. Ils chercheront à se venger pendant que le fils de Ho, devenu policier, veut arrêter son père.

C’est avec ce pitch simple que John Woo nous introduit à ce nouveau genre : l’heroic bloodshed . C’est simple, oui, mais jamais simpliste. Les personnages sont le gros point fort de ces films : ils sont souvent très iconisés, même dès leur 1ère apparition. Nous avons envie de leur ressembler. Néanmoins, des scènes nous montrant leurs fêlures et leurs peurs les rendent terriblement attachants et humains.

On va principalement venir questionner notre rapport à la justice et au pardon à travers les protagonistes. Ils sont souvent en désaccord profond les uns avec les autres, ne partagent pas les mêmes visions de la justice ou sont aveuglés par leurs préjugés. Kit, le fils de Ho dans Le syndicat du crime, se refuse par exemple à voir les efforts que fait son père pour échapper à sa vie passée de gangster. Il ne voit que ce qu’il a décidé de voir en accord avec son rôle de policier.

Dans le cinéma d’action actuel, la tendance est plutôt de faire s’affronter un héros et un vilain, c’est très manichéen. Nous ne retrouvons pas chez eux les traits de personnalités qui nous donnent envie de nous attacher à eux. Ils sont juste les protagonistes de l’histoire, des fonctions qui permettent à l’action de se dérouler. Nous sommes intéressés par l’action en elle-même et non par le personnage en son centre. Si l’on demandait aujourd’hui à un spectateur à la sortie d’une projection de définir en 3 mots un personnage du film d’action qu’il venait de voir, aucun n’aurait une réponse vraiment réfléchie, car le film ne donne aucune matière pour le faire dans la plupart des cas.

La saga des Mission : Impossible (dont Woo réalise le second volet en 1998), bien que faisant partie du haut du panier des franchises d’action modernes, n’a pas de personnages vraiment marqués à même de provoquer une réelle émotion. Pourquoi s’embêter à écrire une histoire engageante avec des personnages bien écrits si le spectateur paie pour de l’action ? L’action ne devrait pas être traitée comme un genre créé uniquement pour du sensationnel au détriment de l’émotionnel. Surtout dans un genre qui peut utiliser les tréfonds de la violence humaine comme sujet de réflexion.

On ne questionne ainsi jamais un héros qui tue dans les films d’action modernes là où chez Woo, la frontière entre protagoniste et antagoniste est toujours très fine. C’est ce qui rend les personnages si attachants et engageants, le développement et la profondeur que leur apporte l’écriture.

La mise en scène, un carnage d’une grande maîtrise

Ce qui frappe en premier lieu dans la mise en scène de John Woo, c’est son utilisation des ralentis pour esthétiser l’action. On va donc permettre au spectateur de s’attarder plus longtemps sur l’impact de la violence à l’écran. On peut trouver cette utilisation du ralenti ridicule ou bien encore un peu too much. Surtout en regard du cinéma actuel où l’action est toujours très rapide, avec beaucoup de plans à la seconde pour essayer de créer du dynamisme. Ici, on a de vraies chorégraphies de combat, même pour les confrontations armées. Le ralenti vient sublimer la violence, mais également nous fait ressentir l’impact des coups tirés.

Certes, les mouvements des personnages tombant au ralenti peuvent sembler ridicules mais, parfois, la mort en elle-même est ridicule. On ne meurt pas toujours comme dans un film ou une pièce de théâtre. Un certain retour à la réalité s’impose à nous quand nous regardons des personnages mourir dans des films de John Woo. Du point de vue de la mise en scène grâce au ralenti, l’action sera mieux spatialisée, les échanges de tirs et les positions mieux déterminés. L’action va être appréciée de manière décuplée. On va toujours avoir du mouvement en continu à l’image, même quand la caméra est en plan fixe. Pas de sur découpage avec 15 plans montés de manière arbitraire. Mais, au contraire, parfois se concentrer sur une seule action sous plusieurs angles différents pour la représenter au mieux.

Gros plan sur une scène : The Killer


Cette scène au début du film The Killer démontre bien tout ça. On peut voir que l’action est très rapidement spatialisée, nous sommes dans une petite pièce. On comprend donc très vite « qui » se trouve « où ». Une même valeur de plan est d’ailleurs utilisée à plusieurs reprises pour marquer où se trouve la cible. La caméra peut donc se permettre sans mal de revenir sur lui à plusieurs moments pour montrer son immobilité. Là où le tueur est filmé constamment en mouvement et en contre plongée pour montrer sa maîtrise de la situation. Le son joue également un rôle prépondérant : on passe sans transition d’une musique mélancolique au bruit d’une balle, ce qui renforce l’idée de chaos au cœur de cet endroit paisible. Le sur découpage est notable, mais donne ici une sensation de frénésie plutôt que de perdition.

Le ralenti présent à plusieurs moments permet de ralentir le découpage et de nous donner l’impression que le personnage va tellement vite que nous en avons besoin pour capter ses tirs. Comment ne pas y voir une référence au fameux bullet time popularisé par la saga Matrix au début des années 2000 ?

