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[Critique] La Passion de Dodin Bouffant : un régal !

Caractéristiques

  • Titre : La Passion de Dodin Bouffant
  • Réalisateur(s) : Tran Anh Hung
  • Scénariste(s) : Tran Anh Hung
  • Avec : Juliette Binoche, Benoît Magimel, Emmanuel Salinger, Galatea Bellugi...
  • Distributeur : Gaumont Distribution
  • Genre : Drame, Historique, Romance
  • Pays : France
  • Durée : 124 minutes
  • Date de sortie : 8 novembre 2023
  • Acheter ou réserver des places : Cliquez ici
  • Note du critique : 8/10

Une ode à la gastronomie française

Sept ans après Eternité, Tran Anh Hung, réalisateur de L’Odeur de la papaye verte qui avait obtenu la Caméra d’or et le Prix de la jeunesse au Festival de Cannes 1993, revient avec La Passion de Dodin Bouffant, candidat de la France aux Oscars et Prix de la mise en scène au Festival de Cannes 2023. Pour ce septième long-métrage, le réalisateur franco-vietnamien prend pour point de départ le roman La Vie et la Passion de Dodin-Bouffant gourmet, publié en 1924 par Marcel Rouff. On y rencontre Eugénie (Juliette Binoche), cuisinière hors pair au service du célèbre gastronome Dodin (Benoît Magimel). Au fil du temps et grâce à leur complicité, naissent toute une série de mets raffinés et une relation amoureuse qui se développe avec douceur et mesure, malgré le refus de l’indépendante Eugénie de s’unir à Dodin.

Dans La Passion de Dodin Bouffant, la cuisine est au centre de tout. Pièce centrale du château des protagonistes, tout d’abord, où ces derniers passent la majeure partie de leur temps, quand ils ne se trouvent pas dans la salle à manger, accompagnés de leur groupe d’amis (Emmanuel Salinger, Patrick d’Assunçao), à déguster le fruit de leur travail méticuleux. La nourriture est omniprésente, brillamment mise en scène, et la première demi-heure du film est intégralement consacrée à la préparation d’un repas, suivant avec fébrilité les personnages du potager aux fourneaux, de la confection au dressage des assiettes dans un tourbillon sans fin de viandes, de légumes et d’ustensiles en tout genre. Carré de veau, vol-au-vent, raie, omelette norvégienne, fumées et textures, tout est révélé avec un réalisme et une matérialité incroyablement immersifs. Un film à ne voir sous aucun prétexte à l’heure du déjeuner !

Tran Anh Hung s’emploie à comparer art et cuisine et démontre qu’il est possible de rendre raffiné le trivial, à l’image de ce simple pot-au-feu qu’il souhaite servir au grand Prince d’Eurasie. Par sa mise en scène somptueuse, il sublime la nourriture et montre la grâce et la sensualité de sa préparation. Servir une assiette devient une véritable déclaration d’amour et l’apprentissage d’une recette un acte symbolique de transmission.

Un film délicat et sophistiqué

image benoit magimel la passion de dodin bouffant
Copyright Carole Bethuel – 2023 CURIOSA FILMS – GAUMONT – FRANCE 2 CINÉMA

Il y a beaucoup de poésie dans la manière de Tran Anh Hung de filmer la cuisine. L’on ressent dans le choix des cadres et des lumières une forte influence de la peinture classique et son travail est précis et rigoureux. La photographie de Jonathan Ricquebourg est splendide et chaque plan est minutieusement composé.

Cet exercice de style est magnifié par la présence charismatique du duo d’acteurs principaux, Juliette Binoche (Paradise Highway) et Benoît Magimel (Pacifiction – Tourment sur le iles), qui travaillent dur et mettent au sens propre la main à la pâte au cours de cette épopée gastronomique de haute volée. La caméra se concentre sur la précision et la délicatesse de leurs gestes, les émotions se transmettant par de simples regards durant les scène de cuisine où les dialogues sont quasiment absents. L’alchimie de ce tandem iconique du cinéma français est palpable et permet au réalisateur de traiter un thème assez rare au cinéma : la conjugalité tendre et paisible d’un couple à l’automne de son existence.

