[Analyse] Mad Max : De Max à Mad

voiture et horizon dans mad max de george miller

La première pierre du mythe

À sa sortie en 1979, Mad Max premier du nom crée la surprise en raflant près de 100 millions de dollars au box office mondial (une coquette somme pour l’époque) et cela pour un budget de seulement 400 000 dollars (limite fauché, même selon les standards de l’époque), faisant de lui le métrage le plus rentable de l’histoire par rapport à son investissement, du moins jusqu’à l’arrivée d’un certain Projet Blair Witch, pile 20 ans plus tard.

Avec le recul, on peut comprendre l’impact que le métrage de George Miller a eu sur le public de l’époque, ainsi que le statut de film culte acquis par la suite. Néanmoins, beaucoup des jeunes d’aujourd’hui le considèrent désormais comme daté, vieilli, voire carrément ennuyeux. Déjà parce que, contrairement à ce que l’affiche promet, Mad Max 1 ne comporte que très peu de véritables scènes d’action, sa violence étant principalement psychologique et reléguée hors champ. De plus, dans l’inconscient collectif, c’est l’univers post-apocalyptique de Mad Max 2: le défi (Mad Max 2: The Road Warrior en V.O.) qui a été retenu, puis poursuivi dans Mad Max 3: Au delà du dôme du tonnerre et, bien sûr, Mad Max Fury Road et sa déclinaison Furiosa : une saga Mad Max. Chacun de ces opus étant parvenu à provoquer de vifs débats à leurs sorties.

Cette critique personnelle des différents métrages va chercher à analyser l’ensemble de la saga et établir la place de chacun des métrages au sein de l’œuvre d’ensemble. Bien sûr qui dit opinion personnelle sous entend un peu opinion biaisée par le ressenti de l’auteur, qui va essayer de justifier son argumentaire point par point.

motards dans mad max de george miller 1979

Entre influences et identité

Tout d’abord, il faut contextualiser l’émergence du film Mad Max. Bien qu’il s’agisse du premier métrage cité lorsqu’on parle du cinéma australien, cela faisait déjà quelques années que le film de genre avait émergé de manière très significative dans cette lointaine contrée, et beaucoup de ces films ont servi de base au film de George Miller.

On pourrait citer entre autres Réveil dans la terreur réalisé en 1971, qui décrivait à l’époque l’arrivée d’un étranger dans le Bush australien qui, à force de contacts avec les autochtones et de leur influence à son égard, va lentement mais sûrement basculer dans une bestialité désabusée dont il ignorait lui-même l’existence – un peu comme, en ce qui concerne le personnage de Max, l’environnement finissait par créer un monstre. Certaines séquences, également, du film Stone (réalisé en 1974, avec déjà au casting l’acteur incarnant « Toecutter », Hugh Keays-Byrne) faisaient déjà écho au futur film culte avec son cortège de motards évoquant le gang ennemi de Max. Encore plus révélateur, un film sorti également en 1974 et intitulé Les voitures qui ont mangé Paris de Peter Weir avec, là aussi, de la tôle froissée et des voitures criminelles ponctuant le récit.

Sur un autre continent, aux USA plus précisément, impossible de ne pas noter l’influence considérable du film Orange Mécanique de Stanley Kubrick (1971), qui décrit lui aussi un futur dystopique volontairement imagé afin de conserver une liberté narrative totale. Le groupe de délinquants accro à tous les vices mené par Alex DeLarge (Malcolm McDowell) fait écho à celui mené par « Toecutter » à travers leurs envies de s’amuser par une violence dont les limites sont sans cesse repoussées. Ces personnages y sont représentés dans les deux cas comme dépravés, dégénérés, mais donnant aussi l’impression que leurs actions ne sont motivées que par leur désir d’amusement et la préservation de ce désir (et donc de leur survie).

