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[Critique] Borgo : Hafsia Herzi entre chien et loup

Caractéristiques

  • Titre : Borgo
  • Réalisateur(s) : Stéphane Demoustier
  • Scénariste(s) : Stéphane Demoustier
  • Avec : Hafsia Herzi, Moussa Mansaly, Louis Memmi, Michel Fau, Pablo Pauly, Florence Loiret-Caille, Cédric Appietto, Henri-Noël Tabary...
  • Distributeur : Le Pacte
  • Genre : Drame, Thriller
  • Pays : France
  • Durée : 1h58
  • Date de sortie : 17 avril 2024
  • Acheter ou réserver des places : Cliquez ici
  • Note du critique : 8/10

Après le drame judiciaire La fille au bracelet sorti en 2020, Stéphane Demoustier est de retour avec Borgo, un polar dans l’univers carcéral de l’Unité 2 de la prison corse du même nom, qui a la particularité de fonctionner sur le modèle du régime ouvert. Les détenus peuvent circuler plus ou moins librement au sein de l’unité et y réalisent de nombreuses activités. « Ici, on dit que c’est les détenus qui surveillent les gardiens et non l’inverse », annonce ainsi en préambule le personnage de la directrice de l’établissement, interprété par Florence Loiret-Caille, à la nouvelle surveillante pénitentiaire, Melissa (Hafsia Herzi), fraîchement débarquée de région parisienne avec son compagnon et leur fille.

Glissement de terrain…

Le réalisateur français dit s’être librement inspiré d’un fait divers sur une jeune matonne qui s’est retrouvée impliquée dans un règlement de comptes entre bandes rivales. Son film tient cependant de la pure fiction. Nous suivons donc le parcours de Melissa, la petite trentaine, qui semble au départ être une surveillante exemplaire, aussi sérieuse qu’empathique avec les détenus. En parallèle, nous voyons son arrivée difficile dans une banlieue résidentielle dans laquelle sa famille n’est pas franchement bien accueillie. Ses relations de couple sont tendues, les finances du foyer pas vraiment au beau fixe et elle semble parfois se montrer plus agréable avec les détenus qu’avec son conjoint.

Un premier point de bascule s’opère lorsqu’un détenu avec lequel elle a sympathisé intervient directement sur ses problèmes de voisinage en contactant des personnes à l’extérieur. Bien que gênée, elle n’en parlera pas à sa direction… Le film tout entier suivra alors le cheminement de cette jeune femme au départ intègre qui verra son code moral se fissurer, jusqu’à prendre une décision lourde de conséquences. C’est ce basculement moral du personnage qui intéresse le réalisateur et qui retient véritablement notre attention, au-delà d’une dépiction réaliste et assez passionnante d’un modèle carcéral particulier.

louis memmi et hafsia herzi dans borgo de stéphane demoustier

Une frontière de plus en plus floue entre surveillants et détenus

Tout le premier acte se concentre sur les relations du personnage interprété par Hafsia Herzi avec les détenus et la présentation de l’Unité 2 et son fonctionnement. Cette trame permet d’amener l’évolution du personnage et de mettre en perspective son évolution sur le plan éthique (d’un point de vue professionnel), puis moral tout court. Parce-que la frontière entre le dedans et le dehors est plus « floue » au sein de l’unité, la réalisation joue beaucoup sur tout ce qui peut constituer une frontière ou une séparation (vitres, fenêtres, barreaux des portes…), suggérant que l’étanchéité entre Melissa et les détenus est illusoire dès le début. Non pas parce que le modèle de l’unité serait en cause, mais parce que la jeune femme, malgré son éthique, a dès le départ, malgré son caractère bien trempé, du mal à établir des limites strictes avec les détenus.