L’arrière-plan est également utilisé comme élément qui donne de la vie à la pièce. En effet, les personnages bougent même en arrière-plan, ce qui donne une vraie impression d’environnement dangereux où chaque plan peut être celui d’où surgira une menace. Le cadre est habité par ses personnages à chaque instant. Que se soit par le son ou le mouvement constant qu’ils effectuent dans la pièce.

Contre-exemple du cinéma américain : Captain America et le soldat d’hiver


Nous pouvons prendre en contre-exemple une scène du film Captain America : le soldat de l’hiver sorti en 2014. L’action se déroule dans un ascenseur. La difficulté est de filmer l’action dans un lieu restreint sans perdre en lisibilité. Or, c’est précisément ce qui arrive dans cette scène. On assiste à un sur découpage de plans montés de manière aléatoire. Les enchaînements entre les plans sont trop rapides. La caméra ne pouvant être posée sur un pied bouge dans tous les sens. Les valeurs de plans sont trop resserrées, ce qui gâche l’enchaînement des coups.
Comme la violence est cachée, nous n’avons jamais l’impression qu’elle a un impact réel. Bien que le personnage soit censé avoir une force de super soldat. On a du mal à croire que le bruit des coups soit si mou étant donné la puissance physique du personnage. Bref, une absence de réflexion dans le découpage de l’action est présente. Le but étant clairement de donner un semblant de dynamisme à travers des artifices de mise en scène plutôt que de se consacrer à en faire.

Quand un film comporte beaucoup d’action, on a tendance à privilégier certaines scènes plus que d’autres. C’est flagrant dans les productions Marvel, qui peuvent passer d’une scène bien chorégraphiée à une scène qui ne l’est pas. Le problème, c’est que la mise en scène de ce genre de blockbuster est une norme aujourd’hui chez les studios. On va plutôt vendre le film sur une cascade impressionnante que sur des scènes d’action (en tout cas pour Tom Cruise). C’est un problème de réfléchir l’action comme produit marketing. Chaque scène de combat devrait raconter une histoire à travers l’action et non au travers d’elle.

Dans Hard Target, première réalisation de John Woo aux États-Unis, on sent que le film ne vient pas entièrement de lui. Les scènes d’action ne racontent rien de particulier, se contentant d’un enchaînement de ralentis. Cela enlève la rapidité de mouvement propre à son cinéma. On perd beaucoup de la lisibilité de l’action en « sur signifiant » chaque coup de poing par un effet de mise en scène aussi appuyé. On a l’impression d’une véritable parodie de son cinéma, rien n’est raconté à travers ces scènes. C’est l’utilisation du style pour le style. Aucune réflexion de mise en scène n’est véritablement apportée. Cela marque une grande déception pour moi qui avait pourtant adoré la période hongkongaise de Woo.

Une action portant la marque de son auteur


Sans critiquer les films actuels, le constat est sans doute que nous avons perdu quelque chose. Ce quelque chose, c’est l’amour de l’action bien faite. Une action qui nous touche et dans laquelle nous sommes investis. Il n’y a pas forcément besoin d’avoir des enjeux planétaires pour nous émouvoir ou nous faire pleurer. Il faut juste savoir parler à l’humain, au spectateur qui a payé sa place pour voir le film. Je ne suis pas un gangster dans une triade et j’ai pourtant été particulièrement touché par le personnage de Mark dans A Better Tomorrow. Par l’humanité du personnage, les valeurs qu’il incarne et le message qu’il véhicule à travers son arc narratif. Woo nous dit que, parfois, il n’y a pas de meilleur lendemain, mais que ce n’est pas pour autant qu’il faut se résigner et tomber dans le nihilisme.

Ça fait longtemps qu’aucun héros d’action actuel ne m’avait touché comme cela. Je me suis donc posé la question du pourquoi.

La réponse est sûrement dans le fait que les personnages des films d’actions et la manière de les filmer sont de moins en moins guidés par des décisions artistiques. Sans artiste on ne crée rien de valable. On ne peut pas avoir de propos dans une œuvre si elle n’est pas pensée en amont par des gens voulant nous émouvoir avec leur récit. A une époque où la grève des scénaristes dure depuis plus de 4 mois contre l’utilisation de l’intelligence artificielle dans l’écriture des scénarios, nous ne pouvons qu’espérer vivement que les studios prendront conscience que leur décision signe la mort d’une émotion authentique au cinéma. Car, sans cette émotion, je ne serais jamais devenu cinéphile.

Article écrit par

Etudiant de 21 ans, j'ai commencé à apprécier le cinéma quand j'ai participé au dispositif "Ecole et cinéma" en primaire, qui m'a permis de voir des films comme Le magicien d'Oz et Les temps modernes. J'ai ensuite continué mon parcours en choisissant un lycée avec option cinéma, puis des études supérieures à l'ESRA Nice. Je termine actuellement ma troisième année en stage chez Culturellement Votre.

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