Bien sûr, toutes ces influences n’enlèvent rien au fait que Mad Max a su trouver sa propre voie indépendante et s’élever au fil des années comme un monument du film pré-apocalyptique, une manière un peu barbare de le définir, mais c’est parce que beaucoup font l’erreur de le qualifier de film post-apocalyptique (ce que deviendra le volet suivant), alors que le métrage décrit plutôt une société au bord du gouffre avec une police qui finit par ressembler de plus en plus à ces criminels qu’elle traque, ainsi qu’une hiérarchie paralysée par une bureaucratie ankylosée (en tout cas pire encore que maintenant, ou presque). Bref, tout semble prêt à s’effondrer, mais le point de non-retour n’a pas été encore franchi. Citons également l’influence la plus évidente concernant le personnage principal, qui est bien sûr le Frankenstein de Mary Shelley ou le Prométhée moderne dont Mel Gibson (alias Max) observe le masque appartenant à son fils lors d’une courte scène qui illustre néanmoins son basculement psychologique. Une façon de confirmer que, si la société est le docteur Frankenstein, Max deviendra la créature issue de sa folie.

mel gibson mad max dans voiture de police film de 1979

Démarrant d’emblée par une poursuite entre des policiers dépassés et un fou du volant nommé le Nightrider, le personnage de Max se fait attendre en s’habillant lentement comme une sorte de robot ou Terminator près à aller au combat au volant de sa voiture Interceptor presque aussi célèbre que lui. Un autre parallèle peut être fait grâce à cette scène, qui emprunte également aux codes du western car, six ans auparavant, toujours aux États-Unis, venait de sortir en salles l’adaptation du roman de Michael Crichton Mondwest avec ses automates robots et, en particulier le cow-boy tueur incarné par Yul Brynner. Max lui aussi est représenté de prime abord tout en noir et incarne une menace, même si c’est à l’égard d’un crimine et, là aussi, on ressent la fusion du métal et de l’homme, qui ne font plus qu’un. Un sentiment qui trouvera son paroxysme dans la dernière partie du métrage.

C’est au cours de cette scène que Georges Miller et son ami Byron Kennedy vont créer le personnage culte. C’est d’ailleurs de l’imagination de ces deux hommes que Max deviendra Mad au lieu de se contenter d’être le protagoniste d’une série B semi-amateur comme il aurait très bien pu l’être.
Georges Miller impose également son style de réalisation qui mêle vitesse, alternance de plans larges et resserrés (voire presque panoramiques) et métaphores pour raconter l’histoire avant tout par l’imagerie. Malgré un budget resserré et par conséquent des prises de risques régulières pour la sécurité de son équipe (acteurs comme techniciens), « l’Australien fou » obtient gain de cause et impose sa vision.

Du concept à l’écran

Se situant chronologiquement après le choc pétrolier de 1973, Georges Miller dépeint un monde profondément affecté par la crise et qui semble davantage subsister que réellement exister.  Les bandits arpentent les routes en quête d’essence ou simplement de violence et les policiers face à eux sont désœuvrés et perdent peu à peu du terrain.

Dès le début, l’opposition entre Max et le Nightrider iconise le propos du film. D’un côté, Max, dévoilé progressivement de dos puis de bas en haut, représente le dernier rempart contre la barbarie, tandis que face à lui, le Nightrider en est le symbole parfait, roulant à pleine vitesse, ivre de puissance au volant de son bolide et exultant de satisfaction face à la folie meurtrière qu’il égraine tout au tout au long de sa course folle, pour finalement se retrouver face à Max qui, en brisant son élan, va enclencher la série d’événements que l’on connaît avec le reste du gang.

Si, bien sûr, le scénario est extrêmement simple, c’est le nombre de sous-textes et d’allusions dont Georges Miller et Byron Kennedy ont truffé le film qui en fait tout le sel et lui apporte du rythme. Justement, en parlant du rythme, il faut admettre que celui du premier opus est souvent critiqué sur ce point, car considéré comme très irrégulier, avec une narration qui semble ne vraiment se lancer que dans la dernière demi-heure (le métrage fait à peine 1h30).

Cela est en grande partie vrai car, comme nous l’avons déjà expliqué plus haut, le premier Mad Max n’est pas un film d’action à proprement parler (même s’il a maladroitement été vendu comme ça à l’époque) mais un drame, un récit d’amour et de vengeance. On sentait également que, malgré l’efficacité de la réalisation et l’immense talent des cascadeurs (et probablement un peu leur inconscience tant le manque de règles de sécurité sur le tournage faisait parfois penser à des épisodes de Jackass), le budget du métrage le rapprochait sur le papier de l’amateurisme.