Le lien émotionnel qu’elle crée assez rapidement avec certains détenus est la première chose qui la fera flancher. Elle souhaite seulement et probablement très sincèrement rendre service au départ, en pensant bien faire. Mais, une fois le tout petit premier pas franchi et la première omission auprès de sa direction, la limite entre légalité et illégalité, le bien et le mal, devient progressivement de plus en plus floue pour Melissa, qui aura, à partir d’un certain cap, de moins en moins de mal à mentir et à aller de plus en plus loin pour ne pas se faire prendre. Elle a beau se défendre en répétant « J’ai simplement un rapport de surveillante à détenue, rien de plus », essayant de se convaincre (puis de convaincre tout court), on sent de plus en plus que les choses sont de moins en moins claires pour elle car elle n’a pas su établir de limites strictes dès le départ.

Et c’est ainsi que ces deux sphères, celui des surveillants et celui des détenus, mais aussi celui du dedans et du dehors, vont assez rapidement déborder l’une sur l’autre. Au-delà de l’intervention dans le cadre de ses problèmes de voisinage, la jeune femme va également rencontrer des détenus à l’extérieur, dans le but initial de protéger un jeune homme qui vient d’être libéré et est menacé par la mafia. La réalisation symbolise également le passage de la matonne de « l’autre côté » en la filmant de l’autre côté d’une porte avec des barreaux, dans un encadrement, comme si elle était déjà elle-même « prisonnière » et du côté des criminels.

hafsia herzi en surveillante de prison dans le film borgo

Un drame carcéral convaincant et tendu d’un bout à l’autre

L’évolution d’un bout à l’autre est assez remarquable et Hafsia Herzi livre une performance plus que convaincante. Elle dose bien le côté brut de décoffrage du personnage, qui a du caractère et de la répartie, mais peut aussi se montrer antipathique avec son compagnon, et son côté plus doux, clairement empathique. Cet équilibre délicat à tenir nous permet de la suivre tout au long de l’intrigue et de la comprendre, quand bien même nous sommes en désaccord avec elle. Le jeu de l’actrice, au même titre que le scénario et la mise en scène, nous permettent de comprendre comment elle bascule de manière très progressive, sans l’avoir cherché au départ.

Borgo évolue par ailleurs dès le départ sur deux temporalités différentes, bien que cela ne soit pas indiqué (le spectateur le comprendra de lui-même au bout d’un moment) : l’enquête menée par deux policiers sur le meurtre de deux anciens détenus dans un aéroport où Melissa était également présente, et le parcours de Melissa à partir du moment où elle prend ses fonctions au sein de l’établissement, jusqu’au moment où les deux timeline se rejoignent – ce qui correspond à un schéma classique pour ce genre de films. Dans le cas de Borgo, cela fonctionne plutôt bien. Néanmoins, le film tient davantage de l’étude psychologique brillante mâtinée de policier dans l’esprit d’Un prophète (toutes proportions gardées), que du polar pur jus.

Au final, Borgo est une excellente surprise dans le domaine des polars en milieu pénitentiaire, tant d’un point de vue narratif qu’esthétique. Porté par un casting convaincant au sein duquel chaque personnage apparaît crédible, le long-métrage de Stéphane Demoustier s’avère assez passionnant, à la fois par sa représentation de l’univers carcéral et par son approche psychologique mais jamais psychologisante, nous permettant de nous glisser dans la peau d’une femme complexe en perte de repères tout en maintenant une tension d’un bout à l’autre au sein de la narration.

Article écrit par

Cécile Desbrun est une auteure spécialisée dans la culture et plus particulièrement le cinéma, la musique, la littérature et les figures féminines au sein des œuvres de fiction. Elle crée Culturellement Vôtre en 2009 et participe à plusieurs publications en ligne au fil des ans. Elle achève actuellement l'écriture d'un livre sur la femme fatale dans l'œuvre de David Lynch. Elle est également la créatrice du site Tori's Maze, dédié à l'artiste américaine Tori Amos, sur laquelle elle mène un travail de recherche approfondi.

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