Caractéristiques
- Titre : Simple comme Sylvain
- Réalisateur(s) : Monia Chokri
- Scénariste(s) : Monia Chokri
- Avec : Monia Chokri, Magalie Lépine-Blondeau, Pierre-Yves Cardinal et Francis-William Rhéaume.
- Distributeur : Memento Distribution
- Genre : Comédie, Romance
- Pays : Canada, France
- Durée : 110 minutes
- Date de sortie : 8 novembre 2023
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- Note du critique : 9/10 par 1 critique
Un film cérébral et sensuel
Après La Femme de mon frère, lauréat du Prix Coup de cœur du jury dans la section Un Certain Regard du Festival de Cannes 2019, et Babysitter, présenté au Festival de Sundance en 2023, Monia Chokri revient avec un nouveau long-métrage intitulé Simple comme Sylvain, lui aussi nommé en Sélection officielle du Festival de Cannes 2023, toujours pour Un Certain Regard. Dans ce troisième film, on rencontre Sophia, professeure de philosophie à Montréal, qui vit une vie stable mais routinière avec Xavier, son mari depuis dix ans. Lorsqu’elle rencontre Sylvain, le charpentier en charge des travaux de leur maison de campagne, c’est le coup de foudre immédiat. Pourtant, tout semble les opposer, de leurs milieux sociaux à leurs centres d’intérêts respectifs…
Malgré ce synopsis assez banal de comédie romantique, Monia Chokri signe un film sensible et intelligent, et reprend l’un de ses sujets de prédilection : l’impossibilité, l’empêchement de l’amour. Loin de romancer la rencontre amoureuse, elle choisit de montrer comment l’environnement social peut être fondateur dans ce que va devenir un couple, et à quel point les amis, la famille et le voisinage peuvent peser sur une relation. Avec ses deux protagonistes que tout oppose, la réalisatrice interroge la possibilité de concilier deux mondes, de dépasser les préjugés, et de ne pas laisser le regard des autres pervertir une idylle. Subtilement, Monia Chokri utilise les cours dispensés par Sophia à l’université pour rappeler les grands courants de pensées philosophiques autour de l’amour, et tisse un parallèle entre l’évolution de ces réflexions théoriques et la progression intime de sa protagoniste tout au long du film.
Bien qu’assez cérébrale, cette approche du sentiment amoureux est contrebalancée par une mise en scène extrêmement sensuelle. Monia Chokri propose quelques séquences crues et suggestives, s’amusant à inverser les codes de la comédie sentimentale en présentant un female gaze décomplexé et torride. Elle ne filme pas ou peu le corps nu de son actrice principale, mais présente des plans serrés sur celui de Sylvain, et dresse le portrait d’une femme qui assume sa sexualité et ses envies.
L’émotion avant tout
Dans Simple comme Sylvain, la comédie et le drame se rencontrent avec beaucoup de fluidité et de naturel. Les personnages sont exubérants et parlent fort dans les nombreuses scènes de repas, criantes de réalisme, où les dialogues sont souvent hilarants. Monia Chokri propose un film du quotidien, au fin fond de la campagne canadienne, avec une caméra au plus près des acteurs et de leurs émotions. Si l’on retrouve son goût pour l’humour mordant et absurde, elle propose également quelques scènes très touchantes et des personnages charismatiques et émouvants.
A travers sa protagoniste, le film offre une réflexion et un regard féminins sur le monde. Sophia vit assez mal ce qu’elle ressent comme une injonction à la maternité et sa rencontre avec Sylvain lui permet de ressentir un dernier éclat de jeunesse, à l’image du couple d’adolescents que Sophia épie au volant de sa voiture, et que la caméra capte avec une pointe de nostalgie. C’est avec beaucoup de courage qu’elle cherche à sortir des codes dans lesquels elle a été moulée et explore un inconnu qui ne la mènera peut-être à rien, mais qui vaut la peine d’être vécu.
Avec ce troisième long-métrage, Monia Chokri semble mettre un peu de côté le cynisme qui pimentait ses précédents films. Elle choisit la douceur et non le jugement critique, et défend une vision de l’amour simple, sans toxicité. Certes, l’histoire de Sophia offre un constat doux amer sur le couple, mais la réalisatrice le filme sans aigreur, avec beaucoup de tendresse et de mélancolie.
Une mise en scène élégante et signifiante
Épaulée pour la première fois par André Turpin, chef opérateur attitré des films de son acolyte Xavier Dolan, Monia Chokri propose une mise en scène inventive et très personnelle. Les gros plans se succèdent, mettant en valeur l’expressivité des acteurs, et les cadrages, parfois étonnants, sont toujours signifiants. A travers les portes, les vitres d’une voiture, ou dans le reflet d’un aquarium, la réalisatrice joue avec ses personnages, les isolant ou les rapprochant, et mettant tantôt à distance le spectateur, tantôt lui offrant la plus intime proximité avec eux. Le découpage est très créatif et la musique intra diégétique omniprésente, associée aux plans de drone filmant les magnifiques paysages du Canada au fil des saisons, achève de plonger le spectateur au cœur du long-métrage.
Simple comme Sylvain bénéficie en outre d’un casting remarquable, excellemment dirigé, et d’une écriture très fine. Monia Chokri tombe toujours juste dans le portrait de ses personnages, tout comme dans son jeu à l’écran, et tous les acteurs – Magalie Lépine-Blondeau en tête, éblouissante – sont investis, crédibles et géniaux. Pierre-Yves Cardinal incarne un Sylvain fougueux et tendre tandis que Francis-William Rhéaume interprète avec beaucoup de nuances un mari touchant et blessé.
Avec ses nombreux zooms, l’utilisation de grandes focales et son grain, le long-métrage rend hommage aux films romantiques américains des années 70-80, mais Monia Chokri dit également avec humour avoir choisi une réalisation proche du documentaire animalier, pour immerger son spectateur au cœur d’un véritable safari amoureux.
Simple comme Sylvain est donc un très joli film, superbement interprété et magistralement mis en scène. Mêlant humour et émotion, tendresse et absurde, le style de Monia Chokri s’impose une nouvelle fois et nous invite à « tomber en amour » de ses personnages attachants, nuancés et terriblement humains.