Cependant, l’énergie déployée au cours du film a permis de faire de ce métrage un authentique pan du cinéma. De même que les interprétations fabuleuses de Mel Gibson et de Hugh Keays-Byrne dans le rôle de « Toecutter » – tellement investi dans son rôle qu’il avait suggéré à George Miller que lui et « son gang » traversent le pays à moto avant le premier jour de tournage pour resserrer les liens. D’autres nombreuses anecdotes ponctuent ce tournage, comme la fois où la loge de Mel Gibson fut ravagée, au point que l’antagonisme entre les deux groupes finit par devenir réel.

Le tournage fut cependant si chaotique que Georges Miller lui-même faillit laisser tomber et, malgré son retour, ne récupéra jamais totalement le respect de l’équipe. A sa décharge, il faut bien admettre que le film enchaîna les déconvenues, comme par exemple la perte dès le début du tournage de l’actrice principale Rosie Bailey et du coordinateur des cascades Grant Page (élément indispensable de la réussite du film, car seule personne suffisamment qualifiée en Australie pour gérer un tel tournage à l’époque). Une jambe cassée pour chacun d’eux et de multiples blessures au visage provoqueront le départ de l’actrice pricipale (qui sera remplacée au pied levé pour jouer la femme de Max par Joanne Samuel) et le retour néanmoins rapide de Grant Page, qui croit au projet. Sans parler de l’impossibilité de gérer la partie des « antagonistes » du casting, qui demeure en grande partie ingérable sur le tournage.

La résilience de Byron Kennedy (décédé hélas prématurément dans un accident d’hélicoptère en 1983, au point que l’histoire oublie trop souvent son importance) fut à ce moment là déterminante, car c’est lui qui dut gérer le départ provisoire de George Miller afin de maintenir le projet en trouvant un assistant-réalisateur pour alléger son fardeau. Seule lumière au tableau (mais non des moindres) : la police australienne, finissant par s’intéresser au métrage, libèra les routes pour l’équipe et apporta un appui déterminant. Décidément, quels que soient les obstacles,  ce film devait voir le jour !

mel gibson dans mad max en 1979

La violence en point d’orgue

Un destin d’autant plus intéressant que, dans le premier Mad Max, c’est justement le fait que la figure dite « héroïque » du métrage n’en est pas vraiment une. On serait plutôt dans le concept d’anti-héros, où le personnage joué par Mel Gibson sent bien que ses démons le talonnent. Et c’est peut-être presque pour ça qu’il est aussi rapide sur la route : il essaie de les fuir, de les dépasser, pour finalement vouloir raccrocher les gants plutôt que de risquer de prendre plaisir à toutes ces violences. Malheureusement, c’est lorsqu’il décide de choisir la voie de la paix auprès de sa famille, d’arrêter de foncer pour fuir le démon que ce dernier va finalement le rattraper. Les motards sont peut-être les antagonistes du métrage mais, aussi fous et cruels qu’ils soient, ils ne sont que des enfants de cœur face au monstre qu’ils vont d’une certaine façon créer eux-mêmes.

C’est certainement d’ailleurs pour cela qu’il a été reproché à Mad Max 1 un problème de rythme : la véritable violence attendue n’explose que dans les 20 dernières minutes, tout simplement parce qu’une fois la bête lancée, même face à près d’une vingtaine d’ennemis (même si on a l’impression qu’une partie du gang a disparu on ne sait où), plus rien ne peut arrêter la vengeance en marche.

Un concept qu’on retrouve dans la séquence extrêmement cruelle de la mort de « Johnny the boy », indirectement responsable de la mort de Goose car il semblait avoir encore à ce moment-là quelques scrupules, mais probablement directement responsable (on ne saura jamais vraiment) de la mort de l’homme à qui il était en train de faucher les bottes quand Max le surprend.

Cependant l’auteur de ces lignes tient à préciser, pour l’avoir lu dans d’autres critiques, que le personnage de « Johnny the boy » n’est pas pour autant plus innocent que les autres. Certes il n’a eu de cesse de se faire influencer par les autres, mais il prend plaisir à cette influence et ses « remords » ne l’empêchent pas de contribuer à tendre un piège à Max après la mort de Goose, tout en sachant que ses mentors vont le tuer à son tour. Cette tentative peu sérieuse de trouver des justifications à un criminel ne peut s’expliquer que par un désir bien contemporain de renier le concept de justice personnelle, très en vogue dans ces années-là avec L’inspecteur Harry et autre Justicier dans la ville. Qu’on cautionne ou non ce type de métrages (à ne pas prendre au premier degré), il n’est juste pas possible d’être indulgent avec les agissements de la racaille qui y est mise en scène. Qui plus est, ce genre de démarche est inutile car cela n’affecte souvent en rien le propos de l’oeuvre ou sa compréhension, et en particulier dans Mad Max.

