Caractéristiques
- Titre : La Zone d'Intérêt
- Titre original : The Zone Of Interest
- Réalisateur(s) : Jonathan Glazer
- Scénariste(s) : Jonathan Glazer
- Avec : Christian Friedel, Sandra Hüller, Johann Karthaus, Luis Noah Witte...
- Distributeur : Bac Films
- Genre : Drame, Historique, Guerre
- Pays : Etats-Unis, Grande-Bretagne, Pologne
- Durée : 105 minutes
- Date de sortie : 31 janvier 2024
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- Note du critique : 9/10 par 1 critique
La « zone d’intérêt » fut le nom donné par les nazis au camp d’Auschwitz. Rudolf Höss en fut le directeur pendant quatre ans. Durant cette période, il vécut avec sa femme et ses cinq enfants dans une maison à quelques mètres du camp, alors que derrière sa maison se déroulait l’une des pires monstruosités perpétrées de l’histoire de l’humanité.
Le film, La Zone d’Intérêt, nous raconte l’histoire de sa vie et celle de sa famille alors qu’il doit être transféré à l’office central SS pour l’économie et l’administration.
Un film parlant de l’Holocauste sous un nouvel angle
C’est un film peu conventionnel et qui traite d’un sujet plusieurs fois abordé au cinéma, mais jamais comme cela. Ici, le réalisateur britannique Jonathan Glazer (Birth, Under the Skin) nous plonge au coeur d’une famille nazie. Ce point de vue unique ne sera jamais abandonné durant les 105 minutes du film. Nous sommes coincés avec eux, prisonniers de leur vie faussement mondaine. On ressent donc une certaine apathie envers ces personnages, tout en scrutant leur moindre faits et gestes.
Ils sont complètement indifférents aux horreurs qui se passent en face de chez eux. Nous pouvons, comme eux, clairement entendre les bruits des camps hors champ, mais nous ne voyons rien. Nous observons la banalité de leur vie dans l’une des époques les plus sombres de l’humanité. Le choc ne provient donc jamais de ce que nous voyons à l’écran, mais passe entièrement par nos oreilles. Nous sommes privés de la vue. Les sons prennent alors le dessus. Notre connaissance des événements remplit notre esprit d’images horribles au simple son d’un chien qui aboie ou d’un bébé qui crie. L’opposition de cette maison idyllique avec la violence des bruits ambiants crée un malaise.
Les conversations entre les personnages trouvent leur importance quand elles sont mises en relation avec ce qui n’est pas montré. Par exemple, quand Hedwige Höss discute de la manière dont elle a acquis de nouveau vêtements, on suppose alors qu’ils ont été pris à des jeunes femmes juives. Elle le raconte comme une anecdote. C’est choquant pour le spectateur de voir ce genre d’acte répugnant banalisé. C’est peut-être plus choquant d’ailleurs de l’entendre dans un contexte comme celui-ci. Dans leur maison juste à coté du camp.
Cela pose plusieurs questions au spectateur :
– Pourquoi ces gens sont si déconnectés de la réalité alors qu’ils sont humains ?
– Pourquoi continuent-t-ils, malgré tout, à parler de leur vie de famille, si semblable à n’importe laquelle d’entre nous ?
La banalité de la haine, comme en écho à notre société moderne
Jonathan Glazer nous offre plusieurs réponses durant le film. Le réalisateur amplifie, par les dialogues et par l’inaction des personnages, une démonstration des pires actions perpétrées par le fascisme. Notamment l’indifférence à la souffrance humaine. Il parle également de l’endoctrinement de la jeunesse ou du rapport qu’ont les nazis à leur classe sociale ou à la propriété privée. Mais cela va plus loin. Il affiche également une certaine critique de l’être humain contemporain. C’est un film qui parle de nos inactions à tous, de la manière dont chacun de nous compartimentalise les choses terribles auxquelles nous assistons au quotidien, comme la pauvreté ou la guerre. Bien sûr, le réalisateur ne compare pas les spectateurs à des nazis. Mais il pose la question, notamment avec sa scène de fin, du souvenir.
Nous devons nous souvenir avant qu’il soit trop tard. Nous devons collectivement ne jamais retomber dans l’apathie, dans l’indifférence, comme eux. Le fait qu’ils soient des humains banals comme vous et moi, donne au film sa force narrative et le rend bien plus glaçant qu’un scénario conventionnel. Il démystifie ainsi des personnes que nous avons tendance à mettre en marge de l’humanité comme pour nous détacher d’eux. Ce que ces personnages nous montrent, c’est un miroir déformant de nos pires instincts. C’est ce qui fait le plus froid dans le dos à la fin du film.
Non seulement cela a existé, mais en plus nous ne sommes pas à l’abri de retourner un jour dans un schéma similaire. Il nous suffit juste de ne pas regarder, de détourner le regard.
Une mise en scène renforçant la nature répétitive du mal
La mise en scène nous prive d’empathie en filmant la famille le plus souvent en plan fixe et de loin. La banalité de la vie quotidienne, comme lire une histoire à des enfants ou entretenir le jardin, est renforcée par les choix de mise en scène, la caméra filmant toujours les actions de manière froide et lointaine. Cela contribue à l’ambiance malsaine du film. Nous voyons constamment ces gens avec une certaine forme d’éloignement. Or, en effectuant des actions quotidiennes, ils sont aussi étrangement familiers. C’est cette dichotomie mêlée au travail du son qui crée un climat si nauséabond, entre la banalité de leur vie et le climat d’horreur amplifié par le son ambiant.
La Zone d’Intérêt est un film dur à regarder, expérimental par moments. Il brille par son refus de se soumettre à une forme scénaristique classique pour nous montrer un nouveau point de vue de l’histoire. Cela participe à l’originalité du film, ainsi qu’à son message résonnant encore aujourd’hui dans notre société contemporaine. Cette réalisation résonne étrangement avec l’actualité, bien que tourné avant que la recrudescence des conflits au Proche-Orient et le regain d’antisémitisme que ces événements ont entraîné. Elle trouble le spectateur concernant les horreurs nazies, mais ne manque pas aussi de suggérer que lui-même pourrait à son tour s’accommoder du pire.