Si La Passion de Dodin Bouffant est un long-métrage qui fascine par la radicalité de ses choix esthétiques, il pourra cependant laisser plus d’un spectateur de côté. Ses dialogues très écrits et un peu désuets, son emphase et sa théâtralité en font un objet cinématographique décalé et difficile d’accès. Sa longueur également – de deux heures et quatorze minutes – peut rebuter mais suggère surtout que, comme la cuisine, l’œuvre de Tran Anh Hung est une entreprise de longue haleine, qu’il faut laisser reposer et déguster à petites bouchées. Le rythme est lent, exaltant le cycle des saisons et un rapport apaisé à la vie.

Entre réalisme et fantasme

Copyright Carole Bethuel – 2023 CURIOSA FILMS – GAUMONT – FRANCE 2 CINÉMA

Grâce à l’impressionnant travail du son de François Waledisch, Paul Heymans et Thomas Gauder, les bruits de la cuisine, de dégustation des plats, le chant des oiseaux filtrant à travers la porte de cette cuisine toujours ouverte, ou encore le crépitement du feu et des viandes rissolantes parviennent à nos oreilles avec un réalisme bluffant. Aucune musique ne vient troubler la paisibilité du long-métrage, si ce n’est un extrait de Thaïs, l’opéra de Jules Massenet lors de l’un des nombreux plans-séquences du film. A cette bande originale de la vraie vie, viennent s’ajouter la beauté et la richesse des intérieurs de Dodin, tournés dans un château d’Anjou et sublimés par le travail du chef décorateur Toma Baquéni. Les grands couloirs et escaliers offrent aux personnages de longues déambulations, de la cuisine à la salle à manger, de la chambre de Dodin à celle de l’insaisissable Eugénie.

Par soucis de réalisme, les séquences gastronomiques ne laissent jamais rien au hasard. Bénéficiant du travail de consultant du chef triplement étoilé Pierre Gagnaire et filmés à la manière d’un ballet méthodiquement chorégraphié, les préparatifs culinaires sont très complexes, avec des déplacements synchronisés de la part des acteurs et une mise en scène très élaborée qui aboutit à un résultat final des plus fluides et harmonieux.

Si ce travail du son et de l’image offre au spectateur une immersion totale dans le cadre et les mœurs de l’époque – la fin du XIXème siècle – il s’agit cependant d’un réalisme fantasmé. Certes, différentes classes sociales sont représentées, les personnages nobles travaillant de concert avec leurs domestiques (Galatea Bellugi), et l’on peut admirer les lourds fourneaux et ustensiles du passé. Pourtant, aucune référence à un contexte politique ou historique ne procure de réel point d’accroche à une période donnée. Tout est fantasmé, à l’image de cette auréole magique de lumière au dessus des plats fumants. Quant à la relation romantique entre Eugénie et Dodin, vision idyllique d’un désir éternel, elle oscille constamment entre grande pudeur et érotisme suggéré.

La Passion de Dodin Bouffant est donc un exercice de style périlleux mais savoureux. Véritable ode à la gastronomie française et à une conception apaisée de la vie, il est servi par un casting brillant et une mise en scène somptueuse. Une pépite atypique et rare dont cette critique, on l’espère, vous aura mis l’eau à la bouche !

Article écrit par

Lorsqu’elle n’enseigne pas l’italien, Lucie Lesourd aime discuter de sa passion pour le cinéma, le théâtre et les comédies musicales. Spécialisée en littérature young adult et grande amatrice de polars et thrillers, elle rejoint Culturellement Vôtre en février 2020 pour y partager ses avis lecture et sorties culturelles.

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