Attaché par des menottes à la voiture, Max lui laisse le choix en lui disant qu’ il lui faudrait plus de 10 minutes avant que le réservoir d’essence n’explose pour couper la chaîne, alors qu’il lui en faudra moins de 5 s’il décide plutôt de se couper le pied. Cette note de sadisme est, à l’époque, très inattendue de la part d’un personnage considéré comme le héros de l’histoire, mais c’est ce qui donne tout le sel à ce métrage, qui s’avère être sans conteste le plus nihiliste et le plus sombre de toute la saga. Surtout parce que, contrairement à ce que beaucoup de gens s’imaginent, à aucun moment du film il n’est clairement mentionné que la femme et le bébé à naître de Max sont morts. Au contraire, il reste une chance pour que l’un des deux survivent (voire les deux).

Leur mort, bien que sous-entendue et confirmée par la voix off du deuxième opus, ne l’est à aucun moment dans ce premier métrage. On peut donc en conclure que, plutôt que de rester au chevet de sa femme et de son enfant, Max a déjà tourné la page et préfère la vengeance en reprenant la route à la recherche des responsables du crime. Un choix de la violence subtilement annoncé en amont, que ce soit lors d’une courte scène où on voit le bébé de Max jouer avec son arme de service, ou lors de l’agression de sa femme près de la plage, où il choisit déjà d’aller traquer les responsables plutôt que de commencer par les mettre à l’abri (ce qui aboutira au drame final).

C’est d’ailleurs un principe qui trouve son point d’orgue dans les derniers instants du film où, contrairement à une production hollywoodienne où, à la rigueur, on le verrait finalement revenir à l’hôpital s’inquiéter des siens, quitte à ce que ce soit pour apprendre leur mort ou leur survie, nous restons seulement avec Max sur une route de nuit à fixer le bitume avec des lumières au loin.

Ce qui, d’une certaine manière, répond peut-être à l’incohérence mentionnée plus haut : ce sont les membres survivants du gang….. ou pas, tant ces lumières ressemblent à des apparitions fantomatiques, comme pour nous signifier qu’à présent, même après s’être vengé de ses principaux ennemis, Max a totalement viré dans les ténèbres. Il n’est plus Max Rockatansky, mari aimant et père de famille, il est devenu Mad Max, un monstre de la route dont la vengeance ne finira jamais.

Une fin particulièrement sombre, qui fait de ce premier volet, non seulement la première pierre d’une saga qui aura marqué son époque, mais aussi un épisode qui aurait pu se suffire à lui-même tant jamais nous ne retrouverons une noirceur si intime dans les prochains volets .

Article écrit par

Depuis toujours, je perçois le cinéma, certes comme un art et un divertissement, mais aussi et surtout comme une porte vers l'imaginaire et la création. On pourrait dire en ce sens que je partage la vision qu'en avait Georges Méliès. Avec le temps, de nombreux genres ont émergé, souvent représentatifs de leurs époques respectives et les bons films comme les mauvais deviennent ainsi les témoins de nos rêves, nos craintes ou nos désirs. J'ai fait des études de lettres et occupé divers emplois qui jamais ne m'ont éloigné de ma passion. Actuellement, sous le pseudonyme de Mark Wayne (en hommage à l'acteur John Wayne et au personnage de fiction Bruce Wayne alias Batman), je rédige des critiques pour le site "Culturellement Vôtre". Très exigeant dans ma notation des films, en particulier concernant le scénario car c'est la base sur lequel aucun bon film ne peut émerger s'il est bancal ou pour le moins en contradiction avec son sujet. Je conserve une certaine nostalgie d'une époque qui me semble (pour l'instant) révolue où le cinéma ne se faisait pas à base de remakes, intrigues photocopiées et bien-pensance. Néanmoins, rien n'entame mon amour du cinéma, et chaque film que je regarde me le rappelle, car bons ou mauvais, ils restent le reflet de notre époque.

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